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Contre le gel de la vigne, il existe des leviers de lutte passive

Tout le monde n’a pas les moyens ou l’envie d’investir dans un matériel de lutte. Les pratiques culturales sont alors un levier possible pour limiter les dégâts du gel.

Les arbres dans la parcelle ont un léger effet protecteur face au gel sur les vignes à proximité immédiate.
Les arbres dans la parcelle ont un léger effet protecteur face au gel sur les vignes à proximité immédiate.
© Domaine Émile Grelier
 

Dès la plantation, jouer sur le matériel végétal

Le choix du matériel végétal peut être une solution pour limiter la période d’exposition de la vigne au gel. En jouant notamment avec la phénologie. « Il est pertinent, par exemple, de planter des cépages avec un débourrement plus tardif dans les zones les plus gélives », illustre Benjamin Bois. En revanche le porte-greffe ne semble pas, a priori, avoir beaucoup d’impact sur le démarrage de la vigne. Dans le cadre du projet GreffAdapt à l’Inrae de Bordeaux, la phénologie de 55 porte-greffes associés à 5 cépages est scrupuleusement relevée tous les ans par les scientifiques. Peut-être observeront-ils quelques jours d’écart selon les combinaisons, et des leviers pour retarder le débourrement. « On peut aussi jouer avec la diversité des clones, suggère l’universitaire. Là encore il est possible de gagner quelques jours. »

Tailler tardivement peut faire gagner un mois

Il est évident pour tout le monde que tailler tard, voire après le débourrement, permet de jouer sur la phénologie et de retarder un peu l’éclatement des bourgeons qui nous intéressent. Objectiver cela de façon scientifique et en tirer une réelle méthodologie est en revanche plus complexe. C’est toutefois ce que tente de faire la société Vineis Projets, avec les chambres d’agriculture bourguignonnes et l’université de Bourgogne. Plusieurs modes de conduite et périodes de tailles sont comparés à travers le vignoble bourguignon, en regardant la réaction face au gel, la phénologie, les rendements, etc.

Plusieurs hypothèses sont à l’étude. Celle par exemple qu’un tronc plus haut représente moins de risques, car la température est plus basse à ras du sol. « Nous n’avons pas trouvé de différences là-dessus cette année », nuance toutefois Benjamin Bois, chercheur à l’université de Bourgogne en charge du projet. De même, les chercheurs comparent des interventions de taille courant mars et mi-avril. « Tailler après le débourrement est intéressant pour décaler le démarrage de la vigne, estime Marc Ouvrié, gérant de la société Vineis Projets. Mais ce qu’il faut voir c’est l’impact sur le long terme, est-ce que cela va impacter la vigueur. Nous manquons de recul. »

Le consultant a également évalué une pratique mise en œuvre dans le chablaisien qui consiste en un « épluchage » tardif, c’est-à-dire un nettoyage de la baguette une fois que les rameaux des entre-cœurs ont débourré. « La technique paraît intéressante. Après le gel nous n’avons pas vu une grande différence mais à la récolte il semble qu’il y ait davantage de vendange. Nous verrons une fois les résultats consolidés, relate-t-il. Mais elle ne peut être mise en œuvre que sur des parcelles assez vigoureuses pour avoir des entre-cœurs. »

Le consultant s’interroge aussi sur un éventuel calcul des sommes de températures hivernales qui pourrait indiquer un avancement de l’état physiologique de la plante et de piloter ainsi le chantier de taille. Car contrairement à la phase végétative, où l’on connaît même les heures d’ensoleillement nécessaires à la vendange, il n’existe aucun recul de ce type concernant le repos. En Italie, des chercheurs de l’université de Plaisance se sont également penchés sur la question. Ils estiment que tailler au gonflement du bourgeon (sur des cordons) permet de gagner en moyenne quatre jours, et que l’on peut gagner dix-sept à trente et un jours en taillant tardivement après le débourrement. « Nous conseillons toutefois de ne pas tailler une fois que les bourgeons du haut ont dépassé le stade deux feuilles, précise le professeur Stefano Poni. Au-delà, cela impacte le rendement. »

Fortifier la vigne à l’aide de produits antistress

Préparer la vigne au gel en lui envoyant des signaux, comme le font les biodynamistes avec la valériane, va-t-il à l’encontre de la logique scientifique ? Non, si l’on en croit les dernières recherches en physiologie végétale menées par l’USDA, institut de recherche agricole des États-Unis, et l’université de Kingston au Canada. D’une part les végétaux sont capables de sécréter des protéines qu’ils vont stocker dans les vacuoles pour faire baisser le point de congélation, mais en plus la vigne réagit à des stress dus au froid en activant divers gènes pour résister à la chute des températures. Les produits ou mixtures de préparation de la vigne au gel sont-ils pour autant efficaces ? Difficile à dire.

