Vins No-Low : le marché du vin désalcoolisé est en pleine expansion
Si certains professionnels sont encore sceptiques quant à leurs qualités gustatives, l’engouement des consommateurs pour les vins désalcoolisés, dit aussi “no-low", se confirme. Au point de leur prédire un avenir semblable au décaféiné ?
Si certains professionnels sont encore sceptiques quant à leurs qualités gustatives, l’engouement des consommateurs pour les vins désalcoolisés, dit aussi “no-low", se confirme. Au point de leur prédire un avenir semblable au décaféiné ?
- A quel public s’adresse les no-low ?
- Qui commercialise principalement des vins no-low ?
- Que recherche le consommateur de no-low ?
- Ces producteurs se sont lancés dans les no-low
- Des progressions rapides pour le vin désalcoolisé
- Les coopératives, pour un rôle moteur pour les no-low ?
- Pour aller plus loin sur la désalcoolisation
Moins de gras, moins de sucre et maintenant, moins d’alcool. Depuis un an ou deux, la demande des consommateurs pour le « no-low » s’accélère et le potentiel client est même plus élevé que ce que l’on imaginait. « Selon une étude réalisée en 2023 par le cabinet Seeds, un consommateur de vin sur deux se dit prêt à goûter du vin désalcoolisé », cite Sébastien Thomas, cofondateur de Moderato, sorte de « négoce » du « no-low ».
A quel public s’adresse les no-low ?
Femmes enceintes, abstinents pour raisons de santé ou religieuse ne forment pas l’essentiel de la clientèle. Selon Jérôme Cuny, fondateur de La Cave Parallèle, caviste sans alcool à Nantes, ils ne sont « que la portion congrue, environ 20 % ». Les autres ? Des buveurs de vin qui souhaitent modérer leur consommation d’alcool. Après les flexitariens, les « flexicooliques » ! Les premiers résultats du caviste sont prometteurs. « Depuis mai 2023, 2 800 personnes ont ouvert un compte fidélité, relate-t-il. Cela veut dire qu’elles reviennent après un premier achat de curiosité. Ma grosse surprise, c’est que le vin sans alcool fait la majorité de mon chiffre, devant la bière et les apéros-cocktails. »
Qui commercialise principalement des vins no-low ?
Les no-low en GD, un segment qui représente 3,7 % des volumes d’effervescents
Malgré la tendance porteuse, ce marché « nécessite beaucoup de pédagogie », remarque Jean-Philippe Braud, patron de Gueule de joie, distributeur spécialisé. « On vend 100 000 bouteilles par an » et même les cavistes traditionnels s’y mettent. « On va installer nos corners dans les points de vente, cela va nous offrir une grosse visibilité », annonce-t-il satisfait. Car si la commercialisation de vin sans alcool s’est d’abord concentrée en GD ou en ligne, les cavistes sont désormais en première ligne « parce que les clients aiment avoir des conseils, découvrir des nouveautés », résume Jérôme Cuny.
Du côté de la GD justement, le marché du sans alcool dépasse les 300 millions d’euros, selon une étude Circana pour le Cniv (Comité national des interprofessions des vins à appellation d’origine et à indication géographique), mais sa croissance s’enraye un peu sous l’effet du ralentissement des bières et panachés. Les vins désalcoolisés eux, 10 % des ventes du rayon sans alcool, poursuivent leur progression. Ils représentent désormais 0,3 % du rayon des vins tranquilles en volume et 3,7 % du rayon des effervescents.
Le vin désalcoolisé est un produit de pays occidentaux développés
Le marché français n’est qu’une partie des perspectives. « Il y a un boulevard à l’export », considère Jean-Philippe Braud. Le fondateur de Zenothèque, expert en vin sans alcool basé à Karlsruhe en Allemagne, Frédéric Chouquet-Stringer, est convaincu des débouchés à l'étranger, à commencer par l’Allemagne, le marché le plus mature. Les pays d’Europe du Nord, du Benelux, le Royaume-Uni lui emboîtent le pas « et la tendance se développe très vite aux États-Unis ». Le marché asiatique commence tout juste à émerger et il faut parfois franchir les obstacles de réglementation, d’étiquetage. « Globalement, le vin désalcoolisé est un produit de pays occidentaux développés, résume Frédéric Chouquet-Stringer. Il ne s’agit pas d’une mode mais d’une véritable tendance. L’offre augmente et cela va booster la consommation. »
Cet intérêt s’est concrétisé lors du dernier Wine Paris où les boissons « no-low » étaient deux fois plus nombreuses que l’année précédente. Mieux, lors du salon « Degré Zéro » réservé aux vins « no-low », entre 300 et 400 visiteurs professionnels se sont précipités au point de créer un « bouchon » à l’entrée du salon et un sacré buzz. Et ils ne sont pas venus par simple curiosité mais bien pour construire leur offre.
Que recherche le consommateur de no-low ?
Les consommateurs de no-low reproduisent les mêmes codes que pour le vin
Si aucune référence à l’AOC n’est permise, le consommateur se repère volontiers grâce au cépage. « Mais attention, prévient Jean-Philippe Braud, il ne retrouvera pas toujours les mêmes marqueurs dans le sans alcool. Il faut être transparent sur le goût avec le client. Par contre, il aime l’histoire qu’on lui raconte, le petit vigneron, etc. ». Les consommateurs reproduisent donc les mêmes codes qu’avec un vin traditionnel : la quête de l’original, de l’authentique, mais pas du bio, puisqu’il n’est pas autorisé dans le zéro degré au grand dam des opérateurs qui rêvent d’infléchir la législation.
