Quel avenir pour les NBT en viticulture ?
La Commission européenne et le gouvernement français poussent pour donner aux New Breeding Techniques (NBT) un statut différent de celui des OGM. En quoi ce débat regarde-t-il la vigne et pourquoi faut-il garder un œil dessus ?
La Commission européenne et le gouvernement français poussent pour donner aux New Breeding Techniques (NBT) un statut différent de celui des OGM. En quoi ce débat regarde-t-il la vigne et pourquoi faut-il garder un œil dessus ?
Courant septembre, le président Emmanuel Macron s’est dit ouvert aux New Breeding Techniques, ou NBT (voir encadré en bas de page), provoquant la grogne des écologistes, pour qui ces techniques ne sont ni plus ni moins que des OGM. En janvier déjà, le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie avait pris position en faveur de ces technologies lors d’une interview accordée à Réussir, en disant que « les NBT, ce ne sont pas des OGM », et qu’il leur fallait « une réglementation conforme à ce qu’elles sont, et pas à ce à quoi on voudrait les associer ». Si le débat fait rage dans certains cercles de la société civile, il n’en est pas de même au sein de la filière viticole, pour qui ce sigle est bien souvent inconnu. Et pourtant, elle est bel et bien concernée.
Des outils à maîtriser pour faire avancer la recherche
L’Inrae, en partenariat avec l’IFV, a lancé l’an dernier le projet NBT-Vigne2 pour deux ans, dans le but de s’approprier ces techniques. « Il est encore trop tôt pour travailler sur des applications directes en vigne, explique Loïc Le Cunff, généticien à l’IFV. Mais il y a toute une méthodologie à maîtriser, c’est ce que nous essayons de faire. » Car si ces technologies ont l’avantage d’être rapides et peu chères, elles nécessitent un vrai savoir-faire. Pour l’ingénieur, la maîtrise des NBT en France (notamment la technologie Crispr) est avant tout un enjeu de recherche.
Car on ne sait pas tout sur le génome de la vigne. L’utilisation de la mutagenèse pourrait aider les chercheurs à caractériser le fonctionnement de différents gènes, en inactivant un gène et en observant la plante ensuite. Elle pourrait aider aussi à sélectionner des marqueurs génétiques, utilisables ensuite lors de la création variétale. « En clair la maîtrise de cette technologie nous permettrait de mieux comprendre la plante, poursuit le généticien. Car les opportunités sont énormes. Pour nous, chercheurs, c’est comme si l’on passait d’une 2CV à une Lamborghini. Si l’on veut rester dans la course il faut s’en emparer. »
Les perspectives d’une création variétale aux possibilités infinies
Les NBT pourraient aussi, et c’est là que les débats s’enveniment, sortir des laboratoires et servir directement à la création variétale. En effet, des procédés comme le Crispr (ciseaux moléculaires) ou la mutagenèse laissent imaginer à terme l’obtention de plants de vigne avec les caractéristiques que l’on choisit : résistance au mildiou, à l’oïdium, au court-noué, au stress hydrique, voire le profil aromatique ! « Ces techniques permettraient d’apporter demain un matériel végétal adapté aux contraintes que l’on subit : réduction des produits phytosanitaires, adaptation au changement climatique et aux marchés ; le champ des possibles est infini, estime Olivier Zekri, responsable R & D des pépinières Mercier. Par l’hybridation traditionnelle, on ne peut pas toucher tous les traits de caractère, et on est limité aux sources de résistances connues chez la vigne. »
Le responsable R & D juge toutefois que le contexte européen freine ou annule les initiatives qui pourraient aller dans ce sens. Avec le risque de voir plus tard des distorsions de concurrence, pour les pépiniéristes qui n’auront pas pu innover dans le cas où de telles variétés deviendraient autorisées, ou pour les viticulteurs dans le cas où elles seraient interdites en Europe mais autorisées dans le nouveau monde. « Et quand on voit que ce sont les Chinois qui publient le plus sur les NBT en vigne, ça interroge », lance Olivier Zekri.
