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François Purseigle : « Nous ne parviendrons pas à remplacer chaque départ par une installation »

François Purseigle, sociologue spécialisé en agriculture, analyse depuis de nombreuses années les évolutions du secteur. La question de la transmission des exploitations et de son incidence sur le visage de l’agriculture française est au cœur de ses réflexions.

François Purseigle, sociologue en agriculture
François Purseigle est professeur en sociologie. Il s'intéresse tout particulièrement au secteur agricole et à ses mutations.
© F. Purseigle

Quel lien peut-on établir entre la transmission et l’évolution des exploitations agricoles ?

La complexification des fermes et le développement des formes sociétaires sont liés à cette question de la transmission. L’objectif de ces sociétés est de distinguer ce qui relève du capital d’exploitation du capital foncier. Il y a des enjeux d’optimisation sociale et fiscale mais c’est aussi parce qu’on veut préserver un patrimoine en vue d’installer et de transmettre que ces fermes se sont complexifiées.

Toutefois, cette complexification n’aboutit pas toujours à une transmission. On a des entreprises de très grande taille aux allures de firmes qui prennent peut-être les pas sur des installations mais ces installations n’auraient pas forcément eu lieu. Dans certains secteurs, les agriculteurs n’ont plus les ressources d’installer dans le cadre familial. Les structures d’entreprises évoluent aussi car l’installation ne va plus de soi dans les familles.

Comme je le décris dans mon ouvrage Une agriculture sans agriculteurs (Presses de Sciences po, 2022), l’agriculture française est victime de la famille agricole elle-même. La famille joue contre l’exploitation car ce qui pèse aujourd’hui dans les transmissions, c’est le coût de la reprise lié à la lourdeur de l’endettement et lié aussi au fait que les parents et les frères et sœurs du repreneur cherchent une certaine équité sur le plan financier. Jusqu’à présent, les exploitations étaient transmises selon un régime très inégalitaire. C’est moins le cas aujourd’hui, ce qui est positif pour l’équilibre familial mais ça peut fragiliser la reprise.

D’après vous, comment les agriculteurs abordent cette question de la transmission ?

Les exploitants agricoles ont d’autant plus de facilité et de capacité à transmettre qu’ils ont la capacité à aller chercher des compétences de juristes, d’avocats, de fiscalistes… La désignation d’un successeur ne suffit pas, il faut aussi être en capacité de faire le bon montage sociétaire pour maintenir un projet économique.

Que peut-on dire des candidats à la reprise ?

Au-delà du problème d’attractivité, il y a une inadéquation entre l’offre de fermes à reprendre et la demande d’installation. Même des enfants d’agriculteurs ne se retrouvent pas forcément dans le schéma qui leur est proposé par leurs parents. Ce n’est pas qu’ils n’ont pas envie de l’agriculture, c’est qu’ils n’ont pas envie de cette agriculture. Ils veulent se projeter différemment dans les produits en les transformant, avoir une organisation du travail différente qui permet de mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle… La plupart du temps, ils sont passés par le salariat, ils sont de plus en plus pluriactifs. C’est une tendance qui augmente fortement : quasiment 40 % des jeunes qui s’installent sont pluriactifs. Cela s’inscrit dans un contexte où les jeunes qui s’installent sont incertains sur leur capacité à dégager un revenu.

Que sait-on des entreprises destinées à être cédées dans les 10 ans ?

Nous avons besoin d’une meilleure anticipation et d’une meilleure connaissance des exploitations qui vont être libérées dans les prochaines années. Sont-elles considérées comme suffisamment sexy pour des jeunes qui ne se projettent pas de la même manière que la génération précédente dans le métier ?

En fait, on ne sait pas bien ce que les 50 % d’agriculteurs qui vont partir à la retraite dans les 10 ans, soit environ 200 00 exploitations, vont laisser à transmettre. On a envie de laisser quoi à la génération suivante ? Il y a un enjeu à ne pas les laisser partir en roue libre sur le plan de la modernité et de la technicité pour que les exploitations agricoles restent reprenables.

Quel sera le visage des exploitations de demain ?

L’exploitation conjugale qui incarne un modèle d’agriculture à la française n’a été qu’un moment de l’histoire. Dans l’histoire longue, l’agriculture française n’a pas toujours été organisée ainsi. C’est le fruit d’une volonté politique après-guerre. Aujourd’hui, seuls 18 % des chefs d’exploitation ont un conjoint coexploitant.

