Des enherbements pas comme les autres
L’enherbement est une pratique désormais largement diffusée dans le vignoble français, le plus souvent sous forme spontanée. Certains tentent des couverts pour le moins originaux. Retours d’expériences.
1 - Du blé pour les lapins, mais pas seulement
“ Nous avions beaucoup de dégâts causés par les lapins qui rongeaient la vigne ”, explique Claire Lagille, viticultrice à Treslon en Champagne. “ Nous nous sommes demandés pourquoi ne pas leur donner à manger ? ”, poursuit-elle. Avec son père, Bernard Lagille, vigneron mais aussi céréalier, ils décident de faire une tentative avec du blé. Et pas seulement en culture intermédiaire mais durant toute la campagne. “ Il y avait aussi des problèmes de concurrence avec les fétuques et les ray-grass, dans les zones de sols pauvres ”, poursuit Claire Lagille.
L’introduction du blé s’est faite progressivement : d’abord sur les pinots en alternant les rangs semés, puis en faisant une rotation sur les parcelles. Ce n’est que l’an dernier que trois quart du vignoble (pinot, chardonnay et pinot meunier) a été enherbé en blé à une dose de 200 kg/ha. “ Nous avons décidé de ne pas tondre pour baisser les coûts d’entretien et ne pas dégrader notre bilan carbone. Nous laissons donc monter le blé. Différents travaux nous permettent de coucher les blés au sol : lors du rognage ou de l’écimage par exemple. Cela permet de former un paillis qui protège les sols contre l’érosion ou lors de violents orages ”, indique Claire Lagille. Autre avantage : les épis couchés au sol se ressèment naturellement. “ Cette année nous avons semé à nouveau mais à une moindre densité ”, précise Claire Lagille.
“ Cette année, nous nous équipons d’interceps ”
Et quid de la concurrence en alimentation hydrique et azotée de la vigne ? “ Nous ne recherchons pas une charge trop importante et la concurrence est inférieure à celle exercée par une fétuque ou un ray-grass, du moins sur nos parcelles de coteaux ”, indique Claire Lagille.
Par ailleurs, Claire et Bernard désherbent sous le rang pour obtenir une bande désherbée de 40 à 50 centimètres de large. “ Jusqu’ici nous utilisions des désherbants chimiques mais cette année, nous nous équipons d’interceps ”, ajoute Claire Lagille. Selon cette dernière, le seul inconvénient de cette pratique concerne la protection phytosanitaire du vignoble : à un moment donné, les épis atteignent la même hauteur que les grappes. Il faut alors être équipé d’un pulvérisateur pneumatique avec une bonne soufflerie…
2 - Un mix entre intérêt agronomique et écologique
Dans le cadre d’un projet Biodivine, conduit notamment par l’Institut français de la vigne et du vin, deux domaines viticoles des costières-de-nîmes ont implanté, à l’automne 2012, un couvert composé de légumineuses (sainfoin, luzerne méditerranéenne, trèfle de perse, trèfle incarnat) et plantes d’intérêt écologique (pimprenelle, gaillet jaune…) pour un coût de 50 euros/kg. Il s’agit de poursuivre un double objectif : améliorer la qualité agronomique des sols et favoriser le développement des arthropodes. Michel Gassier, du Château de Nages, n’a pas lésiné en choisissant d’implanter ce couvert sur 35 hectares. “ Nous conduisons nos vignes en bio. Au lieu de réaliser des apports d’azote d’origine exogène, je préfère utiliser des engrais verts. Par ailleurs, le mélange permet de décompacter grâce à l’action des racines. Notre vignoble est en effet implanté sur des sols limoneux qui se compactent fortement ”, explique-t-il. Ce n’est pas la seule raison pour avoir essayé le sainfoin. “ En bio, nous avons besoin de sols qui portent pour entrer dans les parcelles sans attendre le réessuyage des sols. Un sol mou comme de la guimauve est un risque pour l’efficacité de la protection du vignoble. Savoir que je peux rentrer dans mes parcelles, même dans une fenêtre de trois jours, me permet d’avoir une logique de traitement plus raisonnée que des traitements systématiques réalisés à intervalles réguliers. Ainsi, l’enherbement devient un outil de raisonnement de mes traitements ”, explique-t-il. Mais pourquoi avoir choisi notamment le sainfoin ? “ C’est une plate rustique et résistante au roulement. Elle fleurit en mai puis se met en état de faible activité, ce qui permet de garantir une faible concurrence hydrique au moment où les disponibilités en eau deviennent moins importantes ”, précise Michel Gassier.
La principale difficulté observée reste le semis
La première campagne de test permet d’observer un couvert très dense, année pluvieuse oblige. Il a été fauché fin mai et fera “ peut-être l’objet d’une tonte au moment de l’écimage ”. L’année prochaine, la végétation sera enfouie un rang sur deux afin de permettre la restitution de l’azote fixé par le sainfoin. Cette alternance entre rangs permet d’assurer une zone de bonne portance. La principale difficulté observée au cours de cette première année d’implantation reste le semis. D’une part le matériel n’est pas adapté à semer des mélanges de graines de taille très différente. “ Nous avons utilisé une vieillerie et nous avons dû homogénéiser le mélange à chaque fin de rang ”, indique Michel Gassier. Par ailleurs, l’implantation s’est faite tardivement, après la récolte, pour ce domaine qui a l’habitude de bien laisser mûrir et prolonge ses vendanges jusqu’en octobre. Et Michel Gassier de regretter : “ Or, pour une implantation optimale, les semis de légumineuses doivent plutôt être réalisés en septembre…”
3 - Du seigle et de la féverole à la volée
En 2010, le Château Couhins, domaine de l’Inra situé en appellation pessac-léognan, s’est lancé dans un enherbement composé de seigle et de féverole, chacune des variétés étant semées un rang sur deux. “ Ce mélange nous a été conseillé pour à la fois décompacter les sols grâce à l’enracinement important du seigle et de la féverole. Cette dernière permet aussi un complément d’azote ”, explique Matthieu Arroyo, responsable technique du Château Couhins. Les semis sont réalisés pendant les vendanges en septembre et en octobre… à la volée ! “ Nous travaillons avec des enjambeurs. Or, il n’existe pas de semoir qui se fixe sur un enjambeur, adapté à la féverole et aux céréales ”, regrette Matthieu Arroyo. Du coup, c’est système D ou plutôt le retour aux bonnes vieilles pratiques. “ Il faut compter environ 2 h/ha pour semer ”, précise Matthieu Arroyo.
“ Les sols se sont assouplis en surface ”
Le résultat est plutôt aléatoire car il n’est pas simple de semer 200 kg/ha de manière régulière avec des graines qui mesurent 2 cm de diamètre pour la féverole et quelques millimètres pour le seigle. Le couvert est fauché au débourrement. Quels sont les bénéfices après trois campagnes d’implantation de ce couvert ? Matthieu Arroyo reste mesuré : “ Nous manquons encore de recul mais il est clair que les sols se sont assouplis en surface. Reste qu’en profondeur, il est difficile de se forger une opinion.”