Pourquoi avez-vous réalisé deux enquêtes(1) à deux ans d’intervalle et quels constats en avez-vous tirés ?
Geneviève Cazes-Valette - En 2015, j’ai voulu tester l’influence de l’environnement et du bien-être animal dont on parle de plus en plus. Chemin faisant, l’association L214 est devenue très active. J’ai donc relancé exactement la même enquête en 2017 pour avoir des résultats comparables et voir l’impact de leurs campagnes. Le bien-être animal et l’environnement deviennent des préoccupations de plus en plus importantes chez les consommateurs et sont un facteur explicatif, non pas de l’abandon de la viande mais de la baisse de consommation. L214 n’atteint pas son objectif de dégoûter les gens de la viande. En revanche, la fréquence de consommation a nettement baissé. En 2015, 60 % des personnes interrogées mangeaient de la viande tous les jours ou presque. Elles ne sont plus que 53 % en 2017. Celles qui disent en manger moins sont passées de 41 % à 54 %. Et il y a une intention claire de réduire encore la fréquence de consommation.
Il y a quand même des tendances très différentes au sein de la population...
G. C.-V. - Dans ma typologie, j’ai distingué quatre catégories de consommateurs. Les « carnivores », qui mangent très souvent de la viande, ne représentent plus qu’un gros tiers de la population (34 %) alors qu’ils étaient 45 % en 2015. C’est une baisse impressionnante. Les flexitariens sont des mangeurs de viande mais, de temps en temps, ils s’en privent volontairement. Ils représentent 45 % de l’échantillon en 2017 contre seulement 35 % en 2015. Ils ont déjà diminué leur fréquence de consommation et ont l’intention de baisser encore. Les petits consommateurs stabilisés représentent 16 à 17 % de la population. Plutôt âgés, ils ont diminué leur consommation, mais en lien avec le vieillissement et ne baisseront pas davantage. Viennent enfin les végétariens. Globalement, leur nombre a peu augmenté (de 2 à 3 %). Mais ils sont près de 8 % chez les plus jeunes.
L’idéologie antispéciste, qui met l’animal au même rang que l’humain, imprègne-t-elle la société ?
G. C.-V. - La question du bien-être animal a gagné et va progresser, mais pas au point de dire que les animaux sont nos semblables, comme le soutient la philosophie antispéciste. Les gens n’attendent pas qu’on arrête de tuer les animaux, mais qu’ils aient une bonne vie et une bonne mort. Ils veulent des garanties sur l’origine de l’animal, le type d’élevage, le mode d’alimentation, la qualité de vie, la réduction des traitements antibiotiques, l’impact sur l’environnement... L’homme est omnivore par nature et le goût de la viande est attractif. Mais, pour une bonne partie de la population, nous nous dirigeons sans doute vers un processus identique à celui du vin, qui l'a fait passer de boisson quotidienne à une boisson plaisir. Ce n’est pas forcément une catastrophe si on vend moins mais plus cher. Ce pourrait même être l’avenir de la viande au niveau mondial. En revanche, il y a du souci à se faire pour les élevages intensifs.
Que faut-il faire pour rassurer les consommateurs face à l’activisme des antispécistes ?
G. C.-V. - Il faut ouvrir les fermes, rassurer les gens en leur montrant que les choses se passent correctement. On ne va pas leur faire visiter des abattoirs, mais le refus de mettre des caméras est une erreur. Dans un monde qui se laisse très facilement gagner par la théorie du complot, cela revient à cultiver le soupçon. Et, quand il y a des erreurs, elles doivent être condamnées par la profession. Il y a aussi le problème des médias, au sein desquels il y a une surreprésentation des végétariens et des flexitariens. Du coup, ils donnent beaucoup d’écho à ces thèses. Il faudrait sans doute être plus actifs sur internet pour contourner les médias traditionnels. Mais il faudra trouver un excellent "community manager" !
(1) Enquêtes réalisées sur des échantillons représentatifs de la population française de 15 ans et plus (380 personnes en 2015, 550 en 2017) financées par la chaire SDSC d’AgroParisTech.