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[Covid-19] Marché du vin : ne pas rater la reprise de l'activité

À l’inverse de la crise de 2008, les analystes attendent un rebond de l’économie rapide dès la fin de l’année. La reprise de l’activité commerciale sera toutefois progressive, et méritera une stratégie d’accompagnement.

Les expéditions de vin pourraient connaître un rebond dans les mois qui viennent, les Français ayant consommé leurs stocks pendant le confinement.
© J.- C. Gutner

Ce qu'il faut retenir

  • Les économistes attendent une forte croissance dans le monde entier pour 2021, et un rebond possible dès septembre. Un contexte favorable pour le vin, mais qui pourrait s’accompagner de politiques protectionnistes renforcées.
  • Le retour à la normale sera progressif et le commerce risque d’être encore fortement impacté cet été. Une partie du volume non commercialisé sera reportée sur la fin d’année, une autre perdue à cause de la baisse de consommation.
  • Les vignerons devront être proactifs dans les prochains mois, multiplier les contacts avec leurs clients, ne pas manquer de communiquer, utiliser intelligemment la promotion et être assez agiles pour répondre aux différentes opportunités.

 

Déroutante. C’est peut-être le mot qui caractérise le mieux la crise inédite que nous fait vivre l’épidémie de Covid-19. Et pourtant, il faut bien préparer l’avenir en dépit du flot d’incertitudes, et ne pas se laisser endormir par la situation. Estimer la conjoncture du secteur vin des prochains mois, c’est ce que l’on essaie de faire à l’université de Bordeaux grâce à des modèles de prévision. « Les analystes et les grands instituts prévoient un retour à la croissance avec une courbe en V ou en U. Selon comment se déroule le déconfinement dans le monde, on peut attendre soit un rebond en septembre, soit un plancher sur la fin d’année et un rebond en 2021 », relate Jean-Marie Cardebat, économiste du vin à l’université de Bordeaux. Avec des récessions annoncées dans le monde entier, 2020 sera une année compliquée. L’export global de vin devrait chuter de 10 à 20 % sur la période. Toutefois, l’économiste relève aussi des signaux positifs. La relance attendue pour les deux derniers trimestres de l’année devrait faire grimper les PIB. Et les prévisions de croissance économique pour l’année prochaine sont encourageantes : + 4,7 % dans la zone euro et aux États-Unis, + 6 % dans les pays en développement et + 9,2 % pour la Chine. « Or le marché du vin, et à plus forte raison pour les appellations de Bordeaux et Bourgogne, réagit beaucoup à un tel paramètre », assure Jean-Marie Cardebat.

Les consommateurs devraient refaire les stocks entamés pendant le confinement

Le rebond de fin d’année, c’est ce qu’attendent aussi certains professionnels. Sur la Manche, Frédéric Bossis, gérant des magasins Wine Beer Supermarket à Roscoff et Cherbourg, fait 70 % de son chiffre d’affaires (4 millions d’euros) avec le commerce transmanche. Il est prêt pour le jour où les bateaux circuleront de nouveau, et attend un second semestre dynamique. « Une partie du marché sera perdue, car la saison touristique sera perturbée et la consommation des Britanniques a été différente ces derniers mois. Mais pour ceux qui viennent en ferry faire leurs achats d’alcool il y aura un transfert. Ils n’ont pas pu venir faire leur stock en début de saison mais viendront à la fin. » Si le gérant a freiné les achats auprès des vignerons depuis mars, il a bon espoir de relancer les commandes de plus belle. Même si pour lui, il faudra sûrement dynamiser un peu les ventes en prévoyant des actions commerciales, « sur le rosé par exemple », dit-il. Une enquête menée par l’Association européenne des économistes du vin et la Chaire vins et spiritueux de l’Inseec U met également en avant ce phénomène de réduction des stocks chez les particuliers français, espagnols, italiens et portugais, qui pourrait entraîner de futures hausses d’achats pour reconstituer la cave. " Je suis assez confient pour le segment des vins entre 10 et 20 euros, notamment ", estime Jean-Marie Cardebat. Du côté des États-Unis, l’analyste américain Rob McMillan, fondateur de la Silicon Valley Bank et analyste spécialisé en vin, a lui aussi posté une analyse plutôt optimiste sur son blog. Pour lui, la majorité des Américains mis au chômage par la crise (les ouvriers) ne sont pas les principaux consommateurs de vin. Les classes supérieures, qui sont davantage la cible de la filière, seront dans une situation économique relativement bonne et devraient se remettre rapidement à consommer. Plus encourageant encore, il écrit : « Les Américains ont été forcés de redécouvrir la joie d’un repas préparé en famille à la maison. Une étude montre que la fréquence de consommation du vin au domicile a augmenté dans le même temps, il faut profiter de cette brèche ouverte. »