Jean-Philippe Braud constate dans son entreprise « un parfait équilibre des demandes entre rouge, blanc et pétillant, les 10 % restants portant sur le rosé. » Et côté prix, « ça commence à 3 ou 4 euros mais il y a aussi un pétillant à 109 euros chez French Bloom. La majorité de l’offre se situe entre 10 et 20 euros. » À La Cave Parallèle, les prix oscillent entre 7,50 et 40 euros, « et le plus cher, je le vends bien », témoigne Jérôme Cuny.
Une croissance de 10 à 12 % jusqu’en 2025
Il reste quelques chantiers à entreprendre afin de permettre un meilleur essor des « no-low », comme celui de la formation des professionnels (sommeliers, restaurateurs) qui pourrait permettre de généraliser la présence de ces produits sur les cartes des restaurants. Le phénomène commence timidement. « La grande gastronomie recherche des solutions sans alcool pour accompagner les menus à 5 ou 6 plats avec autant de vins », constate néanmoins Zénothèque.
Demain, probablement, la catégorie désalcoolisée deviendra un élément de diversification comme un autre pour les vignerons. En attendant, la filière poursuit sa croissance de « 10 à 12 % assurée jusqu’en 2025 et même plus pour nous qui sommes des spécialistes », rapporte Jean-Philippe Braud. « Il y a une explosion du concept 'caviste sans alcool', souligne Jérôme Cuny. Quand je me suis lancé, il y en avait trois en France. Aujourd’hui, il y en a quinze et dix projets en cours ! »
Si la filière viticole ne prend pas sa place, des opérateurs extérieurs s’en chargeront. « Nous ne sommes pas là pour imposer le sans alcool, on veut juste donner le choix. Appelez-nous, faisons des tests », lance Sébastien Thomas en guise d’appel aux vignerons.
Du côté de la GD, le marché du sans alcool dépasse les 300 millions d’euros
Ces producteurs se sont lancés dans les no-low
Longtemps à la traîne, notamment face aux voisins allemands, les vignerons français accélèrent la cadence.
« On vend jusqu’à 7 000 bouteilles de certains domaines fait remarquer Jean-Philippe Braud, patron de Gueule de joie, distributeur spécialisé. La production de désalcoolisé atteint 20 % chez certains vignerons. » Combien d’exploitants ont franchi le pas ? 40 ? 50 ? Difficile de connaître le chiffre exact mais il augmente rapidement. Face à l’engouement, Jérôme Cuny, fondateur de La Cave Parallèle, préfère prévenir. « Attention, ça ne fonctionnera pas si les producteurs le font par opportunité, il faut qu’ils y croient, qu’ils aient envie de faire de la qualité ».
Des progressions rapides pour le vin désalcoolisé
À Montagne-Saint-Émilion, Coralie de Boüard avait répondu en 2019 à une demande des Qataris, propriétaires du PSG, en créant sa cuvée Prince Oscar. 10 000 bouteilles qu’elle pensait être un one shot. Aujourd’hui, elle désalcoolise 150 hl tous les quatre mois ! Vendue 25 euros, sa cuvée est distribuée principalement en France, notamment chez les cavistes, auprès des particuliers et un peu en GD « mais ils ont du mal à savoir dans quel rayon la placer et à en faire la promotion ». L’export prend une place grandissante. Prince Oscar est commercialisé aux États-Unis, dans une demi-douzaine de pays européens et sur les principaux marchés asiatiques.
Dans l’Hérault, le domaine de l’Arjolle a franchi la barre les 100 000 bouteilles de « no-low » commercialisées, sur 900 000 au total. « On atteindra les 150 000, prévoit l’un des associés, Geoffroy de la Besnadière. Et toutes les couleurs marchent bien. Le blanc est très prisé mais le rouge aussi ». Le réseau de distribution repose en France, par choix, exclusivement, sur les cavistes et la part de l’export (65 %) est la même que pour les vins alcoolisés. « Les cuvées 'no-low' nous ont permis d’ouvrir des marchés à l’export pour nos vins alcoolisés », se félicite l’exploitant.
Les coopératives, pour un rôle moteur pour les no-low ?
De par leur capacité d’investissement et leurs volumes disponibles, les coopératives pourraient jouer un rôle moteur dans le développement des « no-low ». Après Bordeaux Families, c’est Vivadour en Gascogne qui va créer son unité « chai sobre », site dédié à la désalcoolisation pour ses vins mais aussi ceux des autres, en prestation de service. Pourquoi ce choix ? « Parce qu’on parle avec nos clients (NDLR : la coop vend essentiellement en vrac), et qu’un sur deux souhaite développer une gamme sans alcool », explique Pascal Dupeyron, directeur vins et spiritueux de Vivadour.
« On proposera à nos clients du vrac ou du conditionné. La production sera concentrée sur le blanc car on a la chance d’avoir des cépages qui fonctionnent bien en désalcoolisé car très aromatiques : le sauvignon et le colombard notamment. Il y a des places à prendre sur ce marché », insiste le directeur avant de reconnaître un autre enjeu stratégique. « Pour nous, ce sera aussi une porte d’accès au marché pour nos vins alcoolisés. »
Pour aller plus loin sur la désalcoolisation :
Les vins désalcoolisés chahutent la filière viticole
Et si l’alcool n’était pas si important dans le goût du vin ?