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La Région débloque 300 000 € pour les filières AOP d'Auvergne

Avec la crise du Covid-19, la filière fromagère d’appellations a perdu 60% de ses débouchés. Une course contre la montre s’est engagée dès le 16 mars pour réaffecter les volumes, stocker les fromages et éviter un effondrement des prix. A la manœuvre, les producteurs, les entreprises, l’interprofession et le conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes. Michel Lacoste, éleveur dans le Cantal, chargé du dossier AOP à la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes, et Laurent Wauquiez, président de la Région, expliquent comment le plan de bataille s’est construit.

Face à la baisse conséquente des ventes de fromages AOP, liés à la fermeture des rayons de fromages à la coupe, de la restauration hors-foyers…quelles mesures ont été prises par la filière au début de la crise ?

Michel Lacoste : Avec le confinement, les consommateurs ont changé leurs habitudes. Ils se sont détournés des fromages AOP, préférant acheter des produits de première nécessité, comme si d’un coup la dimension de plaisir avait disparu. La fermeture des points de vente en restauration hors foyer et des rayons coupe des GMS ont également conduit à une diminution importante des débouchés, si bien que les ventes ont reculé de 60% en moyenne. Dans ce contexte, l’Auvergne est particulièrement touchée avec des couples TPE-PME-éleveurs fermiers qui accusent des baisses de ventes de l’ordre de 70 à 80%. Des baisses qui interviennent au plus mauvais moment parce que nous sommes actuellement au pic de la production. Dès les premiers jours, les fromageries AOP ont réagi en adaptant la fabrication au niveau des ventes, en réduisant de près de 50% la production.

Au niveau interprofessionnel, quel a été le message portez auprès des producteurs ?
M.L. : Le vendredi suivant le confinement, on a dit aux producteurs soyez solidaires pour valider des positions interprofessionnelles qui consistaient à réduire la production laitière voir à jeter du lait. Au niveau syndical¹, il n’était pas envisageable de valider ce type de propositions. Nous avons donc cherché des solutions collectivement, et force est de constater que la mobilisation collective des producteurs qui était notre talon d’Achille, s’est révélé dans cette crise. Cette crise nous apprend à travailler collectivement et le collectif, s’agissant des AOP, c’est la clé de la réussite.

Quelles solutions ont donc été mises en place pour éviter de jeter du lait ?
M.L. : Grâce à l’intervention de Thierry Roquefeuil, président de la FNPL, l’ensemble des grands groupes présents sur les AOP auvergnates ont été contactés. Sodiaal a proposé de nous faire une place à la tour de séchage de Rodez. Ce sont les producteurs auvergnats via la FDSEA du Cantal, qui coordonnent le partenariat entre Sodiaal et l’ensemble des PME auvergnates avec le soutien du Conseil régional, sachant que ce partenariat ne fait pas perdre d’argent à la coopérative et qu’il ne se fait pas au détriment des adhérents Sodiaal. Dix camions de lait ont ainsi été dégagés dès le 30 mars, et jusqu’à la semaine dernière, cela fonctionnait. En mai, cette opération devrait se poursuivre afin de réduire la quantité de fromages fabriqués dans l’objectif d’assainir les stocks. Cette opportunité de déstockage, c’est une solution donnée aux PME et aux collectifs de nos cinq AOP, doit permettre de ne pas casser le prix des AOP. Ramener le stock de fromages à un niveau sain est indispensable pour ne pas faire baisser les prix, et mettre à terre une politique de valorisation qui, depuis dix ans, porte ses fruits. Il faut également agir pour relancer les ventes, dans ce cadre le Cniel et le Cnaol ont lancé une campagne de communication baptisée « Fromagissons » pour une consommation solidaire de nos fromages de tradition partout en France relayée par nos ODG. Par ailleurs, des contacts ont été pris avec la grande distribution pour mettre en œuvre des opérations de promotion de nos fromages sans dégrader la valorisation pour nos filières.

Qu’en est-il du prix payé aux producteurs ?
M.L. : Au fil des semaines, le marché beurre poudre et SPOT s’est écroulé passant de 300 euros à 150 euros. Les producteurs font preuve d’une solidarité exemplaire. Dans cette crise, les PME bénéficient de mesures de chômage partiel, de prêts de trésorerie, mais n’oublions pas que la première mesure faite pour les entreprises, c’est l’engagement des producteurs qui acceptent de sortir du contrat juridique qui les lient à leurs acheteurs en acceptant d’être payés au prix du lait SPOT (moins de 200 euros dans certains cas contre 450 euros habituellement).

 

A quel moment, la Région Auvergne-Rhône-Alpes a-t-elle décidé d’intervenir ?
Laurent Wauquiez : Je tiens d’abord à saluer l’engagement de tous nos agriculteurs qui continuent à produire et à travailler. Chaque jour, ils nous nourrissent, et j’espère que chacun saura s’en souvenir. Le secteur agricole souffre aussi de cette crise. Le changement des habitudes de consommation a ébranlé les filières, particulièrement la filière AOP. Dès le début, avec le vice-président à l’agriculture, Jean-Pierre Taite, nous avons travaillé sur deux volets : rencontrer toutes les GMS pour obtenir la réouverture des rayons fromages à la coupe, pour augmenter la disponibilité des fromages AOP dans les drives, pour communiquer sur le consommer local à l’entrée des magasins ; et nous avons lançons une vaste campagne de communication en faveur des produits régionaux.

Parallèlement, vous avez décidé de débloquer une enveloppe de 300 000 euros à la filière AOP auvergnate. A quoi va-t-elle servir ?
L.W. : Ces 300 000 euros vont servir à garantir la continuité de la collecte. L’urgence était d’éviter que des producteurs soient contraints de jeter du lait. Nous avons travaillé avec Michel Lacoste, en lien avec les chambres d’agriculture (Cantal, Puy-de-Dôme) pour que des ponts se créent entre les petites PME et Sodiaal. Nous aidons parce que nous sommes conscients que l’agriculture est un pilier de notre économie régionale, et nous verrons dans les semaines à venir, comment nous pourrons adapter nos plans de filière, mais soyons très clairs, nous attendons aussi une prise de conscience de l’Etat sur la situation gravissime que traverse le secteur agricole.

Le ministère de l’Agriculture a-t-il mesuré, selon vous, l’ampleur de la crise ?
L.W. : Face à l’effondrement des cours, le stockage du lait, l’emploi des saisonniers…Je ne comprends pas pourquoi les choses n’évoluent pas plus vite. Nous sommes la région française qui fait le plus pour son agriculture, mais il y a un moment où il faut qu’à Paris et à Bruxelles, ça réponde aussi.
M.L. : Nous avons du soutien de l’interprofession sur la communication, du Cnaol pour travailler avec la GMS qui nous soutiennent, de plusieurs conseils régionaux, le seul qui n’a rien fait à ce jour c’est le ministère de l’Agriculture. Des demandes de compensation des pertes pour les producteurs sont en cours, à l’heure où 2 000 tonnes de fromages sont menacées de destruction. Mais elles sont pour le moment restées lettres mortes. Y compris, à l’échelle européenne, on nous dit que la France n’a avancé aucune proposition pour les AOP. Si nous perdons nos PME-TPE fermiers, nous perdons la diversité de nos AOP et l’AOP ne voudra alors plus rien dire. Si Didier Guillaume ne réagit pas, la France aux 1000 fromages ne sera plus qu’une image d’Epinal.

¹ Michel Lacoste est également secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) et président du Cnaol (fédération des AOP fromagères françaises).


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