Le post-sevrage, clé de voûte de la démédication
Le sevrage impacte la physiologie et le système immunitaire du porcelet. Passer ce cap sans antibiotiques nécessite d’agir sur tous les fronts pour réduire le stress du sevrage et l’aider à s’adapter.
Le sevrage impacte la physiologie et le système immunitaire du porcelet. Passer ce cap sans antibiotiques nécessite d’agir sur tous les fronts pour réduire le stress du sevrage et l’aider à s’adapter.
Avec une baisse de 41 % en cinq ans des usages d’antibiotiques, la filière porcine a réalisé d’énormes progrès en termes de démédication. Il reste toutefois des marges d’amélioration, en particulier sur la période du post-sevrage qui concentre la majorité des traitements antibiotiques. C’est sur cette phase que s’est focalisée la dernière édition EFI Sciences, organisée fin mai par Zoopole développement. Pour mieux envisager les alternatives à la médication, il convient d’abord de bien comprendre quels sont les mécanismes amenant aux dérèglements digestifs chez le porcelet, a détaillé la nutritionniste Lucile Montagne, enseignante-chercheuse à l’Agrocampus Ouest. « Le sevrage occasionne un stress pour le porcelet, lié à la séparation de la mère ainsi qu’aux changements d’environnement et d’aliment. Il affecte le tractus gastro-intestinal par de multiples voies, nerveuses, immunitaires, hormonales, nutritionnelles et métaboliques, a-t-elle expliqué en préambule. La réponse neuroendocrinienne au stress est connue depuis longtemps. Elle aboutit à la production de deux hormones, l’adrénaline et la cortisone qui agissent sur le tissu adipeux et mobilisent l’énergie. On sait depuis plus récemment que le stress provoque aussi une réaction immunitaire, avec la notion d’un système nerveux entérique (« deuxième cerveau ») qui contrôle l’activité du tube digestif. « Or, ce stress arrive à une période critique du développement du porcelet », poursuit la nutritionniste. Il est à la fois immature sur le plan digestif (sa barrière gastro-intestinale n’est pas totalement développée) et sur le plan immunitaire (forte baisse des anticorps maternels entre deux semaines et demie et quatre semaines tandis que l’immunité propre se développe).
Une sensibilité accrue aux pathogènes
Pour ces raisons, le sevrage a pour conséquence une baisse de l’ingestion et de l’énergie métabolisable. Il faut attendre 3-4 jours pour que le porcelet atteigne un niveau d’ingestion lui permettant de couvrir ses besoins d’entretien puis 15 jours pour qu’il retrouve le niveau de consommation énergétique d’avant sevrage. « Cette phase d’anorexie est souvent suivie de boulimie, avec une surconsommation au regard de la capacité digestive du porcelet ». Elle se traduit par une baisse de croissance et de l’hétérogénéité. Les désordres digestifs qui en découlent sont liés à deux phénomènes principaux : une origine alimentaire du fait d’une baisse de la capacité digestive, suite à l’anorexie, et une origine infectieuse liée à une sensibilité accrue aux pathogènes (colibacilles en particulier) durant cette période. « On constate une atrophie des villosités intestinales, avec une baisse du poids de l’intestin grêle et de la muqueuse intestinales, jusqu’à 30 %, deux jours après le sevrage », illustre-t-elle.
Redéfinir la protéine idéale du jeune sevré
En résumé, la nutritionniste distingue deux phases successives dans la réponse au stress : une phase aiguë de 2 à 5 jours puis une phase d’adaptation au stress qui peut durer jusqu’à 15 jours en plus. Cette dernière mobilise les ressources nutritionnelles et notamment les acides aminés qui vont être utilisés pour diverses fonctions : réponses immunitaires, oxydation, reconstruction de la muqueuse intestinale… Et tout cela au détriment de la croissance. « On a mesuré une baisse de 10 % de la synthèse protéique au niveau des muscles sur cette période. Cela pose la question de la protéine idéale durant les phases aiguës et d’adaptation au stress », souligne-t-elle.
