Quand les vignerons embouteillent sans capsule
Depuis la levée de l’obligation de la capsule représentative de droit (CRD) en 2019, des bouteilles de vin osent se passer de capsules. Témoignages de vignerons et professionnels ayant sauté le pas.
Depuis la levée de l’obligation de la capsule représentative de droit (CRD) en 2019, des bouteilles de vin osent se passer de capsules. Témoignages de vignerons et professionnels ayant sauté le pas.
Une motivation environnementale
Motivation principale de ce changement dans l’habillage des bouteilles : l’enjeu environnemental. « Dans notre démarche d’élaborer une gamme de vins écoconçue, nous avons trouvé des alternatives pour tous les composants de la bouteille, mais aucune pour la capsule, explique Charles Lamboley, directeur marketing et communication des caves Terres Secrètes et Nuiton-Beaunoy, respectivement situées à Prissé en Saône-et-Loire et Beaune, en Côte-d’Or. La solution a donc été de la retirer totalement. » Depuis mars 2022, les vignerons des deux caves ont lancé la gamme Cerço, dont les bouteilles se veulent plus durables, notamment en générant moins de déchets.
Un exemple qui montre que le retrait des capsules fait souvent partie d’une démarche globale, visant à repenser l’ensemble de l’habillage. C’est le cas du domaine Bassac, situé à Puissalicon dans l’Hérault, dont la gamme de blanc, rouge et rosé nommée Empreinte se passe de capsule depuis maintenant un an. « L’objectif étant de réduire l’empreinte écologique de la bouteille, cette dernière fait également l’objet d’une consigne dans les magasins Biocoop, et ses étiquettes sont en papier recyclé », explique François Delhon, propriétaire du domaine.
Supprimer les capsules, une décision chronophage ?
Même si le caractère non recyclable de la capsule a beaucoup joué, pour Pierrick Bouley, propriétaire du domaine éponyme, situé à Volnay en Côte-d’Or, le délai de livraison a également fait pencher la balance. « Aujourd’hui, on peut attendre ses capsules entre six mois et un an, fustige-t-il. L’année dernière, tout était prêt et on n’attendait plus que ça ! » Si bien que depuis maintenant un an, toutes ses bouteilles destinées à l’exportation (soit 80 % de sa production) se passent de capsule.
Ce choix a un impact variable sur le temps de travail, notamment en fonction du circuit de commercialisation. « Pour l’exportation, rien ne change administrativement, puisqu’il fallait déjà remplir un DAE (document administratif électronique) avec les capsules », explique Pierrick Bouley. En revanche, ce n’est pas la même paire de manches sur le marché français : « cela implique de remplir un papier supplémentaire, et donc forcément une perte de temps », poursuit le vigneron bourguignon. Car, si la vente à des particuliers se contente de la mention « produit soumis à accises » sur la facture, les ventes à des professionnels font l’objet de démarches supplémentaires. « Les bouteilles doivent être accompagnées d’un document simplifié d’accompagnement (DSA) », détaille Étienne Delanoy, cocréateur de la marque de négoce de vins La dame bleue, dont les bouteilles sont écoconçues, réemployables et sans capsule depuis 2020. Pour chaque vente, le fournisseur en conserve un exemplaire, et l’autre suit la livraison. « Dans tous les cas de figure, il est obligatoire de réaliser mensuellement une déclaration de douane, par exemple via le logiciel Ciel », ajoute-t-il.
Pour François Delhon, dont les vins sont commercialisés par Biocoop, ces démarches additionnelles n’ont pas été contraignantes. « On ne voit pas la différence ! Notre logiciel de gestion commerciale s’occupe des déclarations douanières, et il n’y a plus qu’à remplir les DSA », détaille-t-il.
Le sans capsule est bien accepté par les consommateurs
Restauration, export, magasins spécialisés, particuliers sont autant de circuits de distribution où l’absence de capsule est bien vécue par les clients, voire plébiscitée. « Sur notre gamme vendue chez Biocoop, nous n’avons eu aucun retour négatif, à l’inverse, on nous a plutôt complimentés. Le tout est de connaître sa clientèle et de tester ! » affirme François Delhon. De même, à l’export, « les vins californiens sont déjà commercialisés avec bouchon apparent depuis quelque temps », rapporte Pierrick Bouley.
En revanche, la grande distribution, et notamment ses acheteurs, est encore très réticente à cette démarche même si les mentalités évoluent peu à peu. « Nous avons réussi à vendre nos bouteilles en grande distribution, et aujourd’hui on continue de recevoir des commandes », affirme Etienne Delanoy. Avant de se passer de capsule, il est donc indispensable de cibler un marché adéquat.
Du côté financier, les vignerons sont presque unanimes. Les capsules étant peu onéreuses, la différence est minime, sauf dans le cas d’un gros stock. « Une capsule coûte seulement trois centimes », rappelle François Delhon. Mais pour Pierrick Bouley, dont le stock est plus important, cette petite économie est tout de même significative : « sur une bouteille, le coût de la capsule n’est pas énorme, mais dès qu’on commande un stock pour plusieurs années, la dépense grimpe ! » De quoi réfléchir avant de passer commande auprès de son capsulier…
Le Champagne se coiffe de papier
Du côté de la Champagne, la coiffe en aluminium laisse parfois sa place au papier. Depuis maintenant un an, le champagne Pierre Trichet coiffe de papier sa cuvée rosée de saignée. Le changement a entraîné des coûts plus importants (de quelques centimes à un euro par coiffe) et l’achat d’une machine adaptée. Mais Émeline Cordy, en charge du développement marketing, communication et export des champagnes Pierre Trichet, est formelle : « la coiffe en papier, c’est l’avenir pour le champagne ! ». Elle espère qu’avec l’augmentation de la demande, les prix seront amenés à diminuer.
La capsule, nécessaire pour de longs trajets ?
Pour les vignerons interrogés, l’absence de capsule n’entraîne aucun préjudice de conservation pour le vin vendu en France. « Les capsules sont microperforées, car on veut que le vin respire à travers le bouchon. Les échanges ont donc toujours lieu sans », affirme Charles Lamboley. Pour François Delhon, il en va de même : « la capsule n’a aucun intérêt dans la conservation, le tout est dans le choix du bouchon ! » appuie-t-il.
En revanche, lorsque les bouteilles sont destinées à parcourir des milliers de kilomètres, la question mérite d’être étudiée. En 2019, Carole Puech, chargée d’étude pour l’Institut rhodanien, a démontré l’intérêt de la capsule, dans certaines conditions. « Nous avons voulu étudier le maintien des bouchons pendant des transports longue distance, en présence de capsule ou non, plante la chercheuse. Pour cela, nous avons suivi des bouteilles à destination de Shangaï et du Mexique, dans les deux conditions. »
Résultat, les bouteilles sont arrivées à destination avec un bouchon sorti jusqu’à 2,5 cm au-dessus du col sans capsule, alors qu’ils n’ont pas bougé en présence de capsule. Néanmoins, Carole Puech tient à nuancer : « il s’agit de trajets où les températures sont montées au-delà de 50°C, ce qui arrive très rarement ! Pour des températures inférieures à 35°C, je n’ai jamais observé de résultat semblable ». Elle précise également que le maintien du bouchon par les capsules n’empêche pas le vin de sortir, puisque toutes les bouteilles expédiées à Shanghai ont été retrouvées couleuses à l’arrivée.
Mais pour se prémunir de tout risque lors de l’exportation, Pierrick Bouley met toutes les chances de son côté. « Nous mettons un peu plus d’argent dans l’achat de cartons pour qu’ils soient assez solides, et ça marche », conclut-il.