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Berger, un métier sociable et moderne

Pratique millénaire et mondiale, la garde des troupeaux de rente est un métier à part entière qui s’est bien professionnalisé ces dernières décennies. Les bergers d’aujourd’hui font face aux problématiques du passé et du présent et tentent avant tout de sauvegarder ce patrimoine unique.

Avec la professionnalisation d’un métier autrefois exercé par les membres d’une même famille, les trop vieux ou les très jeunes, les bergers trouvent des solutions aux problématiques grâce aux nouvelles technologies et internet. Et ça bouge chez les bergers. Une nouvelle génération et arrivée, plus connectée, souvent en reconversion professionnelle et donc un certain recul sur l’état des activités agricoles et un franc désir de voir les choses évoluer. Dans les différentes zones de pastoralisme de France, d’Europe et du monde, des initiatives voient le jour pour accompagner les bergers, valoriser leur travail et améliorer leurs conditions de travail. En février, à l’occasion du Salon de l’agriculture à Paris, bergers, éleveurs, acteurs du pastoralisme et développeurs informatiques se sont réunis pour participer à un hackathon pastoral. Premier évènement du genre, l’objectif était d’avoir, après 48 heures de travaux, cinq maquettes d’outils. Définis selon des problématiques rencontrées par les bergers, les outils auraient vocation à améliorer le travail en estive et/ou la reconnaissance de celui-ci auprès du grand public. Les projets étaient vastes, entre la mise au point d’un cahier pastoral électronique, où le berger pourrait consigner ses remarques et expériences sur chaque estive, une réflexion autour de la prédation et des usages multiples de la montagne ou encore la création de réseau d’échanges entre bergers européens. « L’idée de ce hackathon est avant tout de montrer l’inventivité dont nous pouvons faire preuve dans le monde du pastoralisme, explique Joseph Boussion, berger et co-organisateur de l’évènement. En fait, il y a plein d’initiatives qui fourmillent localement, mais aucune ne parvient vraiment à se développer plus largement. »

Promouvoir les produits de la transhumance

Le projet retenu à l’issue du hackathon s’oriente finalement sur la promotion des produits issus du pastoralisme. "L’Étoile du berger" se présentera sous forme d’application smartphone qui permettra à chacun de repérer les points de vente des produits de la transhumance. Et les organisateurs ont pris leurs dispositions pour que le projet ne soit pas relégué au fond d’un tiroir, faute de financement. « Nous avons constitué un fond abondé par des donations privées et le projet est soutenu par la FAO », souligne Joseph Boussion. L’ouverture d’esprit était de mise, car outre les bergers et éleveurs venus de toute la France, on pouvait compter sur la présence de quelques développeurs informatiques. « Nous apportons notre expertise dans l’informatique et on discute ensemble de ce qui est faisable, ce qui ne l’est pas. Ce sont des échanges enrichissants autant pour les uns que pour les autres », apprécie Olivier Roverrotti, développeur de l’Étoile du berger.

Créer un lien fort entre éleveur et berger

Car bien que le métier existe depuis la nuit des temps, être berger nécessite une adaptation continue à l’environnement et cela passe toujours par de nouveaux outils, qu’ils soient mécaniques ou immatériels. Pour Valentine Guérin, éleveuse et bergère dans les Alpes-Maritimes, les bonnes relations entre éleveur et berger sont primordiales. « Je suis proche des bergers car mon travail s’y apparente. Je garde mes brebis toute l’année, mais en été nous employons un berger pour l’estive. C’est important de connaître la personne, de lui faire connaître les brebis, les animaux, notre fonctionnement. C’est déjà un grand pas dans le confort de travail et de vie, autant pour lui que pour nous éleveurs. » Pour elle et son associé sur la ferme, les échanges avec le berger permettent de ne pas garder la tête dans le guidon. « Nous savons ce qu’il faut faire sur nos alpages, explique encore Valentine Guérin. Mais nous sommes ouverts d’esprit, nous écoutons les nouvelles propositions de nos bergers. Il y a une réelle transmission des savoirs qui fonctionne dans les deux sens. » Pour elle, fédérer éleveurs et bergers autour d’un projet commun est une initiative qui met du dynamisme dans cette activité ancestrale.

Des défis communs aux bergers d’Europe

« Ces échanges nous permettent de mettre en lumière ce que nous pressentions déjà, explique Valentine Guérin. Partout en Europe nos combats sont les mêmes ». En effet, la présence d’une bergère espagnole, membre de l’association Ganaderas en Red et d’un chercheur turc sur la question des bergers itinérants (voir encadrés) ajoute une pierre à l’édification d’un réseau international de bergers. « La question de la transmission, de la ressource en herbe de plus en plus fréquemment insuffisante, de la prédation, font écho à nos confrères étrangers », remarque l’éleveuse des Alpes-Maritimes. Le berger n’est donc plus cet ermite de la montagne bien souvent fantasmé mais il est devenu un être sociable et moderne, un métier où communication et ouverture d’esprit sont de mise. Savoir se fédérer, transmettre son savoir au grand public et aux successeurs via les réseaux sociaux, les applications, les manifestations, travailler sur de nouveaux outils rendant plus attractif ce métier physique et stressant, sont les clés identifiées de sa pérennité.

Cartographier les réseaux de transhumance

Le projet Yolda (The Yolda Initiative), lancé en Turquie, a pour objectif, entre autres, de référencer et cartographier les chemins de transhumance d’Europe méditerranéenne. « Cette étude au long cours nous permettra de mieux comprendre les pratiques pastorales à travers l’Europe », détaille Engin Yilmaz, ambassadeur du projet. Les données issues de cette large étude devraient permettre de corréler développement de la biodiversité et présence de troupeaux transhumants pour une zone donnée. Les bergers pourraient ensuite bénéficier d’outils leur permettant d’optimiser leur passage. « Nous avons inclus la France dans ce projet avec la chaîne des Pyrénées, le Cantal et le massif des Causses et Cévennes. Je devais me rendre dans les Alpes et en Corse pour élargir notre champ de vision, mais le confinement a eu lieu », explique le chercheur turc.

Le saviez-vous ?

Des bergères rassemblées dans Granaderas en red

Ganaderas en red est une association espagnole d’éleveuses et de bergères, créée pour lutter contre la discrimination sexuelle malheureusement fréquente en agriculture. « Lorsqu’une femme est seule sur son exploitation, elle a du mal à faire entendre sa voix et à être prise au sérieux », explique Lola Ros, éleveuse dans la région espagnole de l’Extramadura. Le réseau soutient les nouvelles installées, les plus anciennes qui font face aux problématiques de l’élevage. « Nous n’étions qu’une poignée au début, reprend la jeune femme, mais le mouvement a trouvé un vrai écho dans les campagnes et a pris une ampleur incroyable. » Elles sont aujourd’hui 55 membres identifiés à travers toute l’Espagne et de nouvelles recrues viennent à chaque instant grossir leurs rangs. « Se structurer et se fédérer autour d’un sujet commun nous a permis d’avancer enfin sur des sujets qui traînent et surtout d’être plus fortes auprès des administrations ou d’autres organisations », conclut Lola Ros.

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