Le marché du CHR va rester à la peine quelques mois

Toutefois, les professionnels de la filière ne le cachent pas, le retour à la normale sera long. « Les caves coopératives sont prêtes pour la reprise, mais le problème c’est que sur nos marchés tout ne va pas repartir comme avant par le simple fait du déconfinement, ce sera laborieux », regrette Anne Haller, directrice des Vignerons coopérateurs. L’économie du vin est effectivement tributaire de la bonne santé d’autres activités, comme le tourisme ou la restauration. Pour ce dernier secteur, qui représente un tiers de la consommation de vin en France, les modalités de réouverture ne sont toujours pas connues. Mais il est probable que la reprise d’activité ne soit que partielle, distanciation sociale oblige. « Si un restaurateur ne peut servir qu’une table sur deux, cela veut dire la moitié des ventes de vin également », analyse Marie Mascré, directrice associée de l’agence Sowine. Bien que certains restaurateurs parlent déjà d'opérations comme le vin à prix coutant, pour être plus attractifs et dynamiser le secteur, il faudra quoi qu'il en soit composer avec la peur du virus qui sera là pour quelques mois, et risque de retenir encore un peu les gens chez eux. Dès lors, comment accompagner la reprise et faire en sorte qu’elle soit la meilleure possible ? « La première chose à faire est de garder le contact avec ses clients, et si possible aller les voir physiquement, estime Olivier Antoine-Geny, du cabinet AOC Conseils. Puis il faut travailler sur son entrée de gamme et ses BIB, puisque ce sont des segments qui vont continuer à être dynamiques jusqu’en septembre, voire plus en cas de crise économique. Et enfin profiter de la crise pour se mettre au commerce digital, qui a explosé et restera dans les mœurs, maintenant que le pli est pris. » Son collègue Karl-Frédéric Reuter suggère également de faire un travail sur les coûts de revient, afin de connaître ses marges de négociations potentielles. Car l’aspect promotionnel sera sûrement bienvenu pour certains professionnels (cavistes et CHR notamment) et peut dynamiser les ventes. « Je ne suis pas fan de l’idée de ristourne, ce n’est pas bon pour l’image de marque et ça donne des mauvaises habitudes aux acheteurs, accorde Marie Mascré, mais on est tous dans le même bateau : il va falloir jouer collectif, solidaire et responsable. »

Le consommateur a davantage de temps pour s’intéresser au vin via les réseaux sociaux

Olivier Antoine-Geny recommande de ne pas dépasser les 10 % de promotion, une bouteille sur douze étant un ratio plus acceptable. Ou bien de faire des opérations franco de port pour les restaurateurs dès 36 bouteilles, par exemple. « En mettant cela sur le compte de la solidarité et en soulignant le caractère exceptionnel », dit-il. Pour ne pas entacher l’image de sa gamme et liquider les stocks, il est possible également de créer une nouvelle cuvée moins chère en changeant simplement d’étiquette. Dans son blog, l’américain Rob McMillan suggère aux caves californiennes de créer des cuvées spéciales, et d’inclure des concepts « fun ». « N’essayez pas de parler des sols et des techniques d’élaboration, les gens viennent de vivre une expérience difficile et ne veulent pas se prendre la tête. J’ai pu voir par le passé des cuvées nommées « Reconnaissance »… les choses dans ce genre peuvent créer l’achat pour un cadeau », écrit-il. Un « merci » au personnel médical, par exemple. Chez Sowine, tout comme chez AOC Conseil, on préconise par ailleurs de créer du lien avec le consommateur, de communiquer, notamment par le biais des réseaux sociaux. Sans oublier toutefois les courriers, appels téléphoniques et emails pour informer des nouveautés commerciales, création de site marchand ou autre. « Reconquérir les marchés locaux, nationaux voire européens sera une planche de salut, acquiesce Jean-Marie Cardebat. Les États vont avoir des politiques de protectionnisme plus marquées et les consommateurs voudront revenir vers des circuits courts, les opportunités à l’export risquent d’être de plus en plus difficiles. » " Du côté des Etats-Unis La filière l’a bien compris, et commence à se pencher sur la question. « Nous réfléchissons au niveau régional à des stratégies de financement innovantes, informe Manoël Bouchet, président de la Commission marchés et développement au Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB). Car nous aurons besoin d’aides publiques pour accompagner la reprise en investissant dans le marketing et la communication, entre autres. »

" Il est pertinent de relancer ses acheteurs aux Etats-Unis, mais ce n'est pas la peine de reprendre la prospection avant janvier, à cause des élections en septembre " Olivier Antoine-Geny

" Si l'on voulait jouer sur la commercialisation par une baisse des prix, il faudrait faire chuter les tarifs de 20 à 30 % pour absorber la baisse de demande " Jean-Marie Cardebat. D'où la pertinence des mesures de distillation pour assainir le marché...

" Je déconseille de préparer trop de bouteilles étiquettées, afin de s'adapter aux potentiels aléas de marché " Karl-Frédéric Reuter

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