Quels sont les intérêts nutritionnels de la consommation de viande ?
Patrick Tounian - L’intérêt principal de la viande, c’est l’apport en fer héminique et non, contrairement à ce que l’on entend parfois, celui en protéines. La viande assure des besoins en protéines, mais ce n’est pas le seul aliment, loin de là. Les produits laitiers, par exemple, en apportent aussi beaucoup, comme le gruyère, qui est plus riche en protéines que la viande ! L’avantage décisif du fer héminique de la viande – contenu dans l’hémoglobine des globules rouges et la myoglobine des muscles –, c’est sa biodisponibilité, c’est-à-dire sa capacité à être absorbée par le sang. Cette biodisponibilité est sept à huit fois supérieure à celle du fer non héminique présent dans le lait, les œufs ou les végétaux. On dit communément que les épinards sont riches en fer et même plus riches que la plupart des viandes et c’est vrai. Mais il n’est pas absorbé. Pour assimiler 1 mg de fer, il faut ingérer 1,7 kg d’œuf dur ou 1,8 kg de légumes secs cuits, contre seulement 130 grammes de bœuf (1).
Pourquoi insistez-vous à ce point sur l’importance du fer ?
P. T. - Tout simplement parce que la carence en fer – ou carence martiale – est la maladie nutritionnelle la plus fréquente de la planète chez l’enfant et l’adolescent. En Europe, un quart des adolescents et un tiers des adolescentes sont carencés en fer et le taux s’élève, selon une étude récente, à 45 % des jeunes femmes de 12 à 21 ans aux États-Unis. Or, la principale cause de ce phénomène, c’est la consommation insuffisante de la viande.
En quoi le fer est-il nécessaire à notre santé ?
P. T. - Le fer est nécessaire au transport et à l’utilisation de l’oxygène par les globules rouges, mais aussi au développement neurologique du cerveau et à la défense anti-infectieuse. Le manque de fer provoque anémie microcytaire, fatigue, exposition aux infections mais aussi – c’est moins connu – troubles neuropsychiatriques (hyperactivité, anxiété, dépression) et diminution des performances cognitives. Au cours de mes trente-trois années d’expérience en nutrition pédiatrique, j’ai reçu en consultation des milliers d’enfants carencés en fer car ils ne consommaient pas assez de produits carnés.
Quels sont les besoins en fer absorbé ?
P. T. - Ces besoins sont importants et croissent avec l’âge. Ils se situent, selon la Société française de pédiatrie, à 0,7 mg entre 3 et 6 ans, 1,1 mg entre 7 et 11 ans, puis ils grimpent à 1,8 mg pour les garçons de 12 à 17 ans et 2,4 pour les filles. Chez les adultes, les besoins diffèrent considérablement entre les hommes et les femmes. Ils sont estimés à 1,1 mg pour les premiers mais à 3,3 mg pour les secondes. C’est un chiffre très élevé qui explique que la moitié des femmes soient carencées en fer. Nous sommes donc très inégaux à l’égard de nos besoins en fer et les apports recommandés ne rendent pas compte de la diversité des situations.
Quelle quantité de viande faut-il consommer pour répondre à ces besoins ?
P. T. - Pour répondre au besoin médian en fer – correspondant aux besoins de la moitié de la population –, il faut consommer environ 200 grammes de produits carnés par jour. Cela permettrait qu’au moins la moitié des adolescentes et des femmes ne soient pas carencées en fer. Mais certaines personnes, on l’a vu, ont des besoins bien plus élevés. C’est la raison pour laquelle la Société française de pédiatrie a établi comme recommandation officielle que les enfants et adolescents consomment des produits carnés deux fois par jour. Dans la mesure où la biodisponibilité du fer héminique est 7 à 8 fois supérieure à celle du fer non héminique, les produits carnés représentent en effet la seule source raisonnable de fer chez l’enfant et l’adolescent.
Que faut-il donc penser de certaines recommandations officielles ?
P. T. - Les recommandations émises par l’Anses qui ont été reprises par le Haut conseil de la santé publique postulent qu’il n’est pas nécessaire de consommer des produits carnés à chaque repas et recommandent aux adolescents de ne pas consommer plus de 500 g par semaine. Ces apports ne permettent pourtant pas de répondre aux besoins en fer absorbé de cette catégorie de la population et exposent la majorité des adolescentes à un risque de carence. Inciter les enfants, les adolescents et les femmes à consommer deux produits carnés par jour devrait être une action prioritaire de santé publique.
(1) Les teneurs en fer héminique les plus élevées se retrouvent dans le boudin noir (23 mg/100 g), le foie de veau (5,1 mg), le bœuf (3 mg), l’agneau (1,7 mg), la cuisse de poulet (1,2 mg) ou encore le veau (1 mg).