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Législatives 2024 : « Les agriculteurs se sentent orphelins d’une certaine offre électorale »

Comment les agriculteurs vont-ils voter dimanche 7 juillet ? Pourquoi votent-ils moins à l’extrême droite que le reste du monde rural ? Vont-ils faire barrage au RN ? Pourquoi le vote RN monte chez les jeunes agriculteurs et d’autres profils agricoles ? François Purseigle, professeur des universités en sociologie répond à ces questions à la veille du second tour des Législatives anticipées.

François Purseigle
"Les agriculteurs se sentent orphelins d’hommes et de femmes politiques qui ne se contentent pas de fantasmer l’agriculture familiale et paysanne", selon François Purseigle, professeur des universités en sociologie.
© Cevipof

Avec votre collègue Pierre-Henri Bono, vous avez distingué 4 types d’agriculteurs en fonction de leur vote dans une récente étude (1) réalisée par le Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris   avec l’INP de l’AgroToulouse. Pouvez-vous les décrire ?

François Purseigle : Même si on assiste à une forme de banalisation, on observe des votes agricoles assez repérables et éclatés en quatre profils qui se regroupent en trois pôles : un pôle qu’on a appelé « écologiste-socio altermondialiste » qui se distingue des autres, est loin d’être majoritaire et vote plutôt à gauche et deux pôles plutôt à droite ; un pôle « libéraux pro-européens et conservateurs floués » (plutôt en faveur de la droite et du centre droit) et un pôle « conservateurs identitaires agrariens » (plus en faveur de l’extrême droite). Le pôle à gauche est moins affirmé que dans le reste de la population. On observe aussi un glissement vers l’extrême droite d’une partie des agriculteurs mais ce n’est pas un basculement. Ce phénomène pourrait prendre plus d’ampleur dans les années qui viennent dans la mesure où les jeunes s’y montrent plus sensibles. 

Les agriculteurs semblent plus résister que le reste des Français et du monde rural.

Pour l’instant il ne s’agit que d’un glissement, les agriculteurs semblent plus résister que le reste des Français et du monde rural

Profils des votes agricoles

Lire aussi : Elections législatives : quels candidats agricoles au second tour le 7 juillet ?

A quoi est-ce dû ?

C’est sûrement lié au flou du programme de l’extrême droite sur l’agriculture et à un vote agricole qui a toujours fait barrage à l’extrême droite notamment dans les terres de l’ouest de la France où domine des agriculteurs pro-européens qui ont du mal avec les idées de l'extrême droite.

Les votes agricoles sont liés au niveau de satisfaction des agriculteurs

Ce qui est intéressant de noter c’est que les quatre profils de votes agricoles sont liés au niveau de satisfaction des agriculteurs. Les votes sont très différents entre les agriculteurs satisfaits de leur vie, comme les  « écologiste-socio altermondialistes » qui ont choisi d’être sur de petites exploitations, qui ont peu manifesté et votent plutôt à gauche, ou encore des agriculteurs à la tête de plus grandes exploitations de polyculture-élevage au revenu élevé qui votent plutôt centre droit, et qui croient encore en l'Europe. Et de l’autre coté des agriculteurs moyennement satisfaits voire très insatisfaits qui ont manifesté et peuvent voter en faveur de l’extrême droite. Parmi les insatisfaits on retrouve des agriculteurs à la tête de grandes exploitations dont les niveaux de revenus ne sont pas faibles mais qui sont déçus de la Pac et des organisations professionnelles. Se situant à droite de l'échiquier, une partie de ces derniers semblent séduits par le programme de Marion Maréchal Le Pen et de Reconquête. Enfin, il existe un autre profil d'agriculteurs qui votent pour l'extrême droite. Il s'agit d'agriculteurs moins formés que les autres, à la tête d’exploitations plus petites, et au revenu plus faible qui votent en faveur de Jordan Bardella

Parmi les insatisfaits on retrouve des agriculteurs à la tête de grandes exploitations dont les niveaux de revenus ne sont pas faibles mais qui sont déçus de la Pac 

Si certaines différences sont notables entre les agriculteurs en bio et les conventionnels, on ne peut pas dire qu'il y a un vote d’éleveurs ou un vote de céréaliers. Le degré de satisfaction de la vie que l'agriculture mène semble plus discriminante.

Mise à jour | Législatives 2024 : quels spécialistes agricoles sur les bancs de la nouvelle Assemblée nationale ?

Quel autre critère joue ?

Le niveau de formation joue aussi chez les plus jeunes. On a des jeunes à la sobriété heureuse qui ont fait le choix de faire des études supérieures et de s’installer sur de petites exploitations et sont satisfaits et de jeunes agriculteurs, plutôt niveau bac, qui se retrouvent assignés à résidence et qui n’ont pas le revenu attendu et votent plutôt à l’extrême droite. Nous sommes en train d'interpréter les réponses à des questions ouvertes posées aux agriculteurs et je suis frappé des verbatims de jeunes agriculteurs pro Bardella qui sont très cinglants. Ils expriment une colère sans nom et en appellent au Frexit. Il y a ici un ras-le-bol exprimé.

L’extrême droite n’est pas reçue de la même manière selon le profil des agriculteurs ce n’est pas seulement lié à un sentiment de déclassement comme on voit dans le reste de la population rurale. Une partie du patronat agricole bien doté économiquement glisse aussi aujourd'hui vers l’extrême droite. 

Lire aussi : Elections européennes : pour qui les agriculteurs vont-ils voter ?

Comment expliquez-vous la montée de la tendance RN notamment chez les jeunes agriculteurs ?

