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Tribune
Jean-Michel Boursiquot : « Les variétés résistantes issues d’hybridations interspécifiques ne peuvent pas être considérées comme des cépages de Vitis vinifera"

Suite au statut de Vitis vinifera confirmé pour les variétés résistantes Inrae-ResDur par l’Office communautaire des variétés végétales (OCVV), la question de modifier leur statut en France fait débat. Jean-Michel Boursiquot, professeur honoraire d’ampélographie à Montpellier SupAgro, a souhaité expliquer son point de vue. Nous publions sa tribune.

Les variétés résistantes Inrae-Resdur, comme ici le floreal, doivent-elles être reconnues comme Vitis vinifera ou pas ? Le débat est tranché au niveau européen mais pas encore en France. .
© Inrae

La reconnaissance en mai dernier des variétés Inrae-ResDur comme Vitis Vinifera par l'OCVV leur permet d'accéder potentiellement aux vins AOP. Encore faut-il que ce statut soit modifié en France. Le sujet devrait être abordé lors d’un prochain CTPS (Comité Technique Permanent de la Sélection des Plantes Cultivées).  Le débat se relance alors que l’Union européenne va autoriser l’intégration de variétés hybrides issues de Vitis vinifera dans les vins AOP.

Jean-Michel Boursiquot, professeur honoraire d’ampélographie à Montpellier SupAgro, a souhaité réagir aux différents articles publiés sur le sujet, dont le nôtre.

Pourquoi les variétés résistantes issues d’hybridations interspécifiques ne peuvent pas être considérées comme des cépages de Vitis vinifera, par Jean-Michel Boursiquot, professeur honoraire d’ampélographie à Montpellier SupAgro.

"Suite aux récents articles et annonces au sujet du changement de statut des nouvelles variétés ResDur obtenues par l’INRAE et développées par l’IFV, il me semble nécessaire de préciser et de rappeler certaines bases et certains faits scientifiques.

 

D’après les connaissances actuelles les premiers représentants du genre Vitis sont apparus au début de l’ère Cénozoïque (- 60 Millions d’années) et l’espèce Vitis vinifera sous sa forme sauvage (sylvestris) a commencé à se différencier progressivement à partir du Pliocène (- 5 Millions d’années). L’évolution de cette espèce a par la suite été fortement influencée par la succession des périodes glaciaires et interglaciaires qui se sont suivies tout au long du Quaternaire. Cette particularité, qui en fait sa spécificité par rapport aux autres espèces du genre Vitis comme par exemple Vitis riparia, Vitis rupestris, Vitis labrusca, Vitis amurensis, etc…), a abouti à deux caractéristiques essentielles : i) une diversité et un polymorphisme exceptionnels et ii) un niveau d’hétérozygotie très élevé lui permettant d’évoluer et de s’adapter à des environnements (sol-eau-climat) très variés.

Outre ces caractéristiques génétiques, le nom de Vitis vinifera qui lui a été attribué par les auteurs anciens (Bauhin, 1660 ; Sachs, 1661) et qui a ensuite été retenu par Linné (1753), résulte de son aptitude particulière, là encore par rapport aux autres espèces, pour la vinification. Depuis le début de sa domestication au Néolithique (environ - 8000 ans) dans le Croissant fertile et/ou dans le Caucase, et grâce à des flux complexes à travers tout le bassin méditerranéen, en Europe et au Moyen-Orient, un très grand nombre de cépages (plusieurs milliers) ont été obtenus par croisements entre cépages préexistants appartenant eux même à cette espèce Vitis vinifera.

Pour maintenir et conserver ces cépages du fait du caractère hétérozygote entrainant une perte des caractéristiques dès lors que l’on réalise un semis (même s’il s’agit d’une autofécondation), on a eu alors obligatoirement recours depuis le début de la viticulture à la multiplication végétative (bouturage, marcottage, greffage), c’est-à-dire au clonage.

Le genre Vitis se divise en deux sous-genres, le sous-genre Muscadinia constitué seulement de 2 espèces américaines et le sous-genre Vitis qui comporte environ 80 espèces, asiatiques, américaines et l’unique espèce euro-asiatique, Vitis vinifera.

Les variétés résistantes qui sont disponibles aujourd’hui résultent de croisements et recroisements complexes faisant intervenir plusieurs espèces du sous-genre Vitis et pour ce qui est des programmes initiés par l’INRAE, également de l’espèce rotundifolia appartenant au sous-genre Muscadinia. Le fait de croiser (c’est-à-dire hybrider) plusieurs espèces différentes aboutit alors, par définition, à créer des hybrides interspécifiques.

