Maîtriser les indicateurs de la matière organique en viticulture
À teneur en matière organique égale, deux produits ou composts peuvent avoir des comportements très différents. Des indices agronomiques tels que l’Ismo permettent d’estimer les fractions stables et labiles.
À teneur en matière organique égale, deux produits ou composts peuvent avoir des comportements très différents. Des indices agronomiques tels que l’Ismo permettent d’estimer les fractions stables et labiles.
Indice de stabilité biochimique (ISB), Caractérisation biochimique de la matière organique (CBM) ou encore Indice de stabilité de la matière organique (Ismo)… Lorsqu’un viticulteur se penche sur sa fertilisation organique, il se heurte parfois à de nombreux sigles et au jargon agronomique. « L’indice CBM n’est plus du tout usité car il est obsolète, explique Blaise Leclerc, expert en matière organique à l’Itab, l’Institut technique de l’agriculture biologique. Il arrive d’entendre parler encore d’ISB car il existe toujours beaucoup de références sur le sujet, mais l’indice qu’il convient d’employer de nos jours est l’Ismo. » En effet, la norme NFU 44-051, qui sert à caractériser les amendements organiques, exige désormais de donner une valeur de l’Ismo, là où elle exigeait autrefois une caractérisation de l’ISB. La différence entre ces deux indices n’est pas très grande. Dans les deux cas, le test consiste à attaquer le produit avec différentes solutions chimiques de plus en plus fortes pour détruire la matière organique et à déduire la fraction de celle qui sera dégradée rapidement versus celle qui restera de manière stable dans le sol. L’Ismo comprend en plus une estimation de la cinétique de minéralisation, qui permet de caractériser le comportement dans le temps du compost ou de l’amendement.
L’indice idéal dépend du sol et de l’itinéraire choisi
« On sait ainsi comment se comporte le carbone, déchiffre Marie-Élisabeth Despont, ingénieure du laboratoire d’analyses Auréa. On peut donc estimer la part de matière organique qui sera toujours présente dans le sol l’année après l’apport et celle qui va rapidement se minéraliser. » Cet indice est borné, on l’exprime généralement en pourcentage. « J’entends parfois des gens faire une interprétation rapide de l’Ismo, et appliquer un jugement de valeur sur un chiffre. Dire par exemple que c’est mieux d’avoir un amendement proche de 100 %. En réalité tout dépend du contexte », soutient Blaise Leclerc. Si l’on souhaite avoir un taux de matière organique stable dans le temps et dynamiser le fonctionnement des organismes du sol, mieux vaut avoir un produit avec une valeur plus basse. Si au contraire l’idée du viticulteur est de stocker du carbone et d’augmenter le taux d’humus dans ses parcelles, alors il cherchera un Ismo le plus élevé possible. « Un amendement avec un indice de 60 % représente un produit plutôt mixte, qui résiste partiellement à la dégradation et enrichit le sol en humus, mais apporte aussi des éléments nutritifs », complète Marie-Élisabeth Despont.
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Le raisonnement doit aussi être fait en fonction du type de sol à amender. Les sols sableux ont besoin de matière organique stable pour augmenter la capacité d’échange cationique (CEC) et la rétention en eau. Mieux vaut alors favoriser dans ce cas les valeurs d’Ismo élevées, car ces produits comprennent déjà des composés humiques. Sur un sol lourd en revanche, on cherche davantage à favoriser l’agrégation par les micro-organismes. Il y a donc besoin de matière moins humifiée. Pour Blaise Leclerc, l’Ismo est une donnée intéressante, mais plutôt réservée aux viticulteurs qui souhaitent réaliser une gestion fine et précise de la matière organique dans les sols. « Ce n’est pas forcément un outil bien adapté pour piloter une réflexion sur la fertilisation, dit-il. Regarder cet indice est pertinent s’il y a un enjeu sur le stockage de carbone. »
Classer les produits les uns par rapport aux autres
Et même dans ce cas, étudier l’Ismo n’est pas toujours indispensable. Si par exemple le but de l’amendement est d’apporter du carbone dans le sol pour reconstituer le stock sur le long terme, le viticulteur peut se passer de regarder l’Ismo. Il lui suffit de réaliser des analyses du taux de matière organique tous les quatre à cinq ans pour contrôler. « Regarder l’indice est plus intéressant pour ceux qui s’intéressent à la dynamique du sol et veulent une vision à plus court terme des équilibres », poursuit l’expert. Mais attention, cela est vrai à condition de pouvoir interpréter ces chiffres par rapport aux propriétés du sol (capacité de rétention en eau, de stockage du carbone ou encore fourniture en azote). Il faut également rapprocher l’indice des teneurs en azote, phosphore et potassium de l’amendement pour conclure à une éventuelle fourniture d’éléments fertilisants. Pour l’entreprise Auréa, l’utilisation de l’Ismo est davantage pertinente pour classer les produits les uns par rapport aux autres que pour transposer les potentiels du produit au champ.
En principe les plateformes de compostage de taille importante doivent donner la valeur de l’Ismo du produit au moins une fois par an, bien qu’il puisse y avoir des variations entre les lots. Il est également possible de faire analyser son propre compost, le coût étant abordable (environ 260 € HT). « Cela me paraît être exagéré pour un viticulteur seul, mais pourquoi pas pour un groupement de vignerons qui font leur compost commun », estime Blaise Leclerc.
Des indices différents du rapport C/N
Les indicateurs de caractérisation de la matière organique, comme l’Ismo, ont été développés par les chercheurs en agronomie dès le début des années 90. Si l’avantage est d’avoir un indicateur unique pour des produits très variés, Rémi Chaussod, ancien chercheur à l’Inra de Dijon, pointe quelques détails à prendre en compte. La granulométrie du produit par exemple n’entre pas en considération, alors que « plus un amendement organique est broyé fin, plus sa surface de contact avec le sol est importante, d’où une stimulation de la dégradation ». D’autre part, il faut noter l’absence de corrélation entre Ismo et rapport C/N. Ainsi un produit peut avoir un ratio C/N important et un Ismo faible, et inversement. « Ceci montre que l’utilisation d’un simple rapport C/N n’est pas toujours pertinente », écrit le scientifique. En effet, la disponibilité de l’azote dépend davantage de sa localisation dans les fractions biochimiques que du rapport C/N du produit.