La réussite d’un sevrage sans recours aux antibiotiques passe par la mise en place de multiples stratégies pour, d’un côté, limiter le stress et l’anorexie et, de l’autre, aider l’animal à s’adapter et à mieux résister. Cela englobe également les pratiques en amont du sevrage en maternité pour permettre une transition plus progressive. « Il en existe déjà concernant la transition alimentaire (avec l’introduction d’un aliment liquide en maternité) mais tout reste à réfléchir concernant l’adaptation progressive à leur nouvel environnement. »
L’approche doit être globale et spécifique à chaque élevage. Elle combine des solutions alimentaires : formules et mode d’alimentation, amélioration de la qualité des porcelets à l’entrée en post-sevrage (homogénéité des poids, microflore…), apprentissage de l’ingestion… Ainsi que des solutions non alimentaires en travaillant sur l’environnement (pour limiter le stress, réduire la pression d’infection, améliorer le confort) ainsi que sur la robustesse de l’animal via notamment la vaccination.
A. Puybasset
La vaccination, vecteur de croissance en post-sevrage
À la SCEA de Kerrest à Rosporden, dans le Finistère, la croissance des porcelets a progressé de 65 grammes par jour en post-sevrage depuis qu’ils sont vaccinés au Coliprotec F4/F18. Ce vaccin oral d’Elanco est destiné à supprimer les diarrhées de post-sevrage dues à E. coli entérotoxinogènes F4 et F18, les valences responsables de sept cas de diarrhées sur dix. « Depuis qu’on vaccine, Les cases sont plus homogènes. Nous n’avons plus ces porcelets chétifs dont la diarrhée pénalisait la croissance », constate Maxime Jourdain. « Résultat, nos porcelets pèsent trois kilos de plus à la mise à l’engraissement. » La diarrhée était présente depuis plusieurs années dans cet élevage de 200 truies naisseur engraisseur partiel. Les pertes en post-sevrages étaient contenues entre 2 et 3 % grâce à des traitements ponctuels de colistine administrée dans l’eau de boisson. Cependant, les éleveurs ne se satisfaisaient pas des performances de croissance, jugées trop faibles. Ils étaient surtout obligés de surveiller de très près l’état sanitaire de leurs animaux, et d’intervenir dès les premiers symptômes pour éviter une augmentation des pertes.
La décision de vacciner les porcelets a été prise à la fin de l’année 2017 par Marcel Dethinne, leur vétérinaire de la Selas de l’Iroise, en concertation avec les éleveurs et Christine Salaun, la technicienne du groupement Evel’up. Conformément au protocole préconisé par le laboratoire, la première séance de vaccination a été faite par drogage. « C’est une façon de s’assurer que tous les animaux ont reçu leur dose », explique le vétérinaire. L’effet a été immédiat. « Sans administrer aucun traitement antibiotique, la croissance de la première bande vaccinée a atteint 540 grammes par jour en post-sevrage, pour un poids de sortie de 39,5 kilos. Le taux de perte s’est établi à seulement 1 %. Et surtout, les porcelets étaient particulièrement homogènes », détaille Jean-Luc Jourdain. Les bandes suivantes, qui ont reçu le vaccin via des augettes à 18 jours d’âge, ont confirmé cette tendance. La GTE établie au 30 mars montre aussi une forte baisse de l’indice de consommation technique, qui passe de 1,72 en 2017 à 1,49 au premier trimestre de 2018. Selon Thomas Gin, vétérinaire Elanco, l’amélioration des performances lié à vaccination des porcelets de cet élevage permet un gain financier net de 3,3 euros par porc, soit 18 900 euros par an pour l’élevage.
« Moins de stress pour les éleveurs »
"Le vaccin Coliprotec F4/F18 démontre qu’il est possible d’agir en prévention de la plupart des diarrhées colibacilaires en post-sevrage dans le but de limiter fortement l’utilisation d’antibiotiques à visée digestive. Il permet aussi aux éleveurs d’appréhender sereinement cette période sensible pour les porcelets, sans avoir le stress de découvrir des cas de diarrhées ou de mortalité chaque fois qu’ils ouvrent les portes des salles. Cependant, la vaccination par voie orale doit être faite de manière rigoureuse pour qu’elle soit efficace : 1) respect de l’âge minimum pour ne pas interférer avec les anticorps colostraux, 2) pas de chlore dans l’eau de préparation du vaccin, 3) propreté du matériel servant à sa mise en place, 4) pas d’antibiotiques au moins trois jours avant et trois jours après son administration… À ces conditions seulement, le vaccin exprimera toute son efficacité et permettra aux porcelets d’exprimer tout leur potentiel de croissance. »