Vinification : trois levures non-Saccharomyces à (re) découvrir
La microbiologie du vin est fascinante, mais complexe. Focus sur trois souches de levures pouvant avoir un intérêt pour vos vins.
La microbiologie du vin est fascinante, mais complexe. Focus sur trois souches de levures pouvant avoir un intérêt pour vos vins.
Schizosaccharomyces pombe dégrade l'acide malique
Dans le Vaucluse, c’est aussi en suivant le malique que Fabien Chanavas, vigneron au domaine du petit bonhomme, s’est rendu compte que S. pombe était présente dans ses moûts. « C’est la première fois que ça m’arrive. Il y en avait dans toutes mes cuves, peut-être un effet millésime ? D’après mon œnologue conseil, cette levure transforme le malique en éthanol. Je constate toutefois un impact limité sur le TAV final », indique le vigneron.
Toujours dans le Vaucluse, c’est volontairement que Grigori Germain, caviste à la cave coopérative Terres Valdèze, a eu recours au service de S. pombe. « Je m’en suis servi pour stabiliser mes rosés sans sulfites vis-à-vis du malique », relate-t-il. Il rapporte que la levure dégrade environ 0,3 g d’acide malique par litre et par jour, et ne survit pas au-delà de 8-10 % d’alcool. « C’est pourquoi pour faire des vins sans sulfites, elle convient sur des moûts qui ne contiennent pas trop de malique, comme le grenache noir », révèle Grigori Germain. Il conseille d’inoculer S. pombe deux à trois jours avant les Saccharomyces, afin de bénéficier au mieux de son action. Cette souche, proposée seule ou en cocktail avec une autre non-Saccharomyces par les fabricants, est parfois considérée comme une souche indésirable car elle altérerait l’organoleptique des vins. À tort, d’après nos trois vignerons.
Lachancea thermotolerans acidifie les moûts
Parce qu’elle est capable d’acidifier les moûts en produisant de l’acide lactique à partir de sucre, la levure Lachancea thermotolerans occupe une place prépondérante dans les projets de recherche des dernières années. Le Centre du rosé, en partenariat avec l’IFV et Chr. Hansen, s’est penché sur l’intérêt de cette souche pour adapter la vinification des rosés de Provence au changement climatique. « Nous nous sommes intéressés à son impact sur la couleur de nos vins et sur leur profil organoleptique », expose Matthias Bougreau, porteur de projets œnologie au Centre du rosé.
Les essais ont été réalisés en 2020 sur vendanges manuelles macérées 4 heures à 16 °C avant pressurage. L. thermotolerans a été ensemencée à 20 mg/l, puis, trois jours après, les chercheurs ont ajouté une S. cerevisiae à la même dose. Une seconde modalité avec des vins oxygénés avant FA a également été mise en place. Les résultats ont été comparés au témoin non ensemencé avec L. thermotolerans. « Après deux mois de stockage, le témoin présentait 0,03 g/l d’acide lactique, contre 1,56 g/l dans la modalité sans oxygénation et 2,3 g/l dans celle avec oxygénation », relate Matthias Bougreau.
Le chercheur a par ailleurs constaté une perte de couleur rouge et une hausse des nuances orangées dans les deux modalités ensemencées avec la non-Saccharomyces. « Nous avons obtenu un profil fruité similaire entre le témoin et la modalité 1, avec toutefois moins de thiols et de notes amyliques dans le vin ensemencé avec L. thermotolerans. La modalité oxygénée présentait en revanche davantage de fruits secs et mûrs, d’épices, ainsi qu’une perte de gras et de sucrosité », constate le responsable projets. Il note que les vins ensemencés avec L. thermotolerans ont été globalement plus appréciés par les dégustateurs. « Cela offre une palette de possibilités en termes d’assemblage », conclut Matthias Bougreau. L. thermotolerans est au catalogue de la plupart des fournisseurs de produits œnologiques.
Starmerella bacillaris réduit la quantité d’alcool
En thèse à l’IUVV de Dijon, Antoine Gobert a étudié la souche Starmerella bacillaris, aussi appelée Candida zemplinina, pour ses capacités désalcoolisantes, la levure ayant un mauvais rendement en éthanol. « On l’utilise pour favoriser le métabolisme respiro-fermentaire et favoriser la production de biomasse », expose Hervé Alexandre, qui a encadré ses travaux. Ensemencée deux jours avant S. cerevisiae sur des moûts de syrah, S.bacillaris a permis de réduire le degré alcoolique final de 1,65 %, avec une acidité volatile de 0,4 g/l et un pH stable. Le profil aromatique du vin a été jugé conforme au témoin. « L’ampleur de la réduction du TAV dépend de la matrice et du process d’élaboration. Il faut bien contrôler les apports d’oxygène, de nutriments et le moment auquel on ajoute S. cerevisiae. On obtient toujours de meilleurs résultats à l’échelle pilote qu’à l’échelle du terrain », tempère Hervé Alexandre. Le fabricant Chr. Hansen, qui a financé une partie des recherches, devrait prochainement commercialiser S. bacillaris.
D’autres essais, menés cette fois par la chercheuse italienne Giorgia Perpetuini, de l’université de Teramo, apportent quelques précisions complémentaires sur l’impact aromatique de la levure. Elle a étudié la souche, en co-inoculation avec S. cerevisiae, avec et sans ajout de copeaux dans le vin. Dans une troisième modalité, l’italienne a introduit S. bacillaris sous forme de biofilms directement adhérés sur les copeaux de chêne. « Cette dernière modalité s’est révélée produire des vins avec davantage de glycérol et d’esters », a commenté Giorgia Perpetuini lors de la présentation de ses travaux au dernier congrès Enoforum. Elle a par ailleurs constaté un décalage sur les départs en fermentation de deux jours par rapport aux deux autres modalités, sans toutefois que cela n’impacte la composition chimique du vin.
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