Les suivis de maturité du raisin gagnent en précision
Déterminer la date optimale de récolte peut vite devenir un vrai casse-tête tant les paramètres qui définissent la maturité sont nombreux. Focus sur deux nouveaux outils à disposition des vignerons depuis le millésime 2019, le pénétromètre et le Bacchimeter.
Déterminer la date optimale de récolte peut vite devenir un vrai casse-tête tant les paramètres qui définissent la maturité sont nombreux. Focus sur deux nouveaux outils à disposition des vignerons depuis le millésime 2019, le pénétromètre et le Bacchimeter.
Il semble bien loin le temps où seul le taux de sucre suffisait à déclencher le bal des vendanges. « Aujourd’hui plus personne ne se base sur un degré minimum puisqu’on l’atteint tous sans problème », expose Marie-Laure Badet-Murat, associée chez Œnoteam. Entre le gel, la grêle et la canicule, nombreux sont les professionnels à constater une forte hétérogénéité de la maturité, tant au niveau intra qu’interparcellaire. Pas facile donc, de déterminer une date de récolte optimale. « Les vignerons ont toujours été en demande d’accompagnement mais il est vrai qu’aujourd’hui, il faut intégrer plus de paramètres qu’auparavant avant de prendre une décision », concède la consultante. Sucre, azote, polyphénols totaux, acide malique, acidité totale, à ces analyses « de base » s’ajoute un ensemble d’outils complémentaires développés pour aller encore plus loin dans la maîtrise de la maturité.
Le pénétromètre, un indicateur de la maturité texturale des baies
En Champagne, c’est la sensibilité des baies à la pourriture qui a fait l’objet d’un suivi spécifique lors des dernières vendanges. Pour 1 000 €, le Groupe de développement viticole (GDV) de l’Aube a fait l’acquisition d’un pénétromètre, un outil initialement développé par l’ISVV. Le principe : mesurer la force nécessaire à la tige du pénétromètre pour perforer la pellicule des raisins. « C’est une mesure complémentaire aux analyses classiques qui peut nous permettre d’anticiper des pertes de récolte, conséquence du développement de botrytis », explique Vincent Martin, président du GDV. Un échantillonnage représentatif des 25 parcelles que compte le réseau du GDV dans la Côte des Bar a été sélectionné pour réaliser le suivi à l’aide du pénétromètre. Deux prélèvements de 200 baies par semaine ont été effectués pendant trois semaines. « 2019 est le point 0, il nous faut gagner en expérience sur l’outil et constituer notre base de données, mais nous avons déjà pu constater des modifications importantes de la résistance des baies à l’approche des vendanges », témoigne Vincent Martin. Selon lui, ce constat se vérifie davantage sur les cépages rouges que sur les blancs. « C’est un outil comparatif, nous ne pourrons que tirer des conclusions qu’après 4 ou 5 millésimes », estime le technicien. À terme, le GDV espère pouvoir se servir de ces mesures pour pouvoir anticiper les vendanges de quelques jours, dès lors que la peau s’affine à des niveaux alarmants. « Le pénétromètre pourrait devenir un outil d’aide à la décision déterminant alors que nous craignons que le changement climatique rende nos raisins encore plus sensibles à la pourriture », exprime Vincent Martin.
Bacchimeter permet de mieux appréhender la maturité phénolique
Il y a quelques années, Force A, spécialisée dans le développement de capteurs à destination de l’agriculture, a mis au point le Multiplex, un capteur piéton permettant de mesurer les teneurs en anthocyanes dans les raisins. L’entreprise revient en force en 2019 avec la commercialisation d’une nouvelle version de l’outil, plus ergonomique, plus légère et surtout plus connectée, baptisée Bacchimeter. « Avec Bacchimeter, nous permettons aux vignerons de connaître le potentiel anthocyanes (PA) de leurs raisins, et donc d’avoir une idée plus précise de la maturité phénolique », expose Paul Gougis, directeur commercial de Force A. Basé sur la fluorimétrie, une méthode qui a l’avantage d’être non destructive, le Bacchimeter offre deux possibilités. L’abonnement standard fournit une moyenne par parcelle du PA à partir d’un suivi de 60 grappes par parcelles, tandis que l’abonnement premium permet d’établir une cartographie complète du parcellaire, grâce à des mesures réalisées sur 600 grappes par hectare. « Avec la moyenne, on suit l’accumulation des anthocyanes jusqu’à atteindre un plateau. Avec la cartographie, on va plus loin puisqu’on peut former des lots homogènes grâce à des seuils de PA que l’utilisateur est libre de choisir. Il peut faire par exemple des vendanges sélectives », explique Paul Gougis. Les données sont transmises sur une interface web, où l’utilisateur visualise les courbes d’évolution de PA et/ou la cartographie. Grâce à un code couleur, il sait en un clin d’œil où se situent les zones homogènes vis-à-vis des teneurs en anthocyanes « Ce qui est intéressant, c’est que le zonage permet d’associer une notion de volume de récolte. On peut donc mieux préparer son chantier de vendange », indique Guillaume Comte, technico-commercial chez Soufflet Vigne, distributeur exclusif du Bacchimeter en France.