Des velléités pour créer un cadre juridique distinct des OGM
Depuis 2018, les NBT sont soumises à la législation sur les OGM, par suite d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. Mais la Commission européenne a publié un rapport en avril 2021 dont la conclusion indique que « la législation n’est pas adaptée » aux progrès scientifiques, et que les NBT et leurs produits peuvent « contribuer à rendre les systèmes alimentaires durables ». Un avis que partage le responsable R & D du groupe Mercier. « Le génome végétal est en constante évolution, il mute naturellement, insiste-t-il. Ces techniques n’ont pas vocation à introduire des gènes supplémentaires mais à aider la nature à modifier son génome. Le but n’est pas de jouer à se faire peur, la création variétale passera par un temps d’évaluation des modifications et des effets secondaires. » Un argument contré par Yves Bertheau, directeur de recherches honoraire Inrae au Muséum national d’Histoire naturelle, pour qui ces techniques, bien que plus précises (on peut modifier une séquence d’ADN quasiment à la paire de bases près) sont de même nature que les OGM issus de transgenèse. « Les génomes ne sont pas si simples, argumente-t-il. Lors de ces mutagenèses il y a toujours d’autres parties du chromosome touchées. Les systèmes sont difficiles à maîtriser et nécessitent l’emploi d’inhibiteurs par exemple, dans le cas de Crispr. On ne parle jamais des techniques connexes, comme les phases de culture in vitro, mais les cellules ciblées sont toutes affectées par des modifications non-intentionnelles. »
Les NBT au menu de la politique européenne en 2022
Reste à savoir si ces risques sont acceptables ou non. Exercice ardu s’il en est, puisque le débat est d’une technicité extrême et que l’on trouve des experts dans les deux camps. Ce sera, très probablement, la société civile qui fera pencher la balance. La Commission européenne a détaillé sa feuille de route pour une future proposition de cadre juridique, dont les parties intéressées ont pu soumettre leurs avis entre septembre et octobre. Une consultation publique est prévue pour le deuxième semestre 2022. « La France a prévu de mettre le dossier à l’ordre du jour dans l’agenda européen lorsqu’elle aura la présidence », pointe Yves Bertheau. Les Pays-Bas et le Royaume-Uni avaient déjà essayé sans trop de succès depuis 2007. Seuls quelques États membres sont motivés pour faire évoluer la législation. Par ailleurs le Parlement européen y est opposé, à l’inverse de la Commission. Une chose est sûre, le débat risque de revenir régulièrement sur le tapis, et il est bon d’avoir en tête de quoi on parle. Après tout, les agriculteurs sont les premiers concernés…
Les NBT, qu’est-ce que c’est ?
Le terme de New Breeding Techniques regroupe sous une même appellation un ensemble hétéroclite de procédés d’édition du génome, c’est-à-dire de modification de séquences d’ADN, utilisés pour la sélection variétale des plantes. On y trouve notamment des techniques de mutagenèse, aléatoires ou dirigées, qui consistent à exposer les cellules végétales à des agents énergétiques (rayonnement) ou chimiques pour faire muter leur génome, et sélectionner ensuite celles qui nous intéressent. Les NBT comprennent aussi la technique dite des « ciseaux moléculaires » – Crispr – qui permet de couper l’ADN en un point précis et de remplacer, par exemple, un gène. Dans le cas des OGM « classiques », issus de transgénèses, on intègre à la plante un gène étranger, qui vient s’insérer en plus dans le génome et à un endroit que l’on ne maîtrise pas. Pour certains, cela représente une différence fondamentale, puisque les procédés de NBT permettent de « changer simplement la codification ». Pour d’autres, cela reste de la manipulation du vivant, avec toutes les sources d’inconnues que cela véhicule.