Face au Covid-19, des situations très disparates dans la filière laitière
Au 16 avril, des suspensions de collecte étaient recensées par les AOP laitières. Côté prix du lait, de mauvais signaux s'accumulaient au fil des jours.
Au 16 avril, des suspensions de collecte étaient recensées par les AOP laitières. Côté prix du lait, de mauvais signaux s'accumulaient au fil des jours.
En cette mi-avril, la filière laitière française et les circuits de distribution cherchaient encore à s'adapter aux turbulences générées par les mesures sanitaires prises pour faire face à l'épidémie de Covid-19. Les conséquences ne sont pas les mêmes pour toutes les laiteries. Les transformateurs doivent faire face à l'absentéisme du personnel, et certaines régions sont bien plus affectées que d'autres. Le taux d'absentéisme va de 3 % en Normandie jusqu'à 30 % dans l'Est de la France. Les laiteries doivent protéger leurs salariés et les mesures barrières entraînent parfois un ralentissement du rythme de production. Il y a des différences entre les sites où le travail est relativement automatisé et d'autres où il reste manuel avec des espaces réduits.
Le gros défi à relever est la baisse de la consommation globale de produits laitiers, tous débouchés confondus : ménages, export, industrie agroalimentaire et restauration hors foyer (RHF). Et la gestion des réorientations du lait et des adaptations des chaînes de transformation et de logistique. Toutes les laiteries n'ont pas les mêmes capacités d'adaptation.
Les usines tournent à fond sur le quart Nord-Ouest
Les mesures de confinement ont provoqué une chute des débouchés pour la restauration hors foyer (RHF), d'environ 80 %. À l'inverse, la consommation des ménages a bondi. Après un effet stockage la semaine précédant le confinement (17 mars) et la semaine suivant le confinement, cette consommation va compenser une partie seulement de la baisse en RHF. Avec moins d’activité physique, un moral en baisse et des revenus amputés, la consommation est forcément moins élevée, notamment en valeur. La consommation par les industries agroalimentaires aurait baissé également. Et l'export subirait une baisse d'activité d'environ 25 %.
Les grands transformateurs polyvalents s'adaptent. Le travail a été rationalisé, avec l'arrêt des fabrications de petites séries pour se concentrer sur les marchés de gros volumes : lait UHT, crème, beurre, fromages emballés, râpés... « De plus, ils disposent des capacités de transformation du lait excédentaire en produits de report (beurre et poudre de lait écrémé) », souligne l'Institut de l'élevage.
De grosses inquiétudes sur le quart Sud-Est
A l'inverse, les petites et moyennes entreprises, qui font des produits typiques et qui ont une part importante de leurs débouchés en RHF, en rayon à la coupe et à l'export, sont en grande difficulté. La région Auvergne-Rhône Alpes est donc particulièrement touchée. Mais aussi les maisons du comté spécialisées dans le comté haut de gamme, vendu via des crémeries, restaurateurs... Et beaucoup d'autres AOP laitières. Le Cnaol indiquait le 16 avril dernier que « des arrêts de fabrication et de collecte sont constatés dans seize filières d’appellation. Une situation de grande détresse est estimée pour plus de 10 % des producteurs fermiers et des laiteries. Le lait des fermes rattachées à ces laiteries a soit été collecté temporairement par d’autres entreprises produisant des produits laitiers non AOP ou IGP, soit été revendu sur le marché spot, soit été jeté. Une dizaine de filières AOP témoignent de destruction de lait ou de fromages lorsqu’ils sont devenus impropres à la consommation. Sur la période du 15 mars au 30 avril 2020, cela représenterait une perte de chiffre d’affaires au minimum de 157 millions d'euros ».
Les grands groupes positionnés sur des AOP ont pu fermer momentanément certains sites, comme Sodiaal avec trois sites fermés : deux en brie de Meaux et une fromagerie dans le Cantal. Dans ce cas, la collecte est maintenue et le lait est orienté vers d'autres sites pour faire du lait de consommation, de la poudre de lait...
Un regain d'activité pour les circuits courts
« Des laiteries tentent de s'adapter en mettant en place des lignes de découpe et de pré-emballage. Des PME se mettent au drive et à la livraison à domicile, illustre Jean-Claude Rabany, président du Criel Alpes-Massif central. Notre action est de débloquer des débouchés. La majorité des marchés de plein air ont pu réouvrir. Nous demandons à la distribution d'ouvrir les rayons à la coupe et de mettre en avant des fromages régionaux pré-emballés. La Région a anticipé des achats pour les cantines scolaires qu'elle congèle, et elle prépare la mise en place d'une aide. »
« Le début du confinement a été très favorable aux grandes entreprises et à la grande distribution. On sent maintenant une demande vers les petits producteurs. Des initiatives émergent, de la part de petits commerces, restaurateurs, producteurs locaux », espère Yannick Fialip, président de la chambre d'agriculture de Haute-Loire.
Si la priorité de la filière laitière – maintenir la collecte – a été presque assurée, il n'en va pas de même pour le prix du lait.
