Décapitalisation : la France a perdu près d’un million de vaches en sept ans
La décapitalisation du cheptel bovin se poursuit en France. Son rythme s’est même accentué par rapport à l’année dernière. Boris Duflot, directeur du département Économie de l’Institut de l’élevage (Idele), témoigne des conséquences directes de cette érosion sur le commerce en vif et en viande, à l’échelle nationale mais aussi plus largement, en Europe.
La décapitalisation du cheptel bovin se poursuit en France. Son rythme s’est même accentué par rapport à l’année dernière. Boris Duflot, directeur du département Économie de l’Institut de l’élevage (Idele), témoigne des conséquences directes de cette érosion sur le commerce en vif et en viande, à l’échelle nationale mais aussi plus largement, en Europe.
Entre le 1er août 2017 et le 1er août 2024, la France a perdu 963 000 vaches, d’après les derniers chiffres diffusés par l’Idele à l’occasion d’une conférence au Sommet de l’élevage le 10 octobre dernier. « La décapitalisation s’est légèrement accentuée, indique Boris Duflot, directeur du département Économie de l’Idele. Elle se chiffre à -2 % par rapport à l’année précédente. » Les pertes sont un peu plus conséquentes pour le cheptel allaitant : en sept ans, on dénombre 575 000 vaches allaitantes en moins (-14 %) et 388 000 vaches laitières en moins (-10 %).
La baisse des naissances de veaux de mères allaitantes est plus marquée
La cause est bien connue : « Le nombre d’installations est insuffisant pour compenser les départs en masse des éleveurs bovins. Aussi, nous observons une appétence croissante pour la végétalisation des ateliers, qui a comme conséquence directe une baisse de la taille des troupeaux », analyse l’économiste.
Mécaniquement, l’érosion des cheptels, à l’œuvre depuis 2016, pèse de plus en plus sur la baisse des naissances. En 2023, les naissances de veaux issues de mères allaitantes ont fléchi de 3,6 % par rapport à l’année précédente. Du côté du cheptel laitier, les pertes se chiffrent à -2,8 % sur un an. Une tendance qui s'accentue sur les six premiers mois de 2024. « La décapitalisation n’est sans doute pas la seule responsable, nuance Boris Duflot. Les aléas climatiques et les crises sanitaires survenues ces deux dernières années ont aussi pu jouer défavorablement sur la fertilité des troupeaux. »
Les exportations en vif pâtissent lourdement de la décapitalisation
Les disponibilités qui se rétractent pénalisent lourdement les exportations en vif. « Pour la première fois en 2023, la France a exporté moins d’un million de broutards », fait savoir l’économiste. Elles étaient en repli d’un peu plus de 7 % par rapport à 2022. Les premières destinations à en pâtir sont l’Italie, qui absorbe 82 % des volumes exportés, mais aussi l’Espagne, qui en capte 11 %.
« Pour la première fois en 2023, la France a exporté moins d’un million de broutards », renseigne Boris Duflot, de l'Idele.
Sur la même période, « le repli des envois de broutards vers les pays tiers est drastique (- 74 % en nombre de têtes), reprend Boris Duflot. Il s’explique en grande partie par la fermeture du marché algérien depuis septembre 2023, en lien avec l’arrivée de la maladie hémorragique épizootique (MHE) sur notre sol. » Des réorientations ont été opérées vers le Maroc et plus récemment vers la Tunisie, mais dans des volumes bien moindres.
L’engraissement des broutards en France est davantage épargné
Du côté des mises en place à l’engraissement sur le marché français, le choc est moins violent : en 2023, quand les exportations de broutards baissent de 7,2 %, les achats en France ne régressent que de 1,6 % par rapport à l’année précédente.
Presque 500 000 mâles allaitants âgés de 4 à 15 mois ont été placés dans des ateliers d’engraissement français en 2023. Sur le premier semestre 2024, les achats de broutards pour être engraissés au sein de l’Hexagone montrent même un fort regain par rapport à l’année précédente, sur la même période.
« Alors que l’engraissement dans les systèmes naisseurs-engraisseurs avait connu une longue phase d’érosion, nous observons, depuis cinq ans, une stabilisation de la proportion des élevages naisseurs-engraisseurs et du volume de jeunes bovins produits de type viande issus de ces ateliers », soutient Boris Duflot.
L’autosuffisance nationale en viande bovine s’affaisse encore
Cette dynamique positive enclenchée sur la voie mâle ne permet pas néanmoins à elle seule de combler le manque d’offre. Les abattages de gros bovins en France ont chuté de 8 % en l’espace deux ans. Les vaches à viande représentent la catégorie qui baisse le plus.
Résultat, notre niveau d’autosuffisance en viande bovine est mis à mal. Il a baissé de 5 points au cours des trois dernières années, pour s’établir à 90 % en 2023. En parallèle, la part d’import dans le disponible consommable en France pesait 23 % l’année dernière.
Le secteur de la restauration hors domicile est un marché fortement importateur, comptabilisant 55 % de viande bovine importée en 2022, majoritairement depuis nos voisins européens. « Sur le piécé, 73 % provient de l'étranger. En haché, 48 % est issue de viande importée », soulève Matthieu Repplinger, responsable des études de marché à l’interprofession du bétail et des viandes (Interbev).
Les tensions d’approvisionnement à l’échelle du marché européen augmentent
À l’échelle du marché communautaire, l’économiste évoque des tensions croissantes sur les disponibilités de viande bovine intra-européennes. Si la France était le premier pays à voir l’érosion de son cheptel apparaître en 2016, la décapitalisation bovine affecte désormais une grande partie de l’Union européenne. « Seuls l’Irlande et l’Espagne voient encore leurs troupeaux augmenter », souligne-t-il.
Le cheptel européen compte 6 % de vaches en moins en dix ans, ce qui représente une perte de quatre millions de têtes. Parmi nos voisins les plus proches, outre alpes, la baisse des envois de broutards français entre 2021 et 2023, estimée à 11 %, a eu un impact direct sur les abattages. Sur cette même période, les volumes abattus de bovins de 12 à 24 mois ont chuté de 9 %. « Il faut dire que 60 % des volumes abattus en Italie sont issus de broutards français », fait savoir l’expert.
Du côté de l’Espagne, autre partenaire majeur à l’export, les opérateurs sont également en difficulté pour maintenir la cadence d’abattage, se traduisant par une baisse notable de 6 %, en volumes, en 2023 par rapport à l’année précédente. Les approvisionnements en bovins vivants font défaut, notamment en provenance de l’Hexagone. « Un quart des animaux abattus en Espagne proviennent de veaux et de broutards importés depuis la France », reprend Boris Duflot.