Une information quantitative pour conforter ou réfuter une décision
Philippe Roux, directeur technique de Château Dauzac en Gironde, 50 de vignes d’un seul tenant en AOC Margaux, fait partie des clients historiques de Force A puisqu’il a commencé par utiliser le Multiplex dès 2014. « On n’arrive pas du jour au lendemain à utiliser un outil comme le Bacchimeter, estime Philippe Roux. Il faut déjà très bien connaître son vignoble avant de pouvoir aller plus loin dans le détail. » Le directeur technique, ex-utilisateur du Mutliplex, apprécie la simplicité d’utilisation et l’instantanéité des réponses fournies par le nouvel outil. « Parfois 'on pense que' et on a une chance sur trois de se tromper. Là, j’ai une information quantitative qui m’aide à prendre les bonnes décisions », résume-t-il. Le vigneron, qui utilise la cartographie, a réalisé deux points sur l’ensemble de son parcellaire dans les dix jours précédant les vendanges. Il a fait quelques mesures supplémentaires sur les parcelles qui semblaient encore en sous-maturité pour affiner ses dates de récolte. « Attention, ce n’est pas parce qu’il y a plus d’anthocyanes que c’est plus qualitatif », avertit le vigneron qui fait à la fois de la vendange différée et de la vendange sélective. À l’heure d’entamer les assemblages, le vigneron apprécie d’avoir une multitude de lots à disposition pour élaborer ses quatre vins. « C’est une liberté qu’on s’achète », souligne-t-il.
De son côté, Christophe Rousseau, directeur technique du Château de Fieuzal, en appellation pessac-léognan, a testé le Bacchimeter en 2019 en collaboration avec Soufflet Vigne. « Pour restructurer le vignoble, j’ai besoin de précision mais j’ai aussi besoin d’acquérir des connaissances très rapidement », développe-t-il. Au domaine, les vins sont assemblés par qualité de raisin homogène. « J’ai deux vins rouges, je cherche donc deux qualités de raisins différentes, les meilleures possible », expose-t-il. Ce qui l’a séduit avec Bacchimeter, c’est l’idée d’avoir un paramètre supplémentaire « pour conforter ses décisions ou au contraire pour prendre conscience de ses erreurs. » Il a réalisé des cartographies d’une parcelle de merlot et d’une parcelle de cabernet sauvignon, dites « de référence » car elles sont les plus représentatives de son vignoble. « C’est la première année, je suis donc dans une phase de prise d’information », précise-t-il. Il a déterminé deux zones de récolte au sein de ses parcelles, vendangées le même jour mais vinifiées séparément. « C’est vrai que ça perturbe un peu les porteurs, et que derrière dans la cuverie, il faut que ça suive », raconte-t-il. Pour Guillaume Comte, les cuveries configurées pour de la sélection parcellaire ne sont pas adaptées pour optimiser le Bacchimeter. « On a vu une vraie différence entre les lots à l’encuvage et pendant les fermentations. Finalement, on a obtenu deux qualités excellentes qui seront assemblées dans le même vin », témoigne Christophe Rousseau qui se dit par ailleurs très intéressé pour réitérer le suivi à l'aide de Bacchimeter en 2020. " Bien que la précision des suivis s'affine, d'autres pistes restent encore à explorer. Un outil pour connaître en temps réel l'état hydrique de la plante pourrait m'intéresser ", glisse Christophe Rousseau. De son côté, Philippe Roux apprécierait d'avoir à sa disposition un outil pour évaluer la qualité des tannins.