Le beaujolais nouveau reprend des couleurs
Si les volumes du beaujolais nouveau se sont effondrés en vingt ans, le primeur est désormais un produit rémunérateur pour les producteurs, voire valorisant pour l’image du vignoble. Décryptage du paradoxe.
Si les volumes du beaujolais nouveau se sont effondrés en vingt ans, le primeur est désormais un produit rémunérateur pour les producteurs, voire valorisant pour l’image du vignoble. Décryptage du paradoxe.
Ventes à la baisse du beaujolais nouveau sur deux décennies
La commercialisation du beaujolais nouveau devrait encore légèrement reculer cette année, mais il n’y a plus personne pour s’en émouvoir, pas même les dirigeants viticoles. Pourtant les chiffres bruts de ce phénomène, deux décennies sans interruption, sont vertigineux.
Des 450 000 hl à la fin du millénaire, il ne se vend plus que 120 000 hl de beaujolais nouveau. Rien que sur les dix dernières années, le marché a été divisé par deux. Le beaujolais nouveau représente moins d’un quart de la production du vignoble « et demain peut-être 15 %, constate le président de l’interprofession, le négociant Philippe Bardet. Mais nous tenons à ce socle ».
Le marché japonais toujours en tête des ventes de beaujolais nouveau à l’export
Même classement mais un recul des ventes à l’export
L’export a suivi la même courbe. 50 000 hl de vins nouveaux quittent l’Hexagone en novembre. Il y a vingt ans, le Japon, à lui seul, en avalait plus de 100 000 hl ! Le pays du Soleil-Levant demeure le plus gros acheteur mais avec 17 000 hl seulement, le double des États-Unis, son poursuivant le plus immédiat, dont le recul est moins spectaculaire (13 000 hl en 2013, 9 000 hl en 2022).
« Mais nous avons consolidé ces deux marchés en 2023 », se réjouit Philippe Bardet. Le Canada, la Belgique et l’Allemagne, des marchés historiques, complètent le quintette majeur mais de très loin, respectivement 2 500, 1 500 et 1 200 hl.
Le beaujolais nouveau n’a pas conquis de nouveaux marchés étrangers
La Chine, l’Inde, le Brésil et autres marchés fantasmés ne sont jamais venus prendre le relais des volumes perdus. Si l’interprofession a beau jeu d’expliquer que ce choix est stratégique, au profit des vins de haut de gamme, il s’agit bien là d’une chute subie et non préméditée.
Le beaujolais nouveau se fait plus rare
10 000 hectares en moins pour les appellations beaujolais et beaujolais-villages
Un retour en arrière est tout bonnement impossible. Il y a vingt ans, les appellations beaujolais et beaujolais-villages, desquelles est tiré le primeur, s’étendaient sur plus de 16 000 hectares. Aujourd’hui elles représentent moins de 6 000 hectares (soit un potentiel de production d’environ 150 000 hl). Le sud du vignoble a trouvé une solution de remplacement rémunératrice en produisant abondamment du crémant de Bourgogne et autres AOC bourguignonnes génériques.
Le cours du beaujolais nouveau à 300 euros l’hectolitre
Et puis, désormais, les cours du beaujolais nouveau sont satisfaisants. Durant les années de plomb, la première décennie du siècle, vignerons et négociants s’écharpaient dans une ambiance tendue et les prix oscillaient entre 150 et 180 euros par hectolitre, parfois en dessous du coût de production. À partir de 2012, la barre des 200 euros par hectolitre a été atteinte et, à peu de chose près, tenue.
Depuis trois ans, la raréfaction de l’offre a fait grimper l’hectolitre à 300 euros. Rédhibitoire pour certains marchés ? « La grande distribution a fait beaucoup d’intox cet été pour qu’on baisse les prix », avoue Philippe Bardet, mais elle n’a pas eu gain de cause. L’interprofession compte plutôt sur le dynamisme de son marché « trad ».
Une stratégie de vente du beaujolais nouveau basée sur le local
L’heure n’est plus à aller parader sur la place Rouge ou la muraille de Chine comme jadis. L’interprofession mise sur une opération innovante avec les cavistes : une « campagne publicitaire digitale multilocale, personnalisée et 'géo-targetée' » qui permettra à « chaque caviste partenaire d’avoir sa propre annonce diffusée auprès des amateurs de vins de sa zone de chalandise pour créer du trafic sur son point de vente ».
Le beaujolais nouveau change de registre
D’une image ringarde à celle d’un vin de terroir
Le plus surprenant, c’est le retournement progressif de l’image du produit. Le beaujolais nouveau n’est plus la cible des humoristes dans leur chronique matinale ; les jeunes consommateurs ont-ils seulement entendu parler du fameux goût de banane, source « historique » de moqueries ?
Dans l’élan créé par la hype du gamay à Paris ou Lyon, les vignerons stars, notamment dans les courants bio et nature sont extrêmement sollicités dans les bars à vins ou chez les cavistes tendance. Par leur biais, le beaujolais nouveau s’est « déringardisé », « boboïsé ». « On est parti d’un vin très marqueté industriel pour arriver à un vin de terroir, très identifié producteur. On a changé de registre », constate, presque surpris, le président de l’interprofession.
Du beaujolais nouveau à plus de 10 € la bouteille ?
Le beaujolais nouveau n’a plus vocation à être un produit de tête de gondole à 3,50 euros qui ruine à la fois le vigneron et l’image du vignoble. « Mon fils a acheté une bouteille de primeur à 15 euros à Paris, fait remarquer Philippe Bardet, c’est plutôt une exception mais pourquoi on ne vendrait pas un beaujolais nouveau à plus de 10 euros ? C’est un vin difficile à faire ! ».
Une image valorisante pour la vigne et les vignerons
Moins de surfaces, moins de volumes, moins d’export font finalement plus dans la poche du vigneron et pour l’image du vignoble. Les mathématiques sont implacables.