Comment la France peut aider le Maroc à repeupler son cheptel bovin et ovin ?
Sept ans d'une sécheresse redoutable, couplée aux soubresauts de la géopolitique ont fragilisé l'élevage marocain, si bien que les éleveurs voient dans la France un allié de poids pour renouer avec des jours meilleurs. Le retour des coquelicots en serait-ce le signe annonciateur ? Reportage dans la région d'Iframe avec les acteurs du Sommet de l'Elevage.
Sept ans d'une sécheresse redoutable, couplée aux soubresauts de la géopolitique ont fragilisé l'élevage marocain, si bien que les éleveurs voient dans la France un allié de poids pour renouer avec des jours meilleurs. Le retour des coquelicots en serait-ce le signe annonciateur ? Reportage dans la région d'Iframe avec les acteurs du Sommet de l'Elevage.

L'agriculture marocaine génère 11 à 15% du PIB du Maroc
Dans la région d’Iframe, à une centaine de kilomètres de Fès, Hakim Khatib est le maître d’œuvre local de la politique de développement agricole du Maroc. Équivalent de nos directeurs régionaux de l’agriculture et de la forêt français, l’homme connaît son territoire comme sa poche. Dire que sa tâche est immense est un euphémisme.

Dans cette entreprise d’accompagnement de l’agriculture locale qui représente 11 à 15 % du PIB selon les années, il a un sérieux atout dans sa manche : une politique volontariste de l’État marocain qui depuis 2008 avec son plan Maroc Vert a injecté près de 104 milliards de dirhams soit près de 10 milliards d’euros pour développer l’agriculture solidaire, les filières de production et soutenir les infrastructures d’irrigation…
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Sans eau pas d’agriculture, ni d’élevage…
Ce printemps 2025 fait mentir la carte postale d'un Maroc qu'on imaginerait forcément aride. Du vert partout à perte de vue…
Au milieu de ces terres ponctuées d’amoncellement de pierres ocre, de vergers, d’oliviers, les pâturages sont verts, hauts, denses et les coquelicots sont revenus. Quarante ans que les marocains n’avaient pas assistés à un tel spectacle. Entre 200 et 400 mm de pluie tombées en mars en à peine trente jours, soit l'équivalent d'une année complète, auront fait la différence. « Les barrages situés au nord de Rabat sont remplis à 40 %. Nous avons 18 mois de réserve d’eau potable alors que depuis sept ans, les ruptures d'approvisionnement étaient fréquentes », explique Hakim. Le répit sera-t-il durable… « Inchallah » résume stoïque Dadi Mohamed.

L'homme est l’un des 121 éleveurs adhérents de la coopérative laitière El Baraka, qui assure le stockage du lait et la fourniture d'aliments composés. Comme ses collègues, son troupeau n’excède pas les six vaches, qui produisent en moyenne 15 à 20 litres de lait par jour. Elles évoluent dans des parcours et sont complémentées par des ensilages de pois, maïs, luzerne…
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20 % de la population marocaine vit de l'élevage
Le secteur de l'élevage participe à hauteur de 38 % environ de la valeur ajoutée agricole et emploie de l'ordre de 20 % de la population rurale active. Il met en valeur les parcours peu productifs. Il est pourvoyeur de lait, viande, peau, laine… Source de liquidité facilement mobilisable, il constitue également une force de travail non négligeable puisque la traction animale est encore très répandue dans les transports de proximité.
3 milliards de litres de lait par an produit au Maroc
Valorisé en moyenne à 400 euros les 1 000 litres, le lait est acheminé vers un centre de collecte situé à proximité avant de prendre la direction d’une usine située à 300 kilomètres à la frontière algérienne. Les veaux, croisés avec des races à viande, sont vendus entre 8 et 12 mois, en moyenne 2 500 euros. Les fermes laitières comme celles de Dadi Mohamed sont légion au Maroc puisque 80 % de la production est assurée par des petits éleveurs comme lui. Le Maroc produit ainsi 3 milliards de litres de lait par an. La filière laitière génère un chiffre d’affaires de 13 milliards de dirhams dont 7 milliards reviennent aux acteurs de l’amont dans le monde rural, et représente 460 000 emplois permanents. L’aval concentre 2 700 centres de collecte de lait et 82 usines laitières détenues notamment par Danone avec la marque AIB Bledi (le lait de mon pays), et la coopérative Copag.
Vendre la génétique bovine et ovine française au Maroc
"L'enjeu aujourd'hui pour le Maroc est de repeupler son cheptel bovin et ovin qui a reculé de près de 30 % en raison des sécheresses successives, de l'inflation, et de la guerre en Ukraine qui a fortement impacté la disponibilité et le coût en fourrages pour les animaux", résume Noureddine Belkadi, consultant senior en agriculture et élevage au Maroc et agent du Sommet de l'élevage au Maroc. L'an dernier, au Salon international de l'agriculture du Maroc (SIAM) de Meknès, un accord-cadre de coopération avait été signé entre Interbev et Maroc lait, l'interprofession laitière marocaine, portant sur l’approvisionnement de 18 000 génisses laitières sur trois ans.
"Afin de garantir un approvisionnement suffisant et régulier en lait conformément aux objectifs fixés par le contrat programme de la filière lait signé en 2023 par Maroc Lait avec le gouvernement marocain, un renforcement de la coopération avec la France doit permettre de sécuriser en volume et en qualité les approvisionnements du royaume en génisses laitières (holstein et montbéliarde essentiellement) dont la France est l’un des principaux fournisseurs", poursuit Noureddine Belkadi.

Le Maroc, locomotive du développement de l'élevage africain
En viande, là aussi, les marocains lorgnent sur la génétique française, d'ailleurs peut-être encore davantage que sur l'export d'animaux vivants. Si la France a vendu 15 000 broutards au Maroc en 2024 contre seulement 200 deux ans auparavant, le manque de disponibilité actuel des bêtes françaises complique la donne. Le coût aussi des animaux. Prenez Monsieur El Bouhdidi à la tête de Biobeef, premier abattoir privé du Maroc, il tourne actuellement avec 80 % d'animaux venus… du Brésil. L'établissement qui travaille six jours sur sept, abat en moyenne 1 500 bovins par mois et près de 1 000 ovins par jour.

Saïd Tazni, directeur génétique et zootechnie de l'Association Nationale des Producteurs de Viandes Rouges confirme l'intérêt actuel de l'élevage marocain pour la génétique française : "Charolaises, limousines, salers… sont des races prisées pour le croisement avec le tout-venant car nous n'avons plus de races locales, c'est un métissage permanent. On cherche du savoir-faire, de la technologie. Nous avons en projet la création d'un centre d'insémination". Objectif : faire du Maroc, la porte d'entrée du développement de l'élevage du reste de l'Afrique.
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L'interprofession française et par ricochet, le Sommet veulent voir plus loin en bâtissant des accords commerciaux solides et durables avec le Maroc, comme avec d'autres pays d'ailleurs, histoire de permettre aux éleveurs de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier.