La vigne sauvage, un potentiel en tant que porte-greffe à explorer
Dans le Tarn, Robert Plageoles, du domaine Plageoles, se passionne pour la vigne sauvage, ou Vitis sylvestris. Persuadé que son patrimoine génétique est une arme pour lutter contre les dépérissements, il œuvre pour sa protection, et mène depuis 2018 des essais pour évaluer son comportement vis-à-vis d’un greffon.
Dans le Tarn, Robert Plageoles, du domaine Plageoles, se passionne pour la vigne sauvage, ou Vitis sylvestris. Persuadé que son patrimoine génétique est une arme pour lutter contre les dépérissements, il œuvre pour sa protection, et mène depuis 2018 des essais pour évaluer son comportement vis-à-vis d’un greffon.
Prunelard, ondenc, muscadelle… Ces cépages tombés dans l’oubli ont pu renaître de leurs cendres grâce aux travaux menés par Robert Plageoles, vigneron au domaine Plageoles désormais géré par ses descendants. C’est d’ailleurs dans le cadre de ses recherches sur les cépages oubliés de Gaillac que le vigneron a commencé à s’intéresser à la vigne sauvage, ou Vitis sylvestris, mère de près de 10 000 cépages classés, selon l’ampélographe Pierre Galet. C’était il y a quarante ans.
Des connaissances sur la vigne sauvage proche de zéro
« Je m’intéresse à tout ce qui touche de près ou de loin la vigne et le vin », résume simplement Robert Plageoles. Inquiet du dépérissement de la plupart des vignobles, le vigneron a développé une sensibilité particulière pour le matériel végétal. Il estime que cette dégénérescence trouve son origine lors du déploiement des porte-greffes américains dans les campagnes françaises pendant la crise du phylloxéra. « Il faut se remettre dans le contexte de l’époque, on avait besoin d’une solution. Alors vite, on s’est jeté sur les porte-greffes américains. Mais personne ne s’est préoccupé de savoir si la vigne sauvage, présente sur nos terres depuis plus de 3 millions d’années, était attaquée par le puceron, observe le vigneron. Or aujourd’hui, elle est toujours là ». En creusant le sujet, Robert Plageoles se heurte à un véritable vide littéraire. « Il n’y a quasiment aucune documentation sur les sylvestris. Personne au cours des siècles ne semble s’y être intéressé », constate le Tarnais. Seul un document atteste de la présence de vignes sauvages en gaillacois, leur écorce étant autrefois utilisée pour traiter le cuir fabriqué dans un village alentour. Mais, Robert Plageoles se souvient : « mon père était résistant pendant la seconde guerre mondiale, et il amenait des victuailles à ceux qui s’étaient réfugiés dans la forêt de Grésigne, à quelques kilomètres du village. Il me disait « ce n’est pas avec les raisins de la forêt qu’ils arriveront à survivre ».
Une centaine de pieds recensés dans la forêt de Grésigne
En 1982, avec l’aide du garde forestier, il commence à fouiller Grésigne et trouve les premiers pieds de ce qu’il suppose être des sylvestris. Une centaine de pieds sont recensés dans la forêt qui est à ce jour le seul foyer de sylvestris identifié en France. Il faudra attendre 1990 pour avoir confirmation de la véritable identité de ces lianes, lorsqu’une étude de l’ADN réalisée avec l’appui du domaine de Vassal (1), vient lever le doute. « Ces vignes portent à la fois les marqueurs génétiques des sylvestris et d’autres spécifiques à la colonie de Grésigne, que n’ont pas celles de Géorgie par exemple », expose Robert Plageoles. Parmi les individus identifiés à Grésigne, un pied est hermaphrodite, une rareté. « Seul 1,5 % des vignes sauvages sont hermaphrodites, normalement elles sont dioïques, c’est-à-dire soit mâles, soit femelles », détaille Robert Plageoles. Le vigneron observe que ce pied, qui donne donc chaque année des raisins, subit parfois des attaques d’oïdium. Il s’apprête à les vinifier lorsque la liane est coupée au plus près de sa racine lors de travaux d’entretien de fossés par la commune. « On m’a coupé la liane sous le pied, c’est le cas de le dire », regrette-t-il. Passé l’amertume de ne pouvoir explorer le potentiel œnologique de cette vigne, le vigneron consacre une grande partie de son temps à protéger les vignes mères, afin que les pieds soient géolocalisés et balisés pour éviter que la mésaventure ne se reproduise.
Un outil qui permettrait la reproduction de porte-greffes sylvestris
En 2000, Robert Plageoles franchit un nouveau cap et se lance dans un projet de greffage. 60 pieds de vignes sauvages sont greffés sur des porte-greffes américains plantés au domaine Plageoles. « Si l’on regarde cet essai du point de vue de la production de raisin, c’est un échec. En revanche si on le regarde d’un point de vue agronomique, on constate que ces pieds mâles et femelles sont magnifiques. Cette collection pourrait être un formidable outil pour reproduire des porte-greffes de sylvestris, particulièrement résistants », commente le vigneron. Au bout de dix-huit ans, alors que l’état sanitaire des plants est plus que satisfaisant, il surgreffe du verdanel sur l’ensemble porte-greffe américain - vigne sauvage. L’opération se veut concluante, mais le vigneron reste prudent. « Pour le moment les pieds sont jolis et fructifères, il y a une belle végétation. Mais il faut attendre encore au moins vingt ans pour en tirer des conclusions », rapporte-t-il.
Un rempart contre les maladies et les manipulations génétiques
Dans ses recherches, Robert Plageoles a bénéficié du soutien de la vigneronne bourguignonne Lalou-Bize Leroy et des chercheurs Thierry Lacombe et Jean-Michel Boursiquot. À 86 ans, ce que le vigneron espère, c’est que d’autres passionnés prennent le relais avant qu’il ne soit trop tard. « Les vignes sauvages sont en danger ; elles ne rapportent rien alors personne ne se préoccupe de savoir si elles disparaissent. Or, leur patrimoine génétique est un trésor, elles sont peut-être le dernier rempart naturel à la maladie et à la dégénérescence des vignes, en même temps qu’un barrage aux manipulations génétiques de tous ordres », alerte le vigneron. S’il estime que leur recensement et leur protection sont une priorité absolue, il invite les vignerons à multiplier les essais de greffage. « En 2000, on m’avait incité à greffer les sylvestris sur des porte-greffes américains. Je pense que c’était une erreur. Est-ce que finalement greffer nos cépages sur la vigne ancestrale n’est pas une façon de réinterpréter le franc de pied ? », s’interroge-t-il.
Comme pour la résurrection des cépages oubliés, Robert Plageoles ouvre ici la voie à la recherche de solutions du futur dans le passé. À l’heure où de plus en plus de vignerons en reviennent à ce type de démarche, ses travaux sur les sylvestris pourraient bien trouver écho.
Pour en apprendre davantage sur la vigne sauvage, retrouvez les observations et analyses de Robert Plageoles dans le livre " Vignes premières, vignes de demain ", paru aux éditions Tonnerre de l'est (prix: 32€) .