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Labelliser ses vins en commerce équitable

Face aux tensions sur la commercialisation, la structure de négoce Vignobles Gabriel & Co mise sur une démarche de labellisation en commerce équitable pour préserver la valorisation des vins.

Partenaires de Vignobles Gabriel & Co dirigé par Jean-François Réaud (2e en partant de la gauche), les vignerons Damien Dupuy, Vincent Bousseau et Thomas Novoa (de gauche à droite) produisent des vins labellisés Fair for Life.
Partenaires de Vignobles Gabriel & Co dirigé par Jean-François Réaud (2e en partant de la gauche), les vignerons Damien Dupuy, Vincent Bousseau et Thomas Novoa (de gauche à droite) produisent des vins labellisés Fair for Life.
© C.Gerbod

Si le commerce équitable progresse dans les achats des Français, le label est encore rare pour les vins. C’est pourtant la piste sur laquelle s’est lancé Vignobles Gabriel & Co, structure de négoce fondée par le vigneron Jean-François Réaud, à Saint-Aubin-de-Blaye, en Gironde. L’objectif est d’assurer une juste répartition de la valeur ajoutée entre producteurs et distributeurs. Cette aspiration s’avère encore plus pressante dans le contexte commercial actuel, difficile pour les rouges en général et les rouges bordelais en particulier. C’est aussi une façon de renforcer l’engagement de l’entreprise créée il y a une vingtaine d’années qui annonce dans sa présentation « Nous voulons faire un vin qui apporte autant à celui qui l’élabore qu’à celui qui le consomme ».

Parmi les labels équitables possibles pour des produits français, Jean-François Réaud a choisi Fair for life, développé par Ecocert. Cet organisme certifie déjà les exploitations bio partenaires de son entreprise. Il a jugé aussi que la notoriété d’Ecocert « légitimait la démarche ». Mais aucun vin ne faisait encore l’objet d’un tel label. Il a donc fallu travailler avec Ecocert à une déclinaison spécifique du cahier des charges. La labellisation a été effective fin août 2020. Si Vignobles Gabriel & Co finance et détient la certification, les vignerons membres sont aussi audités selon un plan de contrôle étalé sur 4 ans.

Établir des coûts de production personnalisés

« Avant la labellisation, on avait fixé des prix socles, basés sur un accord entre les producteurs et Vignobles Gabriel & Co, explique Jean-François Réaud. Nous achetons le conventionnel à un prix supérieur à celui de la place de Bordeaux, autour de 1 300 euros le tonneau, bien au-dessus des prix actuels. On a contractualisé pour les achats de vin bio à 2 000 € le tonneau. » La labellisation implique d’établir des coûts de production personnalisés. « Nous avons tous accepté de transmettre les informations à un cabinet d’experts-comptables indépendant », souligne l’un des vignerons partenaires. Ce label garantit que Vignobles Gabriel & Co achète à un prix minimum supérieur ou égal aux coûts de production et 5% au-dessus des prix du marché (10% pour les vins bio). Des avenants aux contrats précédents sont en cours. Ils seront réajustés chaque année.

Des engagements aussi sur le plan environnemental

La labellisation comporte aussi un volet environnemental. Cela n’a pas engendré de complication car le collectif était déjà engagé sur une charte environnementale. Tous les vignerons partenaires sont HVE et une partie d’entre eux sont en bio. Le label n’oblige pas à être en bio mais engage sur un arrêt du glyphosate d’ici 5 ans. D’autres phytos sont interdits ou limités. Le volet RSE couvre les normes de sécurité, contrats de travail ou encore relations avec les sous-traitants.

« C’est pour la bonne cause mais il y a incontestablement un alourdissement administratif », reconnaît Jean-François Réaud. Une grande partie des documents est toutefois déjà requise pour les autres démarches déjà en place. Pour lui, cette labellisation conforte la stratégie visant à développer la mutualisation et les échanges entre ses 34 vignerons partenaires. « Nous avons fait une Cuma pour le matériel pour passer en bio, nous avons mutualisé la lutte antigrêle et bientôt nous allons monter un GIEE pour acheter les produits. C’est un vrai mode de coopération tout en gardant chacun notre identité », souligne-t-il. Un pas de plus est franchi avec le label car il implique que 1 % du chiffre d’affaires alimente un fond pour développer des projets communs.

