Un enherbement du cavaillon de la vigne à raisonner au cas par cas
Avec la limitation du glyphosate, beaucoup de vignerons tentent de couvrir le cavaillon de diverses espèces. Avec plus ou moins de succès. Retours d’expériences.
Avec la limitation du glyphosate, beaucoup de vignerons tentent de couvrir le cavaillon de diverses espèces. Avec plus ou moins de succès. Retours d’expériences.
Nombre de viticulteurs se sont lancés dans des essais d’enherbement du cavaillon afin d’arriver à diminuer ou stopper le désherbage chimique. Leurs résultats corroborent les expérimentations menées un peu partout en France par les instituts de recherche. L’ATV 49 note ainsi qu’avec un enherbement localisé sous le cavaillon et un interrang travaillé, un début de concurrence s’observe au bout de trois à quatre ans. Les essais de Laure Gonthier de l’IFV pôle Midi-Pyrénées démontrent quant à eux qu’en enherbement total, la concurrence est très importante rapidement.
De son côté, l’IFV pôle Bourgogne-Beaujolais-Jura-Savoie a mis en évidence qu’un enherbement naturel maîtrisé (ENM) pouvait être intéressant dans certaines zones. « Chez nous, il y a de la vulpie, une graminée qui sèche vite et ne concurrence pas trop la vigne », indique Jean-Yves Cahurel de ce dernier organisme. De même, il souligne que les semis peuvent être très difficiles à réussir. À chacun donc de trouver chaussure à son pied, selon ses objectifs de production et son terroir.
Attention aux complants
En Indre-et-Loire, Philippe Boucard, exploitant à Bourgueil, a réalisé des essais sur 5 hectares durant trois ans, dans les années 2000. Et ce, sur ses trois types de sols : argilo-calcaires, graveleux, et argilo-siliceux. Il semait du trèfle incarnat, du pâturin et des fleurs à la main après passage d’un Actisol. Avec un résultat décevant. « Sur les graviers, nous avions une bande de 50 cm enherbée sous le rang et les interrangs travaillés mécaniquement, détaille-t-il. Malgré cela, les complants n’ont pas réussi à décoller. Ils n’arrivaient pas à concurrencer l’herbe ».
Par ailleurs, l’entretien de ce semis au rotofil déchiquetait les manchons. Sur ses tufs argileux, le résultat s’est avéré un peu meilleur dans la modalité « enherbement de l’interrang un rang sur deux ». « C’était un peu moins dur pour la vigne mais pas la panacée tout de même, poursuit-il, car cela impliquait un travail du sol dans certains interrangs, ce qui a compliqué le passage de la machine à vendanger. » Dans la modalité « 100 % enherbement », les complants, et même les vieux ceps, ont beaucoup trop souffert. Mais le plus compliqué a été sur les sols argilo-siliceux. « Là, c’est simple, la vigne ne poussait plus du tout », décrit-il.
Autres bémols, Philippe Boucard précise qu’il faut pouvoir tondre en cas de menace de gel de printemps car la vigne est dans les trèfles à ce moment, et que c’est une technique gourmande en fuel, du fait des passages répétés du rotofil à vitesse lente. Une expérience non concluante donc, qu’il a abandonnée. « J’avais fondé beaucoup d’espoirs dans cette pratique, mais ce n’est pas top, regrette-t-il. Si on ne complante pas et qu’on travaille mécaniquement l’interrang, ou sur des terres très argileuses, c’est jouable. Sinon je ne recommande pas. »
Laisser le trèfle deux ans puis l’étouffer
Teddy Martin, viticulteur à Janvry dans la Marne, a quant à lui testé le micro-trèfle en plein, avec succès, que ce soit sur ses sols sableux, argileux ou sablo-argileux. « Je l’ai semé en 2016, témoigne-t-il. La première et la seconde année, c’était formidable. En revanche, la troisième année, la vigne a commencé à peiner. » Ni une ni deux, le vigneron détruit alors son couvert, en l’étouffant avec un mulch végétal. Mais l’année suivante, la vigne était magnifique. « Les raisins étaient très beaux et de qualité, explique-t-il. Je me suis dit que c’était peut-être un hasard. » Pour en avoir le cœur net, il recommence un semis sur 30 ares. Avec à nouveau le même résultat : une vigne très belle après la destruction du trèfle en troisième année.
Le micro-trèfle étant assez onéreux, Teddy Martin pense passer au trèfle incarnat. « J’ai essayé du seigle, de la moutarde, de l’avoine, mais c’est le trèfle qui est le plus concluant, estime-t-il. Il étouffe très bien la concurrence et fait un très bon apport dans le sol. » Au final, il pense réaliser des sortes de rotations : implanter du trèfle incarnat durant deux ans et l’étouffer.
