Viticulture de conservation
" Il ne faut pas se lancer aveuglément dans l'agriculture de conservation ", selon l'agronome Jean-Pierre Sarthou
Jean-Pierre Sarthou est professeur en agronomie-agroécologie à Toulouse INP-Ensat/Inrae UMR Agir. Il explique ce que les instituts techniques savent de l’agriculture de conservation.
Jean-Pierre Sarthou est professeur en agronomie-agroécologie à Toulouse INP-Ensat/Inrae UMR Agir. Il explique ce que les instituts techniques savent de l’agriculture de conservation.
Que disent les recherches en ce qui concerne l’agriculture de conservation des sols ?
Les résultats de suivis expérimentaux en agriculture de conservation des sols (ACS) à travers le monde sont très variables. Quand on regarde de plus près, on se rend compte que cela dépend de l’ancienneté du système étudié. Lorsque le système est ancien, ses performances sont meilleures sur tous les plans. Les rendements sont plus élevés et l’on utilise moins d’herbicides que dans un système conventionnel. Mais c’est aussi moins d’engrais et moins d’émissions de CO2, de méthane et de protoxyde d’azote puisque l’on ne fait plus de passage de tracteur pour labourer. Sans compter le stockage de carbone, lui aussi bon pour la planète. Les études montrent également que cela amène plus de matière organique et une porosité différente, qui améliore la capacité hydrique. La réserve utile peut augmenter de plus de 50 %. Une publication montre même que dès lors qu’il y a un stress hydrique, l’ACS est plus performante, et plus la sécheresse est sévère plus la différence est grande.
D’autre part, des chercheurs danois ont montré qu’un sol en ACS dégrade plus rapidement les molécules chimiques des produits phytosanitaires. Ce point ne fait pas encore consensus, mais ce qui est sûr c’est qu’il y a une meilleure rétention, cela protège donc les nappes phréatiques.
Comment amorcer sa transition vers ce type d’agriculture ?
Il faut faire très attention et ne pas se lancer aveuglément. Si l’on commence la démarche par l’arrêt du travail du sol, on court à la catastrophe. Le sol va se compacter très vite car la porosité mécanique disparaît, les racines des couverts végétaux n’arriveront pas à s’installer, il y aura trop peu d’humus donc pas de minéralisation, le sol deviendra froid et on tombe dans un cercle vicieux qui se solde par un échec. Il existe des indicateurs précis pour savoir si l’on peut arrêter le travail du sol, il faut à minima que le ratio entre la matière organique et la teneur en argile soit de 1/8. Il vaut mieux commencer par couvrir le sol et diversifier les couverts. Il faut savoir que les premières années le système de culture est moins efficace. Il y a généralement une phase de transition lors de laquelle les rendements baissent et où les performances environnementales peuvent être moins bonnes. Il faut compter en général quatre à cinq ans pour avoir un système mature.
Quelles sont les limites d’un système en ACS ?
Sur le plan technique, il y a un risque de salissement à la longue par des vivaces comme le chiendent, le ray-grass, le pâturin… Bien que 80 % des graines d’adventices disparaissent dans les deux ans, ingérées par une biodiversité animale devenue plus importante, quelques plantes pérennes peuvent passer au travers. Il y a donc toujours un moment où il faudra soit reprendre un peu de travail du sol superficiel, soit utiliser un herbicide. Ce qui me fait dire qu’une ACS stricte, c’est-à-dire sans travail du sol, n’est pas possible en agriculture biologique. Il y a toutefois des éléments encourageants qui me poussent à penser qu’il faut continuer à chercher dans la direction d’une ACS bio.
Les freins peuvent aussi être sociaux et économiques au début. Un semoir à semis direct peut coûter cher, et on risque de se retrouver seul dans son canton à pratiquer ce type d’agriculture. Il faut savoir s’entourer.
Sur quoi portent vos travaux de recherche actuels ?
Actuellement j’essaie de prouver scientifiquement qu’un système en ACS entraîne une meilleure santé des végétaux. Les observations en grandes cultures montrent qu’en quelques années certains agriculteurs arrivent à diviser leur utilisation de fongicides et insecticides par deux, mais on n’explique pas encore complètement les mécanismes. Mon hypothèse est que certaines plantes dépensent tellement d’énergie à créer des exsudats pour corriger le sol autour des racines qu’elles n’ont plus assez de composés pour les systèmes d’alerte et de défense des pathogènes. Peut-être aussi qu’un système en ACS entraîne plus de mycorhizes et que cela provoque une stimulation du système immunitaire de la plante.
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