L’agrivoltaïsme, un avenir pour la vigne ?
Identifié comme une solution agronomique face au changement climatique, l’agrivoltaïsme a du potentiel en viticulture mais il soulève de nombreuses questions. Il mérite d’être encadré rapidement.
Identifié comme une solution agronomique face au changement climatique, l’agrivoltaïsme a du potentiel en viticulture mais il soulève de nombreuses questions. Il mérite d’être encadré rapidement.
La crise énergétique et la pression climatique poussent la France à appuyer sur la pédale d’accélérateur des énergies renouvelables, et parmi elles, le photovoltaïque. Lors d’un colloque sur l’agrivoltaïsme organisé par l’Acta en juin dernier, Christian Dupraz, directeur de recherche à l’Inrae, a souligné que les toitures de bâtiments, les ombrières de parking, les zones polluées ou encore les friches industrielles étaient très adaptées mais « insuffisantes » pour atteindre l’objectif de 35 GWc d’ici 2028, prévu par la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). « Le potentiel est de 23 GWc sur ces gisements », a-t-il pointé.
La crainte d’une artificialisation des terres agricoles
De leur côté, les opérateurs cherchant à installer des centrales photovoltaïques au sol recherchent frénétiquement des terres disponibles. La crainte d’une pression sur les terres agricoles et d’une artificialisation accélérée monte. Le 22 septembre dernier, les Jeunes agriculteurs ont même réclamé un moratoire sur l’agrivotaïsme, en l’absence de garde-fous pour préserver la vocation agricole des terres. Un point de vue partagé par la Confédération paysanne. « Ne tombez pas dans le panneau de l’agrivoltaïsme », a écrit le syndicat dans une lettre ouverte adressée au président Macron le 20 septembre.
Pourtant l’agrivoltaïsme ambitionne justement de faire coexister production d’énergie et agriculture de façon équilibrée. « Sans bénéfice agronomique et sans assurance d’un revenu maintenu voire augmenté pour l’agriculteur, l’agrivoltaïsme n’existe pas mais devient du photovoltaïque au sol. Il faut une définition exigeante », expose Cécile Magherini, directrice générale déléguée de Sun’Agri, une entreprise d’ingénierie pionnière de l’agrivoltaïsme en vigne.
« Nous ne sommes pas dogmatiques. Cela peut être un outil face au changement climatique, qu’il faut savoir déployer et mesurer », pose Jean-Marie Fabre, président des Vignerons indépendants. Il trouve aussi intéressant que la filière produise de l’énergie décarbonée. « Mais ça ne doit pas être un palliatif ou un substitut à la culture de la vigne qui est sous les panneaux », cadre-t-il.
Une pratique agronomique encore jeune
Cerner très précisément les bénéfices vitivinicoles est donc urgent. Les expérimentations doivent se multiplier pour affiner les pratiques et cumuler des références. Sachant que tout projet implique d’être coordonné à une plantation. Ombréa et Total Énergies promettent des premiers résultats dès janvier 2023 pour leur unité expérimentale implantée sur le domaine viticole de Rivals dans l’Aude. Pour l’instant, ce sont surtout deux expériences qui alimentent les connaissances : la parcelle expérimentale de Piolenc, engagée par la chambre d’agriculture du Vaucluse avec l’IFV, ainsi que celle de 4,5 hectares du domaine de Nidolères à Tresserre dans les Pyrénées-Orientales, plantée en 2018. Sous les ombrières orientables à distance, des résultats encourageants sont obtenus quant à la protection contre le gel, la grêle ou les excès de chaleur. Cette année, la vendange a par exemple été effectuée une semaine plus tard que sur la parcelle témoin. L’impact sur la qualité manque encore de recul mais une baisse du degré alcoolique de 1 degré a été constatée. Très convaincu, Pierre Escudié, vigneron du domaine de Nidolères, s’engage d’ailleurs dans un second projet de 4 hectares en 2023. « Protéger sa production évite la baisse du rendement », résume Cécile Magherini. Et donc sécurise le revenu.
Un modèle économique à géométrie variable
Mais le gain peut-il aller au-delà ? Tirer un revenu de l’électricité produite implique de faire partie des investisseurs. Autre piste, celle d’un loyer. Mais pour bien des défenseurs de l’agrivoltaïsme, le loyer présente justement un risque d’emballement du prix des terres. Faut-il l’envisager mais le réglementer… ou l’exclure ? « Faut-il compenser par un loyer s’il n’y a pas de bénéfice agronomique », interroge Cécile Magherini. Autant de questions complexes sur lesquelles les avis divergent.
« Il y aura plusieurs schémas mais ça ne peut pas être la vente de la production qui justifie la mise en place », insiste Jean-Marie Fabre. En vigne, il s’agit de projets très capitalistiques, compte tenu des contraintes d’implantation et de la finesse du pilotage requise. Sun’Agri évoque un budget de 800000 euros pour équiper un hectare de vigne. « Les dispositifs sont plus lourds et plus coûteux en viticulture qu’en élevage par exemple avicole », constate Thierry Fabian, inspecteur national de l’Inao et coanimateur du groupe de travail sur l’agrivoltaïsme. « Agriculteurs et énergéticiens sont deux mondes qui cherchent à dialoguer », observe-t-il aussi. Un apprentissage mutuel.
Gérer l’intégration dans le paysage viticole
L’impact sur les paysages est un autre enjeu fort. L’agrivoltaïsme peut-il se concevoir sur une parcelle en AOP ou IGP ? « Aujourd’hui, nous n’avons pas d’outil réglementaire qui nous permettrait de nous opposer à ce type de dispositifs pour ce qu’ils sont », souligne l’inspecteur. Mais il précise que tout projet nécessite un permis de construire, donc un passage par une Commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) où des parties prenantes peuvent être opposées (ou pas) à l’installation sur une aire d’appellation.
Son groupe de travail a émis un avis, présenté en début d’années aux comités nationaux vinicoles. Il leur recommande, ainsi qu’aux ODG, de se saisir du sujet et de réfléchir aux modalités d’un encadrement qui permettrait de prendre part à la production d’énergie renouvelable sans affecter « le niveau de naturalité » des appellations. Le panneau faisant écran entre le climat et la vigne, il ne doit pas aller jusqu’à « extraire » la vigne du climat, explicite Thierry Fabian. « Face à l‘envie du gouvernement d’accélérer la production d’énergies renouvelables, il ne faut pas que les ODG comptent sur la lenteur des procédures pour maîtriser le développement de l’agrivoltaïsme », prévient-il aussi.
L’encadrement législatif, c’est maintenant
La loi d’accélération des énergies renouvelables illustre la volonté du gouvernement de passer à la vitesse supérieure. Elle a été présentée en conseil des ministres le 26 septembre par Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique.
« Il ne faut pas rater le moment de cette loi, pour poser une définition et des moyens de régulation », estime Cécile Magherini. Mais le projet de loi initial n’évoquait pas l’agrivoltaïsme. Le chef de l’État a annoncé qu’un amendement l’introduirait lors de l’examen du projet. Comme quoi la spécificité de l’agrivoltaïsme n’est pas encore une évidence pour tout le monde.
Définir l’agrivoltaïsme
À ce jour, il n’existe pas de définition officielle. Définir l’agrivoltaïsme comme la superposition de panneaux photovoltaïques et de cultures agricoles dans la même parcelle paraît insuffisant compte tenu des enjeux. Dans son étude Caractériser les projets photovoltaïques sur terrains agricoles et l’agrivoltaïsme, l’Ademe définit qu’une installation « peut être qualifiée d’agrivoltaïque lorsque ses modules photovoltaïques sont situés sur une même surface de parcelle qu’une production agricole et qu’ils l’influencent en lui apportant directement un des services ci-dessous, et ce, sans induire ni dégradation importante de la production agricole (qualitative et quantitative), ni diminution des revenus issus de la production agricole ». Les services énoncés sont : l’adaptation au changement climatique, l’accès à une protection contre les aléas, l’amélioration du bien-être animal ou un service agronomique précis pour les besoins des cultures (limitation des stress abiotiques etc.). D’autres définitions intègrent la notion de réversibilité des installations. Le Sénat s’est emparé du sujet. Sa commission des Affaires économiques a adopté, le 5 octobre dernier, une proposition de loi sur l’Agrivoltaïsme, qui veut, entre autres, en définir les contours. À suivre !
voir plus loin
Des chiffres et des panneaux
- En février dernier, le président Emmanuel Macron a évoqué un objectif de puissance photovoltaïque installée de 100 GW d’ici 2050. Selon les données du ministère de la Transition écologique, le parc solaire photovoltaïque atteignait une puissance de 14 GW à la fin de l’année 2021.
- Un objectif de 30 GW d’ici 2035 nécessiterait 30 000 hectares de panneaux photovoltaïques, d’après Christian Dupraz, directeur de recherches à l’Inrae.
- Chez Sun’Agri, Cécile Magherini évalue le potentiel de l’agrivoltaïsme, "selon une définition exigeante", à 9 000 hectares pour une puissance de 6 GW d’énergie solaire sur vigne, arboriculture et maraîchage, en partant sur un renouvellement de 1 % de la SAU correspondante, hors AOP pour la vigne.
- le GWc correspond à une puissance maximum.