Le Comité interprofessionnel des vins de Champagne (CIVC) indique par exemple avoir eu des résultats significatifs lors du gel de 2012 avec l’éliciteur PEL-101-GV, alors que l’IFV du Val de Loire n’a trouvé aucune différence avec le témoin. Les retours d’expérience entre vignerons sur Facebook à propos de ce produit sont tout aussi contrastés, entre louanges et critiques. « Nous avons testé en 2017 une douzaine de produits vendus contre le gel, rapporte Guillaume Delanoue, ingénieur IFV à Bourgueil. Nous n’avons pas vu une seule différence avec les témoins. S’il ne gèle pas, on ne voit rien ; s’il gèle trop, on ne voit rien non plus. Je pense que cela se joue à un chiffre après la virgule, peut-être que l’on gagne quelques dixièmes de degrés… En tout cas je ne trouve pas que cela justifie un passage de tracteur. »

L’arbre, un allié potentiel dans certains cas

L’agroforesterie se développe doucement mais sûrement en viticulture. Mais quel effet peut avoir un arbre vis-à-vis du gel ? Cette pratique pourrait-elle devenir aussi un moyen de lutter contre les gelées de printemps ? « Ça dépend », pose le vigneron bordelais du domaine Émile Grelier, Benoît Vinet, qui pratique l’agroforesterie depuis plus de dix ans, au point de devenir consultant. Pour lui, l’arbre en lui-même a plutôt un effet positif. « Je constate que les vignes à proximité d’un arbre isolé sont un peu protégées, sur un petit rayon autour », relate-t-il. Un phénomène que l’on doit probablement à l’effet radiatif (comme un voile), mais aussi aux turbulences créées sous l’arbre s’il y a un peu d’air, et qui chassent la rosée. « En revanche les haies peuvent avoir un effet pervers si elles bloquent l’air froid et l’empêche de s’écouler », avertit le vigneron.

Un élément également soulevé par Annabel Garçon, conseillère viticole à la chambre d’agriculture de Gironde. « Les haies mais aussi les bois influent sur le gel, ils peuvent couper le vent comme bloquer les masses d’air, affirme-t-elle. Aussi il faut raisonner l’implantation des parcelles en fonction de ces éléments. » On voit donc la difficulté à composer avec les arbres. Car si l’effet se révèle plutôt positif en intra-parcellaire, leur multiplication ne peut rester que limitée dans l’espace. « Nous avons un essai en cours avec des arbres plantés à forte densité dans la vigne, à 600 arbres par hectare. Je pense que cela aura un effet positif sur le gel, mais il faut attendre dix à quinze ans pour le dire, regrette Benoît Vinet. Quoi qu’il en soit, sur des gelées noires comme en 2017, il ne faut pas se faire d’illusion. Et en 2021, nous avons gelé comme tout le monde… »

Quel entretien du sol face au gel ?

Il faut garder à l’esprit que la présence d’un couvert augmente le risque de gel. Cet effet a été prouvé à plusieurs reprises, aussi bien par le Comité interprofessionnel des vins de Champagne que par l’Inrae. Des herbes hautes peuvent faire chuter la température jusqu’à un degré, d’où l’importance de garder un couvert le plus ras possible. Si le couvert doit être détruit pour faire un paillage, il faut faire en sorte que le mulch soit bien sec au moment des gelées.

Le travail du sol quant à lui entraîne un relargage d’humidité, facteur aggravant du gel. Les experts préconisent de ne pas travailler les sols dans les sept à dix jours qui précèdent un risque. En ce qui concerne les couverts végétaux, Annabel Garçon suggère de réfléchir dès le semis, en choisissant des espèces qui seront à la bonne hauteur au moment des gelées et en ne semant pas après la mi-octobre. Les chercheurs ne sont toujours pas fixés en revanche sur l’effet de couverts ayant largement dépassé la vigne. Des expérimentations ont lieu en Val de Loire pour conclure à une éventuelle protection ou aggravation face au gel.

bon à savoir

L’air est attiré par l’eau. Les vignes situées au-dessus de nappes souterraines ou à proximité de cours d’eau seront ainsi plus gélives. De même, la présence de carrières sous les parcelles les rend plus sensibles au gel, l’eau et l’air s’y engouffrant.

Tous les articles de notre dossier Gel 2021 : les tops et les flops

 

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