La MSA évolue à petits pas
Désormais pilotée par un vigneron du Bergeracois, Jean-François Fruttero, la CCMSA (1) n’est pas sourde aux critiques des adhérents. Six mois après son élection, le président fait le point sur les actions mises en place pour améliorer la qualité de service et sur les restructurations envisageables pour l’avenir du régime de protection sociale agricole.
La critique de la MSA par ses ressortissants est quasiment « un sport national ». La population agricole n’est pas la seule à s’interroger. La Cour des comptes, dans un rapport de 2020, avait épinglé la Mutualité sociale agricole sur son organisation et pointé des dysfonctionnements. Quatre ans plus tard, les services de la MSA et leur président Jean-François Fruttero nous ont fourni des éléments de réponse qui associent à la fois l’envie de progresser mais aussi de conserver leurs spécificités : proximité et réactivité face aux crises.
La qualité du service suivie à la trace
En 2020, la Cour des comptes avait relevé des résultats insuffisants dans le traitement des dossiers avec des retards significatifs dans le versement des allocations logements ou du RSA, dans la mise en place des retraites également, et qui concernaient principalement les petites caisses qui n’atteignent pas une taille critique (les plus grosses caisses MSA atteignent à peine la taille des plus petites de la CPAM). Néanmoins, les indicateurs de résultats mettent en évidence une qualité de service en progression avec par exemple un taux d’appels aboutis qui s’est amélioré de 8 points entre 2021 (80,5 %) et 2024 (88,5 %).
« Nous avons pris la mesure de la nécessaire montée en compétences, assure Jean-François Fruttero. S’il persiste encore quelques différences sur le territoire, notre ambition est de faire progresser cette qualité de service à l’adhérent. Les indicateurs sont suivis de manière quasi quotidienne, les administrateurs en prennent connaissance toutes les cinq ou six semaines pour chaque métier (famille, santé, retraite…). Nous avons une visibilité sur tous les sujets dans les 35 caisses de MSA. » Et les enquêtes de satisfaction viennent corroborer ses dires, rajoute le directeur délégué au secrétariat général institutionnel, Ludovic Martin.
La situation s’est aussi améliorée dans le sens des « rentrées ». L’inefficacité du recouvrement avait également été pointée par la Cour des comptes mais depuis, la MSA « a réalisé d’importants progrès, dépassant les objectifs fixés par les pouvoirs publics », argue-t-elle. Ces bons résultats semblent dus « à la modernisation des outils numériques et à des processus renforcés, comme la gestion des déclarations sociales nominatives (DSN), la simplification des déclarations des revenus professionnels des agriculteurs et la simplification des démarches pour les employeurs, notamment via le nouveau Tesa », précisent les services.Lutter contre les inégalités entre caisses
Plus précisément, la Cour des comptes avait mis en exergue une efficacité très inégale selon les caisses. « On ne peut pas accepter qu’un dossier soit traité en quatre mois dans une caisse et en deux mois dans une autre, ce n’est pas équitable, acquiesce la mutualité. Forts de ce constat, nous avons déployé des forces d’appui : les caisses ayant un peu plus de ressources dans certains domaines peuvent apporter un appui ponctuel à celles qui sont un peu en deçà du standard attendu (problèmes d’absence, congés maladies, maternité, etc.) Ce système permet à chaque caisse de traiter les dossiers dans les délais. »
Restructurer encore ?
Au-delà de ces situations momentanées, la MSA doit-elle se restructurer en profondeur pour plus d’efficience ? Dans un souci de rationalisation, la Cour des comptes invitait fortement l’OPA (2) à réduire ses effectifs, disproportionnés par rapport à ceux de la CPAM (à volume égal) mais aussi à poursuivre la stratégie de fusion des caisses, jugée incomplète.