Des plantes aromatiques contre le mildiou
De son côté, Michel Issaly, à Gaillac dans le Tarn, a planté en 2020 des plantes aromatiques : origan, sauge médicinale et sarriette (espèce moins convaincante), qu’il entretient au rotofil manuel. « Cela fait un tapis végétal durant l’été, qui concurrence bien l’herbe et permet au sol de conserver fraîcheur et humidité, avance le vigneron. Cela atténue le stress hydrique qui est un gros souci chez nous. »
Il a opté pour ces plantes médicinales dans l’optique de limiter les maladies cryptogamiques : « l’origan et la sauge libèrent des matières actives similaires à ce que l’on met dans les préparations biodynamiques pour lutter contre le mildiou », remarque-t-il. Cette année, il n’a eu que peu de mildiou mais ne sait pas si c’est l’effet des plantes ou de ses traitements. Dans un futur proche, il envisage de récolter ces herbes, de les faire sécher et de les commercialiser, afin de renforcer la résilience de son exploitation. Un enherbement du cavaillon qui joue donc sur plusieurs tableaux à la fois.
De l’ENM pour moins d’érigéron et d’amarante
Alain Kuehn, vigneron alsacien basé dans le Haut-Rhin à Sigolsheim, pratique pour sa part l’enherbement naturel maîtrisé sous le cavaillon depuis deux ans, avec succès. Mais avant d’en arriver là, il a testé de nombreuses autres solutions : butage/débutage, étoiles Kress, enherbement semé… Aucune de ces pratiques ne lui a donné satisfaction. « Lors du travail du sol, à chaque orage, nous avions de l’érosion, se remémore-t-il. Dans les vignes en dévers, il y avait des déplacements de terre. Petit à petit, je suis devenu convaincu que la solution résidait dans un couvert permanent du sol. »
Il a donc testé le semis sous le rang, des essais qui n’ont pas été couronnés par un franc succès : « c’est très dur d’implanter un couvert sur le cavaillon, confie-t-il. Nous n’avons jamais réussi les semis. Sans compter qu’il faut trouver une espèce qui ait un intérêt pour le sol, en effectuant un bon apport. Ce n’est par exemple pas le cas de la piloselle ».
Que ce soit sur ses sables légers, sur ses marnes calcaires, ou ses granites à faible profondeur, toutes les vignes (plantées de 1,40 à 1,60 m de large) ont donc à présent le cavaillon couvert d’ENM. Alain Kuehn roule ce couvert une à deux fois par saison, selon l’année, avec un rolofaca intercep. « J’obtiens ainsi un paillage qui protège le sol », se réjouit-il. Depuis, il n’a plus ni d’érigéron, ni de morelle, ni d’amarante ! « Les rares qu’on a sont étouffés par l’ENM », se félicite-t-il. Ce couvert ne pose pas de problème particulier. Le vigneron relève ses vignes à l’aide d’une palisseuse Ero à ficelles, ce qui fait qu’il n’a pas de fils mobiles au sol. Le seul bémol réside dans la légère baisse des rendements. « Je pense que j’ai été mal conseillé au départ, confesse-t-il. Mais à présent, notre taux de matière organique remonte et notre rendement avec. » Ses sols, dont les interrangs sont enherbés en semis direct, ont une très bonne portance et une porosité « extraordinaire ». Pour rien au monde Alain Kuehn ne reviendrait à présent en arrière.
« C’est très dur d’implanter un couvert sur le cavaillon, nous n’avons jamais réussi nos semis », déplore Alain Kuehn, viticulteur alsacien.
voir plus loin
Bientôt de l’hydroseeding ?
Depuis plusieurs années, diverses entreprises proposent des semoirs à l’eau. C’est le cas d’I-cubed, Urbavert, ou encore de Finn. L’objectif est de faciliter l’implantation des semences grâce à cette technique dite hydroseeding, ou hydromulching. Chez certains, une lame d’eau ouvre le sol puis les graines, ou un mélange contenant les graines et de l’engrais, sont déposées dans le sillon. Chez d’autres, l’eau sert à projeter les graines ou le mélange sur le sol.
Cette technique est testée dans le Bordelais depuis 2019, dans le cadre du projet Essor. Avec des résultats pour le moment mitigés : « nous n’avons pas de retour concluant, rapporte Pierre Dufaure, de chez Banton et Lauret. Sur mon GFA, j’ai des sols propices à la germination et ça a bien marché l’an dernier. En revanche sur des sols plus lourds et avec un taux de salissûre important sous le rang, ça n’a pas du tout germé ». Rendez-vous dans quelques mois pour faire un point sur les semis réalisés fin août 2021.