Je pense qu’ils ont une sensibilité plus forte aux réseaux sociaux et on sait à quel point Jordan Bardella y communique facilement. Ces jeunes n’ont pas aussi été sociabilisés comme les anciens notamment des mouvements chrétiens progressistes par exemple. Ils n’ont pas non plus été confrontés aux mêmes évènements politiques, ils n’ont pas été marqués par l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2002. La mémoire est moins importante pour eux comme dans le reste de la population. Mais attention, il n’y a pas une jeunesse agricole mais des jeunesses agricoles.

Lire aussi : François Purseigle : « Nous ne parviendrons pas à remplacer chaque départ par une installation »

Faites-vous un lien entre le glissement vers l’extrême droite et l’évolution de la politique agricole commune ?

Ce que l’on ressent à travers nos enquêtes c’est la volonté des agriculteurs d’être davantage protégés par la PAC. Ils ressentent des injonctions paradoxales voire contradictoires et une incohérence dans les exigences normatives qui s'imposent à leurs exploitations. Ce qui peut expliquer un discours plus critique vis-à-vis de l’Europe. Certains agriculteurs perçoivent l’Europe comme une contrainte et ne voient pas ce qu’elle peut leur apporter. La dimension plus environnementaliste de la dernière PAC avec le Green Deal irrite une partie des agriculteurs mais pas tous. Les écosocioaltermondialistes, qui ne représentent certes que 17 à 18% des agriculteurs, estiment même que ça ne va pas assez loin. Les libéraux proeuropéens ne sont pas non plus trop critiques envers l’Europe, ils sont ouverts sur le monde. 

Lire aussi : Coordination rurale : Véronique Le Floc’h explique pourquoi, selon elle, la mobilisation agricole n’est pas terminée

Est-ce que comme dans la population générale, vous estimez qu’un clivage de plus en plus important se fait ressentir dans les opinions politiques entre les agriculteurs ?

La tripolarisation à l’œuvre ne prend pas la même ampleur selon les blocs. Le bloc de gauche est moins fort chez les agriculteurs que dans le reste de la société. On a un éclatement du vote agricole. Nous ne sommes plus dans les années 70 ou 80 durant lesquelles le vote des agriculteurs était acquis aux Gaullistes et à la droite républicaine. 

Ils ne sont pas seulement orphelins du Gaullisme, du RPR ou de Jacques Chirac mais de politiques et élus locaux proches des nouvelles réalités agricoles 

Les agriculteurs sont orphelins d’une certaine offre électorale. On a une partie du personnel politique qui semblent à leurs yeux "hors sol" sur les questions agricoles. Les agriculteurs se sentent orphelins d’hommes et de femmes politiques qui ne se contentent pas de fantasmer l’agriculture familiale et paysanne. Ils ne sont pas seulement orphelins du Gaullisme, du RPR ou de Jacques Chirac mais de politiques et élus locaux proches des nouvelles réalités agricoles. Une grande partie notamment des élus de la gauche ne se frottent plus au monde agricole.

Lire aussi : Législatives 2024 : quelles promesses sur les principaux enjeux en grandes cultures ?

Depuis quand se sentent-ils orphelins comme vous dites ?

L’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir a marqué la fin d’une époque. Celle où la plupart des grands personnages politiques étaient socialisés à la question agricole car ayant fait leurs classes à la campagne avant de prétendre aux plus hautes fonctions. Plus globalement, je dirais que la rupture s’est faite dans les années 2000. Et le retour de bâton est fort aujourd’hui.

Relire : Elections européennes 2024 : quel enjeu pour les agriculteurs ?

En fonction du paysage du deuxième tour des législatives selon les territoires comment les agriculteurs devraient-ils voter dimanche ? Leur vote se distinguera-t-il des autres catégories socioprofessionnelles du monde rural ? 

Les agriculteurs ne partagent pas les mêmes colères. Mais celles-ci s'apparente à celles de petits patrons. Les agriculteurs restent un électorat d’indépendants.

Les agriculteurs restent un électorat d’indépendants

C’est comme ça qu’il faut l’appréhender. Ils vont raisonner au regard des entreprises qu’ils dirigent. Ce n’est pas le cas de l’électorat rural. Les agriculteurs vont se mobiliser. Après à la question « feront-ils barrage au RN ? », cela va dépendre de la configuration des circonscriptions locales, si la gauche est en face ou s’il y a une triangulaire…

Lire aussi : Elections européennes : comment le RN entend défendre « l’exception agriculturelle française »

En quoi l’arrivée du RN au pouvoir pourrait-elle bouleverser la vie des exploitants agricoles français ?

Il faut admettre que le RN propose une rupture forte et une remise en cause de la cogestion donc il y a de vraies questions en suspens. Le RN pourrait-il cesser de dialoguer avec les organisations majoritaires ? En tous cas Jordan Bardella a violemment critiqué la cogestion et la FNSEA. Ensuite quel cap donnerait le RN ? Un cap de souverainisme agricole ? Du libéralisme agricole ? La promotion du manger français ? La fin des exportations ? 

La préférence nationale et la fermeture des frontières pourraient avoir un impact important sur la capacité des chefs d’entreprises agricoles à recruter une main d'oeuvre étrangère dont ils sont de plus en plus dépendants

Autre question importante la préférence nationale et la fermeture des frontières pourraient avoir un impact important sur la capacité des chefs d’entreprises agricoles à recruter une main d’œuvre étrangère dont ils sont de plus en plus dépendants. 

(1) l'étude a été réalisée à partir d'une enquête Cevipof/INP Ensat/Réussir sur une échantillon de 1 258 agriculteurs en avril 2024

Relire : Election présidentielle 2022 : « les agriculteurs représentent moins de 1% des électeurs »

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