Sur le premier point, la MSA se justifie en partie par le fait qu’elle prend en charge en plus de sa mission de sécurité sociale, de la médecine du travail et la prévention des risques professionnels. Et pour le président, la réduction des effectifs n’a rien d’un sujet prioritaire. « Tout n’est pas mathématique ! Grâce à notre implantation de proximité, nous accompagnons les populations au plus près de leur lieu de vie et de travail. Cette particularité fait la force du régime agricole, elle coûte peut-être plus cher que l’accompagnement d’un ressortissant en ville mais cela permet de garantir un accompagnement équitable entre tous les citoyens. »
Quant à d’éventuelles nouvelles fusions, c’est aussi niet pour Jean-François Fruttero. « Très clairement, je ne porte pas cette ambition. Nous avons besoin d’une présence humaine dans chaque département, dans chaque territoire. Certaines caisses ont fusionné à deux, trois ou quatre départements. À quatre, on touche les limites de l’exercice pour apporter cette finesse politique, cette connaissance du territoire. Il n’y a pas d’intérêt d’aller au-delà. »
La MSA a préféré répondre par des mutualisations de proximité. « Des caisses, entre elles, bien qu’indépendantes, travaillent en commun sur des champs d’activité. Par exemple ma caisse Dordogne-Lot-et-Garonne s’est associée à celle du Limousin pour assurer la gestion du traitement des retraites », illustre le vigneron.
Guichet unique et proximité
La Cour des comptes était allée plus loin en suggérant un transfert aux CAF de la gestion de la branche famille de la MSA. Là encore, la réponse du président est assez cinglante. « Le guichet unique c’est notre marque de fabrique, c’est ce qui fait la pertinence de notre réseau, s’insurge-t-il. Ce système offre une vue globale de la situation de nos adhérents. Ainsi, pour chacun, nous pouvons nous assurer que tous leurs droits sont ouverts, qu’ils ne rencontrent pas de difficulté de paiement des cotisations et, le cas échéant, déclencher une aide sociale ou un accompagnement personnalisé. Il n’y a aucun intérêt à se séparer de la branche famille. J’y suis très attaché, c’est une vraie valeur ajoutée. »
Quant à l’avenir du régime de protection sociale spécifique à l’agriculture, quasiment une exception française (avec quatre ou cinq autres pays européens), que d’aucuns voient menacé par la baisse de la population agricole, le président porte un regard rassurant. « On ne peut mesurer l’avenir de la MSA à la seule trajectoire démographique agricole. La pérennité d’un régime comme le nôtre, ancré sur les territoires ruraux, se joue sur la pertinence des réponses apportées à une population spécifique dont les besoins sont nombreux et l’isolement important. Et cette pertinence, dans le contexte des crises structurelles que nous vivons, n’est plus à démontrer. Je milite pour que le régime s’inscrive dans un avenir serein », conclut-il.
Ce que vous reprochez à la MSA
« Mais c’est notre caisse ! ». C’est souvent par ces mots, proches du registre du dépit amoureux, que les vignerons et salariés viticoles concluent leurs propos relatant leurs déboires avec la MSA, à la fois fiers de la singularité du monde agricole mais peinés parce qu’elle ne génère pas la proximité et l’efficacité attendues.
Roxanne, 29 ans, est salariée à la cave coopérative de Vacqueyras (MSA Alpes-Vaucluse). « Après la naissance de mon deuxième enfant, j’ai pris un congé parental. En septembre dernier, j’ai repris mon activité, sachant que mon aîné était à l’école et le second entrait à la crèche. J’ai alors fait toutes les démarches pour toucher la CMG (prise en charge partielle de la rémunération du mode de garde) mais rien. » Résultat, Roxanne a dû régler l’intégralité du prix de la crèche (1 400 euros par mois) alors qu’elle touche un salaire mensuel de 1900 euros.
« J’ai appelé la MSA mais ils ne pouvaient rien pour moi au téléphone. Il a fallu que je pose une réclamation sur la plateforme et ça a commencé à bouger. » Roxanne a dû attendre janvier pour toucher ses versements, soit quatre mois à avancer la crèche, sachant que la MSA lui en rembourse environ la moitié.
Depuis, elle reçoit ses aides « mais c’est irrégulier, parfois ils versent un montant trop élevé et le mois suivant, ils récupèrent le trop-perçu. Ce n’est pas toujours très clair ».
Dans le Nord Isère, Stéphanie est à la tête d’un domaine viticole. Le 2 septembre dernier, à la veille des vendanges, elle tombe d’une échelle et se fait une sévère entorse à la cheville avec arrachement osseux. Si l’indemnité journalière, 25 puis 30 euros par jour, s’est bien mise en place, elle a eu une mauvaise surprise. « Je n’ai pas eu droit à la prise en charge du service de remplacement (80 euros par jour) par la MSA parce qu’il s‘agissait d’un accident du travail et non d’un accident domestique. »
L’assistance sociale lui a demandé de faire une demande d’aide sociale. « La commission a statué début octobre, je n’ai pas encore le retour. Mais c’est un dossier extrêmement fastidieux à monter, ils demandent les revenus de la famille, les frais de scolarité, etc. » En attendant, pendant les vendanges, Stéphanie a dû employer une personne supplémentaire et demander à une autre de faire des heures supplémentaires.