Les enseignes de distribution prudentes sur la démarche

Mais la labellisation équitable appliquée au vin surprend. « Le message le plus difficile à faire passer c’est qu’il y a besoin d’un tel label à Bordeaux », concède Jean-François Réaud en soulignant que pour bien des consommateurs, le vin de Bordeaux véhicule toujours une image de prospérité. Le label est justement l’occasion d’expliquer sa démarche.  « Nous souhaitons être reconnus comme viticulteurs éthiques. Le label prouve ce qu’on racontait jusque-là. »

Les enseignes de distribution chez qui il commercialise les vins avancent prudemment sur ce terrain. « Leur premier réflexe c’est de dire 'encore un label, le consommateur s’y perd'. Mais finalement pour la foire aux vins 2020, certains s’en sont servi », constate Jean-François Réaud.

Reste que Fair for life doit se faire connaître. Il est prévu que toutes les bouteilles affichent le logo sur leur contre-étiquette mais l’idée est aussi de l’apposer sur un cône. L’entreprise affectionne cette façon de communiquer sur la bouteille. Elle s’est équipée d’un distributeur de cônes. Un investissement de 80 000 € mais qui économise du temps de travail et allège la pénibilité. 700 000 bouteilles avec un cône Fair for life ont ainsi été livrées pour les foires aux vins d’automne pour certaines enseignes. « Il faut que d’autres opérateurs emboîtent le pas pour que ça prenne une autre dimension », espère Jean-François Réaud. Sur l’ensemble du marché alimentaire, les voyants sont en tout cas au vert puisque les produits équitables origine France ont vu leurs ventes progresser de près de 22 % en 2020 par rapport à 2019.

Témoignage : Vincent Bousseau, Château Sirac à Prignac-et-Marcamps

« Je vends le quart de ma production avec Vignobles Gabriel & Co. J’ai une attirance pour ce groupement et ça se matérialise avec Fair for life. Un fonds de solidarité est alimenté par 1 % des recettes des vins certifiés. On a constitué un bureau pour l’utiliser. C’est très ouvert. Nous envisageons un volet formation sur la dégustation pour réactualiser nos compétences par nous-mêmes, par exemple pour détecter les nouvelles maladies qui apparaissent au chai. Pour le label, si le distributeur n’est pas convaincu, il faut tabler sur le consommateur qui l’intégrera avant lui. »

Témoignage : Damien Dupuy, Château Moulin des Richards à Mombrier

« Le modèle de Vignobles Gabriel & Co m’a séduit dès le départ pour le dialogue, la proximité, la stabilité du prix d’achat, les liens établis entre les vignerons. C’était déjà une bonne base. Tout cela reste en vigueur avec le label et on sait où on va. On a trouvé un modèle qui fonctionne en termes de produit, volume, lissage des prix. Tout n’est pas remis en cause tous les ans. On sait quel vin on a à faire et à quel prix. Je crois aussi à la démarche parce qu’on se comprend mieux ici qu’avec un négociant qui n’est pas vigneron. Et ça ne m’empêche pas de commercialiser moi-même une partie de ma production. »

Témoignage : Thomas Novoa, Château Les Garelles à Saint-Christoly

« La charte est un continuum avec le volet écologique et sociétal. Nous, on produit des vins sans sulfites et sans intrants. Le prix de vente à la distribution on le connaît, c’est transparent sur la répartition de la valeur. Ça regroupe la juste rémunération, l’environnement et le sociétal dans un même label. D’un point de vue social, ce qui est prévu est au niveau de la loi mais ça assure que ce qui devrait être fait l’est vraiment. Il faut toujours se mettre des nouveaux objectifs. Nous sommes dans une démarche positive. On s’appelle, on échange, on avance. Tout ça, on ne peut pas l’avoir si on reste seul dans son coin. »

 

Un marché de l’équitable dynamique

Initialement destiné à assurer une rémunération décente aux producteurs des pays en voie de développement dans le cadre d’échanges « nord-sud », le commerce équitable s’applique désormais à des produits issus de pays développés. On parle alors de commerce « nord-nord ».

Sept labels concernent des produits d’origine France : Agri-éthique France, Biopartenaire équitable & bio, Bio équitable en France, Fair For life, World Fair Trade Organization (WFTO), Fairtrade/Max Havelaar (s’est ouvert aux agriculteurs français en 2021), Bio français équitable (lancé par la Fnab en 2021 et en cours de développement).

1,8 milliard d’euros, c’est le chiffre d’affaires des produits équitables en France selon l’Observatoire du commerce équitable en 2020. Il a progressé de 12 %.

35 %, c’est la part de produits d’origine France dans les ventes françaises de produits équitables (+ 22 % en 2020).

 

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