Vers une autorisation de l’électrodialyse en bio ?
Une pétition demandant l’autorisation d’utiliser l’électrodialyse pour la stabilisation tartrique des vins bio circule actuellement sur internet et a recueilli près de 100 signatures. Pourtant, cette demande ne fait pas l’unanimité au sein de la profession, et semble avoir peu de chance d’aboutir. Explications.
Une pétition demandant l’autorisation d’utiliser l’électrodialyse pour la stabilisation tartrique des vins bio circule actuellement sur internet et a recueilli près de 100 signatures. Pourtant, cette demande ne fait pas l’unanimité au sein de la profession, et semble avoir peu de chance d’aboutir. Explications.
On la connaît surtout sous le nom d’électrodialyse, mais cette technique, qui vise à prévenir la formation de cristaux de tartre dans les vins, revient sur le devant de la scène sous un nouveau nom : la « stabilisation écosélective ». À l’origine de ce changement de dénomination, Œnodia, la division œnologie du groupe Eurodia, qui a mis au point cette technologie avec l’Inrae dans les années 90. « Électrodialyse, c’est un peu barbare comme nom. Et surtout ça ne reflète pas les nombreux atouts écologiques de cette technique », lance Yannick Le Gratiet, directeur général d’Œnodia.
Une méthode physique qui débarrasse le vin des ions instables
L’électrodialyse est une méthode séparative qui consiste à soumettre le vin à un champ électrique continu, ce qui a pour conséquence d’entraîner la migration des ions tartrate, potassium et calcium à travers une membrane. Débarrassé de ces ions qui risquent de précipiter par la suite, le vin est ainsi stabilisé. « La consommation en électricité est vingt fois inférieure à celle nécessaire pour stabiliser par le froid, l’une des méthodes principalement utilisée aujourd’hui », pointe Yannick Le Gratiet. D’après ses calculs, un traitement par électrodialyse consomme 0,2 kWh/hl. Cette économie d’énergie, personne ne la remet en question du côté des opposants. « Mais ça consomme de l’eau », pointe Stéphane Becquet, conseiller en vinification chez les vignerons bio de Nouvelle Aquitaine (VBNA). « On consomme environ 5 l/hl, et en ajoutant un osmoseur, on peut recycler 60 à 90 % de l’eau. Nous travaillons par ailleurs sur une solution pour réutiliser les cristaux de tartre », se défend le directeur d’Œnodia. Une possibilité qui n’est toutefois pas sans répercussion sur le coût de l’installation ou de la prestation lorsque cette étape est externalisée. Autre argument avancé par les défenseurs de la stabilisation écosélective : aucun additif n’est nécessaire. « À l’heure où le consommateur est de plus en plus vigilant sur les intrants utilisés dans le vin, on ne peut pas ignorer le bénéfice de cette technique », considère Jean-Fred Coste, président de la cave d’Héraclès, dans l’Hérault et administrateur Sudvinbio. Pour rappel, l’ajout d’acide métatartrique est la seconde technique autorisée en vinification biologique, en plus du froid.
Si l’électrodialyse n’a pas été retenue dans le cahier des charges de la vinification biologique en 2012, c’est avant tout parce que les technologies physiques ne s’inscrivent pas dans la philosophie bio, et qu’il existait des alternatives. « L’électrodialyse ne mime pas un effet naturellement observé dans le vin et crée une modification de la composition naturelle du produit, ce qui en quelque sorte le dénature », explique Valérie Pladeau, chargée de mission qualité et œnologie chez Sudvinbio. Un argument pas vraiment recevable pour les partisans de la stabilisation écosélective. « Je ne connais personne qui est capable de reconnaître un vin stabilisé par électrodialyse via la dégustation », s’amuse Jean-Fred Coste. Mais l’autoriser en vinification bio, c’est en quelque sorte ouvrir la boîte de Pandore. « Cela poserait nettement plus de problèmes dans le secteur des jus de fruits, où l’impact serait bien plus marqué », estime Stéphane Becquet, des VBNA.
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Des discussions en cours avec le gouvernement et le Parlement européen
Sans compter que la procédure réglementaire pour modifier un point pour lequel la Commission européenne a déjà statué, et alors que des alternatives existent, est extrêmement compliquée. « L’Europe est globalement à l’écoute des demandes de la France. Mais rouvrir un dossier déjà classé c’est prendre le risque de ne pas être pris au sérieux dans les futures négociations », expose Yves Dietrich, vigneron au domaine Achillée, en Alsace, et président de la commission vin bio du Comité national de l’agriculture biologique (Cnab) de l’Inao. Ce qui n’a toutefois pas empêché Œnodia de faire du lobbying auprès des hautes instances décisionnelles. En février et mars dernier, la question d’introduire la technique en bio a ainsi été posée au gouvernement par trois députés membres de l’Anev (Association nationale des élus de la vigne et du vin), dont Philippe Huppé, député de l’Hérault. Ce qui a abouti à une proposition d’audit de la société Œnodia par la commission d’études vigne et vin de l’Assemblée nationale. Une députée européenne, dont l’identité n’a pas été dévoilée, a par ailleurs prévu de poser la question au Parlement européen. « On ne demande pas que ce soit la seule technique, mais au moins qu’elle soit autorisée afin que les bio puissent avoir le choix », se défend Yannick Le Gratiet. Du côté de l’Inao, on explique qu’il n’est pas non plus souhaitable de montrer que le règlement bio est un texte que l’on peut remanier aisément.
« Je comprends les arguments d’Œnodia et en soi je n’ai rien à redire sur le process », expose Yves Dietrich, du Cnab. Mais ce dernier adopte une position ferme : la France ne s’opposera pas à l’introduction de l’électrodialyse dans le cahier des charges bio si d’autres pays membres le réclament, mais ce n’est pas elle qui en fera la demande. « On n’est pas ici face à une impasse technique et notre priorité est de concentrer nos efforts sur les sujets où il y en a », lance Yves Dietrich. Les Vignerons indépendants de France, le laboratoire Dubernet-œnologie et de nombreuses caves coopératives d’Occitanie ont affiché leur soutien à Œnodia en signant la pétition. Affaire à suivre…
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Une pratique qui divise fortement les régions
La question d’autoriser l’électrodialyse en bio fait l’objet de discussions au sein de France Vin Bio, l’association nationale qui regroupe la plupart des interprofessions régionales de producteurs de vins bio. Et le sujet est loin de faire l’unanimité. « C’est un débat qui est très marché-dépendant et produit-dépendant », analyse Stéphane Becquet, conseiller en vinification aux Vignerons bio de Nouvelle Aquitaine (VBNA). La région qu’il représente s’est positionnée contre. « On a un réseau bien en place de prestataires qui assure la stabilisation par le froid, on n’a pas besoin d’une autre technique », expose-t-il. Le Val de Loire a adopté le même positionnement. En revanche dans les vignobles plus au sud, la mobilisation est plutôt en faveur de la stabilisation écosélective. Le bio y connaît une forte montée en puissance, y compris chez les gros opérateurs tournés vers l’export. « Nous produisons beaucoup de blancs et de rosés, or le consommateur a beaucoup plus de mal à accepter les précipitations tartriques dans ces vins par rapport aux vins rouges », déplore Jean-Fred Coste, président de la cave d’Héraclès et administrateur Sudvinbio. Il met par ailleurs en avant une influence marquée du réchauffement climatique dans la région, provoquant une « explosion des dépenses énergétiques au cours des dernières années », d’où l’intérêt pour des techniques peu énergivores. « Il faut admettre qu’en bio, il n’y a pas qu’une chapelle », souligne Jean-Fred Coste.