Des « obligations » de réduction de volume
Dans le Grand Est, la coopérative de collecte ULM (Union laitière de la Meuse), déjà en difficulté avant la crise, a mis en place un dispositif très dur pour ses adhérents les plus dynamiques. Elle demande une réduction de 5 % des livraisons de lait d'avril et de mai. Au-delà de cette nouvelle référence, le lait est payé au prix de dégagement. Pour ceux qui ne respectent pas leur prévisionnel de livraison de plus de 10 %, leur référence est baissée de 7,5 %. Pour ceux en dépassement de plus de 20 %, cette baisse atteint 12,5 %.
En Savoie, en Franche-Comté et dans le Massif central, les laiteries pénalisent les laits d'excédents de différentes façons : payés au prix de dégagement (200 à 205 €/1 000 l), payés un prix proche de zéro, non collectés.
La récession économique mondiale redoutée
Les laiteries et responsables professionnels contactés insistent sur le fait que « le plus dur est à venir ». À la mi-avril, la sécheresse pointait sur la région Auvergne-Rhône Alpes. Le prix du lait devrait baisser à cause de la baisse de la valorisation beurre poudre. Et à moyen et long terme, la récession économique mondiale posera d'autres problèmes à la filière laitière, en termes de volumes et de valorisations.
Il y aura des perdants et des gagnants dans le monde de l'après-confinement. Les plus polyvalents et très orientés sur les PGC France sortiront leur épingle du jeu. Les plus spécialisés, très orientés sur les débouchés en crise, seront en grande difficulté et certains ne se relèveront peut-être pas.
Les laiteries n'appellent pas toutes à réduire la production
° Laïta n'a pas demandé aux éleveurs de réduire leur production. Le groupe Lactalis s'est contenté d'un message de modération et n'applique pas de saisonnalité du prix (prix d'avril : environ 328 €/1 000 l dans l'Ouest). Dans le Nord, les contrats sont respectés, pour les volumes et les prix, indiquait la FRPL le 10 avril. Chez Laitnaa, « nos clients n'appellent pas à baisser les livraisons. Nous avons juste demandé à nos adhérents de s'en tenir strictement à leur référence », indique Jacques Quaeyebeur, président de la coopérative de collecte (prix d'avril : 320 €). Pour le maroilles, des ateliers tournent au ralenti, un est fermé, mais « le lait est pris par d'autres entreprises de la région. Chaque printemps, du lait à maroilles en excédent part dans les usines voisines. Disons que cette année, le phénomène est amplifié ».
° D'autres laiteries demandent aux éleveurs d'écrêter le pic de production mais de rester en capacité de produire sur le second semestre. Par exemple, Savencia (prix d'avril : 315 €) et Sodiaal (312 € en Haute-Normandie) appliquent des saisonnalités négatives sur le printemps et assurent qu'une saisonnalité positive, pondérée des volumes, sera instaurée sur le second semestre.
° Les éleveurs de l'ULM et de fromageries en zone de montagne subissent des incitations très fortes à réduire leurs livraisons, de 5 % à 20 % en Savoie, voire 30 % dans le saint nectaire. Les laits d'excédent sont payés à un prix de dégagement (200 à 250 €), ou symbolique proche de zéro. Dans certains cas, ils ne sont pas collectés.
° Maîtres laitiers du Cotentin demande à ses adhérents d'écrêter le pic de production (-3 % en avril ; prix du lait de 315 €/1 000 l). Le groupe réalise un tiers de son chiffre d'affaires en restauration hors foyer (RHF), donc la majorité de son activité est sur le marché au détail, et l'export, qui a vu des coups de chauffe et des coups de frein, au gré des mesures prises par les pays. Son réseau de distribution France frais, qui travaille beaucoup pour la RHF, se réorganise. « Les 129 distributeurs s'adaptent à leurs clients (petits commerces, restauration en vente à emporter et livraison) en proposant des drives et des livraisons », indique Jacques Klimczak, responsable communication du groupe.
Quel effet pourrait avoir l'aide du Cniel ?
Le dispositif du Cniel vise à aider les éleveurs qui ont réduit leur production en avril. Il est conditionné au feu vert de la Commission européenne, qui ne devrait arriver que courant mai. Les paiements aux éleveurs n'arriveraient alors pas avant le mois de juin. Avec une enveloppe de 10 millions d'euros (trésorerie du Cniel), cette aide de 320 €/1 000 l ne devrait pas être très élevée par exploitation, car elle s'applique sur un volume de lait non produit pouvant aller jusqu'à 5 % par rapport au mois d'avril 2019. Et ce seuil maximal de 5 % pourrait être revu à la baisse si les volumes concernés sont élevés et que l'enveloppe est dépassée. D'autre part, l'aide ne concernerait pas les élevages ayant réduit de moins de 2 %. L'aide devrait surtout intéresser les exploitations qui sont « obligées » de réduire leur production suite aux mesures mises en place par leur laiterie.
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