Autre mauvaise surprise, la MSA lui avait promis qu’elle n’aurait pas d’avance de frais mais la réalité fut tout autre : « certains praticiens refusent de le faire car la MSA est trop longue à les payer ».
Retour dans le Sud, dans l’Aude, où Bertrand Boileau est régisseur du Domaine Cigalus. Les mésaventures avec la MSA Grand Sud concernent l’un de ses salariés. « En juillet 2023, on lui a diagnostiqué un cancer. Il m’a appelé au bout d’un mois et demi pour me dire qu’il n’avait toujours rien touché. Il a fallu intervenir, mais obtenir des réponses par mail, téléphone, c’est compliqué. Il faut déjà se battre contre la maladie et en plus se battre avec la MSA pour faire valoir ses droits », tonne-t-il. Si la situation s’est arrangée, les indemnités du salarié se sont arrêtées quelques mois plus tard sans aucune explication. Et rebelote. « Il faut toujours suivre à la trace les versements. »
De son côté, le régisseur a lui aussi connu quelques avaries avec son régime de protection. « Un jour, un de mes enfants a disparu de ma MSA. C’est embêtant quand ça vous arrive au moment où il faut régler des frais dentaires. Là encore, il m’a fallu du temps pour le réintégrer, que je contacte un médiateur. »
À 63 ans, Benoît Gautier, vigneron en Touraine connaît bien la MSA. « En quatre ans j’ai eu un infarctus, une greffe des tympans, un problème à l’épaule et bientôt une opération du genou. » Même s’il assure de ne pas avoir l’habitude de se plaindre, il déplore les difficultés « à obtenir des informations précises, les bons accompagnements, des rendez-vous avec des médecins MSA quasi inexistants » pour le suivi de son ALD (affection de longue durée). « Au bout de trois ans, mes indemnités se sont arrêtées, il a fallu que je fasse reconnaître mon problème au genou, ça n’a pas été simple. Pourtant c’est handicapant pour un vigneron. » Finalement, il a trouvé un peu de soulagement dans la consultation d’un ergothérapeute. « Mais c’est la MDPH (Maison départementale pour les personnes handicapées) qui me l’a trouvé. »Quant aux indemnités, elles sont selon lui insuffisantes. « Avec ce que j’ai reçu de la MSA et de ma complémentaire, je n’ai pas de quoi payer un salarié. Heureusement qu’il existe un groupement d’employeurs. » Aujourd’hui retraité, mais actif pour vendre son stock de vouvray, il continue de défendre son régime : « Il ne faut pas verser dans le catastrophisme, il doit bien y avoir des solutions pour que ça fonctionne. Il faut secouer le cocotier de temps en temps ».
Alison a créé son domaine viticole en Touraine avec son ex-conjoint en 2018. Le duo n’a pas été aidé par les aléas climatiques, subissant le gel quatre ans sur cinq. Conséquence pour cette jeune entreprise sans stock : des revenus en berne. « J’ai gagné 250 euros par mois plusieurs années, je me suis tournée vers la MSA pour demander le RSA, la prime d’activité », raconte-t-elle. Malheureusement, il lui a été refusé « alors que quand je faisais la simulation sur le site, j’y avais droit… ». Et quand enfin elle a fini par le toucher fin 2023 et début 2024, il y aurait eu un trop perçu qu’elle doit rembourser aujourd’hui.
Selon la vigneronne, la cause serait les revenus fonciers. « En tant que propriétaire des terrains, je reçois une location de ma propre entreprise. C’est une simple ligne comptable mais elle pénalise. » Alison a pris ses renseignements, « dans les deux départements voisins, rattachés à notre caisse (Berry-Touraine), les revenus fonciers sont neutralisés mais pas en Indre-et-Loire » (1). Pour faire cesser cette inégalité, elle a même contacté le sénateur. « Nous avons des collègues éleveurs qui connaissant la même situation, il faut que la situation se règle sur tout le département, pas seulement pour nous, que nos droits soient respectés ! »