La question du renouvellement des générations en agriculture est peut-être mal posée. Le défi est avant tout celui du renouvellement des actifs. Les places sont très chères sur le plan capitalistique. Et un des moyens de préserver les capacités de production du pays, ça sera quand même de faire rentrer des gens extérieurs au monde agricole, mais pas forcément en tant que chef d’exploitation mais comme salarié agricole dans un premier temps. Ensuite, la question est de savoir si on leur donne les moyens d’acquérir leur indépendance s’ils le souhaitent.

Nous ne parviendrons pas à remplacer chaque départ par une installation. On peut le regretter mais pendant de nombreuses années, on satisfaisait d’une situation où la disparition du voisin permettait de s’agrandir. Sauf qu’on se rend compte aujourd’hui que celui qui s’est agrandit il y a 30 ou 40 ans est désormais âgé. Et que cela a beau être des grosses exploitations, les enfants n’en veulent pas forcément.

Il faut changer de référentiel pour ces grandes entreprises. Les chefs d’exploitation qui gèrent ces structures ont constitué des holdings qu’ils vont pouvoir transmettre séparément. Ils ne font pas de la transmission de l'ensemble de l'exploitation un objectif. L’horizon de la transmission n’est pas leur moteur numéro 1. C’est d’abord le projet économique qui leur importe.

Ceux qui resteront demain sont ceux qui auront la capacité de s’émanciper d’une dépendance et d’une organisation économique traditionnelle. On constate que ceux qui s’en sortent le mieux aujourd’hui sont ceux qui se multispécialisent et construisent des entreprises modulaires. C’est plus qu’une simple diversification pour avoir un complètement de revenu, c’est la création d’une entité à part entière vers laquelle on peut se repositionner en cas de situation de défaillance sur une autre production et sécuriser le revenu. On voit des agriculteurs créent des fusées à plusieurs étages avec une SCEA pour l’atelier volaille, un Gaec qui fait du lait…

Ce qui poste la question des compétences requises pour gérer ces entreprises agricoles : compétence managériale avec la présence de salariés, compétence juridique pour être à l’aise avec les conseillers, compétence en vente pour négocier avec les clients… Ce n’est pas qu’une question de formation, c’est aussi un état d’esprit.

Qu’en est-il pour les exploitations spécialisées en grandes cultures ?

En cultures céréalières, il faut que les familles agricoles se remettent au service d’un projet économique et pas seulement d’un projet patrimonial. On observe qu’un certain nombre de familles préfèrent déléguer plutôt que de transmettre.

Le nombre d’exploitations céréalières diminue moins vite que dans les autres filières sans doute parce qu’il est plus facile d’avoir une gestion patrimoniale et d’y être double actif. L’exploitation ne disparaît donc pas, même sans repreneur. Le secteur est sujet à une forte concentration, ce qui ne se voit pas toujours dans les statistiques.

Toutefois, cette filière est portée par différentes stratégies. Dans certains secteurs, on a une génération qui veut valoriser sa production autrement, notamment au travers de la transformation. Elle est incarnée aussi par la pluriactivité dans les grands domaines céréaliers dans le Nord de la France. Elle est incarnée à d’autres endroits pas des logiques de portage. Ce n’est pas uniforme : il y a à la fois des stratégies artisanale, patrimoniale et industrielle qui coexistent.

On observe un éclatement aux marges, ce qui complique les politiques de filières et la pérennité des outils économiques traditionnelles.

On voit aussi la mise en place de société en participation (SEP) avec plusieurs structures sociétaires qui font alliance autour d’un assolement en commun et qui peuvent créer leur propre outil de stockage. On a une forme d’entreprise qui relevait d’un travail essentiellement familial qui est extrêmement fragilisé. À côté de ça, on a des stratégies d’associations entre des agriculteurs qui apportent un capital familial mais qui ne travaillent plus du tout en famille. On a un développement de formes d’agriculture avec des salariés et avec de la délégation. D’après le dernier recensement, 12 % des exploitations céréalières sont déléguées intégralement à des tiers.

Que dire du regard du reste de la société ?

Les Français doivent accepter ce qu’ils acceptent pour d’autres secteurs de l’économie. L’indispensable mutualisation des outils ne va pas conduire forcément à l’émergence de firmes, mais à des dispositifs productifs de plus grande taille. Quand les consommateurs voient des agriculteurs porter des projet d’entreprises de taille plus conséquentes, ils semblent avoir du mal à l’accepter. On veut du local et de la souveraineté alimentaire mais on s’interdit de penser l’agriculture comme on pense d’autres secteurs d’activités.

Je pense qu’il faut qu’on arrive à penser la reprise des exploitations agricole comme on pense la reprise d’une entreprise classique. Mais est-ce qu’on va être prêt à accepter que ces exploitations agricoles prennent un autre visage ?

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