Lorsque l’on réalise un premier croisement entre deux espèces, par exemple Vitis riparia x Vitis vinifera (ce que l’on appelle une descendance F1), les hybrides ainsi obtenus sont constitués dans leur patrimoine génétique (ADN) d’exactement 50 % de ces deux espèces parentales. Mais lorsque l’on réalise ensuite un recroisement, et a fortiori plusieurs, avec différentes espèces ou hybrides, il n’est alors plus possible de calculer précisément et facilement le pourcentage des diverses espèces dans le génome des variétés ainsi obtenues contrairement à ce que prétendent aujourd’hui différentes personnes et/ou publications. En effet, lors de la formation des gamètes, des crossing-over vont se produire et transférer des portions de génome des grands-parents qu’il n’est pas possible de contrôler, de prévoir ou de calculer facilement.

De plus l’assortiment indépendant des chromosomes rend encore plus difficile leur estimation qui nécessiterait la mobilisation de moyens matériels et humains extrêmement importants en terme de connaissance des génomes et de séquençage, ce qui n’est guère envisageable encore actuellement. Prétendre que telle ou telle variété résistante est constituée à 98,5 ou 99% de Vitis vinifera est donc faux, d’autant plus que la pression de sélection exercée pour sélectionner cette variété avec la meilleure résistance possible va de fait entrainer des biais de sélection et favoriser la sélection de génotypes ayant reçu via ces crossing-over des portions relativement plus importantes de génome des espèces résistantes, c’est-à-dire « non-vinifera ».

De plus, la part du génome qui est codante est estimée à environ 6% seulement du génome total de la vigne. Pour une variété résistante « censée » ne renfermer que 1,5% d’ADN « non-vinifera », qu’en est-il du pourcentage de séquences codantes si la pression de sélection a favorisé là encore un pourcentage d’ADN codant relativement plus élevé ? En exagérant, cela pourrait représenter jusqu’à 25% (1,5/6) de l’ADN codant de la variété, ce n’est bien sûr pas le cas, mais on voit là que c’est bien le pourcentage d’ADN codant qu’il est important de considérer et non pas le pourcentage d’ADN global.

Par ailleurs, concernant le génome et les caractères transmis, l’aspect quantitatif n’est sans doute pas le plus important mais c’est bien le côté qualitatif qui est fondamental, car on parle ici de vigne, de vin, de métabolisme secondaire, de complexité, de finesse, d’agrément. Quelques gènes malencontreux liés, c’est-à-dire situés à proximité des gènes de résistance, suffisent pour obtenir des variétés résistantes qui n’auront jamais la spécificité, la qualité et la complexité des cépages de Vitis vinifera, même après de nombreux recroisements.

Or, pour l’instant le nombre de ces recroisements au sens « strict » (c’est-à-dire réalisés au cours des derniers cycles de croisements), avec un cépage de Vitis vinifera est très limité (0 pour artaban, floreal, vidoc et voltis, le dernier croisement ayant été réalisé avec le Regent, à 5 pour les variétés créées par Alain Bouquet). On peut ainsi obtenir des variétés résistantes qui possèdent par exemple le gène permettant la synthèse des anthocyanes diglucosides et qui se prétendraient être des Vitis vinifera alors que ce caractère n’est jamais présent chez cette espèce ? C’est l’exemple du Regent en Allemagne et de l’Artaban en France. Il est de toute évidence vain et ô combien prétentieux de penser qu’un ou deux recroisements puissent remplacer quelques cinq millions d’années d’évolution et de sélection naturelle.

Enfin les réformes de la nouvelle OCM Vin semblent aller dans le sens d’une évolution de la législation en acceptant de telles variétés résistantes dans le cahier des charges des AOP si leur typicité et de leur qualité sont conformes au produit traditionnel. Alors pourquoi vouloir tordre la taxonomie, la systématique, l’histoire et la spécificité de la viticulture en qualifiant de Vitis vinifera des variétés qui de toute évidence sont des croisements interspécifiques ?

Il n’y a aucune raison. Il serait grandement préférable pour éviter tout amalgame néfaste auprès des vignerons et des consommateurs et pour rester correct d’un point de vue scientifique et déontologique, de reconnaitre et d’accepter tout simplement les éléments factuels que sont la généalogie et la parenté de ces variétés. Les consommateurs, les amateurs, les citoyens ont droit je pense à la transparence et sont capables de la comprendre. Ceci sera d’autant plus vrai et important à l’avenir avec le possible développement de variétés génétiquement modifiées résultant des techniques d’édition du génome, bien différentes de l’hybridation."

Plus d'articles sur les variétés résistantes : 

Le site du réseau Oscar propose une sélection d'articles scientifiques sur les variétés résistantes. Le lien est ici.

Sur le site de l'IFV, un article présente le programme de création de variétés résistantes proches des variétés régionales.

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