Couverts en vigne : vaut-il mieux des semences certifiées ou paysannes ?
Semer des couverts végétaux avec des graines fermières coûte moins cher qu’avec des semences certifiées. Mais d’autres critères entrent en jeu. Décryptage.
Semer des couverts végétaux avec des graines fermières coûte moins cher qu’avec des semences certifiées. Mais d’autres critères entrent en jeu. Décryptage.
Pour s’approvisionner en semences d’engrais verts, il y a deux écoles : ceux qui s’appuient sur les semenciers, et ceux qui vont directement frapper à la porte des agriculteurs produisant céréales, légumineuses ou autres grandes cultures. « Il n’y a pas de bon ou de mauvais choix, pose Claire Scappini, responsable technique chez Racine SAP, dans le Var. Il faut juste être conscient des avantages et inconvénients de chaque option. » Le principal argument en faveur des semences fermières est leur prix. Alors qu’il n’est pas rare de débourser entre 1 500 et 3 000 euros la tonne pour des semences certifiées d’avoine ou de féverole, par exemple, il est possible de trouver ces mêmes graines en direct des fermes à des prix compris, selon les régions, entre 400 et 800 euros la tonne. Mais celles-ci n’auront pas de taux de germination garanti. « Généralement, on conseille de surdoser un peu la quantité de semis à l’hectare avec les semences fermières, de 20 ou 30 %, pour compenser », avance Laetitia Caillaud, à la chambre d’agriculture de Charente-Maritime.
Attention aux semences brutes qui peuvent boucher le semoir
En effet certaines graines peuvent être cassées ou perforées par des ravageurs, comme la bruche ou le charançon, ce qui n’est pas le cas dans les lots vendus par les semenciers. De même, la conseillère met en avant l’importance du tri, et recommande de vérifier auprès des agriculteurs à qui l’on achète des semences fermières que l’opération a bien été effectuée. « Autrement, il peut y avoir des éléments grossiers, comme des cosses de fèveroles par exemple, qui viennent boucher les cannelures du semoir », explique-t-elle.
Ce tri est également important pour éliminer les éventuelles graines d’autres espèces, notamment les indésirables. « Dans des semences de ferme brutes, il peut y avoir des graines d’adventices au milieu », prévient Thierry Massol, à la chambre d’agriculture du Tarn. Les semences certifiées sont plus chères mais ont connu un tri beaucoup plus draconien, garantissant leur pureté. « Ce point est toutefois à relativiser, dans le sens où le couvert en vigne est destiné à être détruit au printemps », tempère Paul-Armel Salaun, référent viticulture à l’Itab (1). Laetitia Caillaud n’a d’ailleurs jamais eu aucun retour de viticulteur sur des problèmes d’adventices dues au couvert, alors que les semences fermières sont largement répandues dans le vignoble charentais.
L’aspect variétal est davantage maîtrisé par les semenciers
Un autre avantage des semences certifiées, selon Claire Scappini, réside dans le fait qu’elles sont généralement plus résistantes face aux bioagresseurs. « Les graminées commercialisées par les firmes peuvent être moins sensibles à la rouille », illustre-t-elle. Il faut dire que les semenciers ont une véritable expertise, et qu’ils sont à même de jouer sur les variétés. Certaines sont plus précoces que d’autres, et l’on n’attend pas les mêmes caractéristiques d’un couvert que d’une culture. Dans un cas c’est la biomasse qui est au cœur de l’attention, dans un autre les qualités alimentaires. « De plus, ces entreprises sont également expertes dans les mélanges, elles réalisent un travail sur la taille des graines, ce qui facilite le semis », poursuit la responsable technique.
Rien n’empêche, du reste, d’associer des semences certifiées avec des graines fermières. D’ailleurs on ne trouve pas de tout dans les fermes. Si les blés, avoines, féveroles, ou encore pois sont des espèces assez répandues, ça n’est pas le cas d’autres comme les trèfles, qui n’existent presque pas en semences fermières. Passer par le distributeur est parfois obligatoire lorsqu’on souhaite complémenter son mélange d’espèces particulières. « Le 'sourcing' fait partie de l’équation, au même titre que le prix », confirme Thierry Massol. Se fournir dans des fermes régionales implique en outre d’avoir des agriculteurs en polyculture à proximité. Cela demande un minimum d’organisation, car il faut trouver les contacts (exercice d’autant plus délicat quand on est en bio) et surtout réserver les graines.
S’approvisionner à la ferme est plus économique mais moins pratique
« Si l’on n’anticipe pas, l’agriculteur aura vendu sa récolte au moment où le viticulteur doit semer », prévient le conseiller. Sans compter que les disponibilités à la ferme peuvent fluctuer : les moins bonnes années (comme 2024), il y en a moins que lorsque les récoltes sont pléthoriques. « Trouver les bons contacts, aller chercher les graines, faire son mélange… tout cela prend du temps, avertit Marjolaine de Renty, consultante varoise de l’ICV. Il faut penser à prendre en compte ces coûts indirects. » Pour les petits vignobles, de quelques hectares seulement, ou pour ceux qui se lancent dans des essais d’engrais verts, il est souvent plus pratique d’aller acheter ses semences chez le distributeur. Pour les autres, la semence fermière est un levier d’économie, d’autant plus si l’on travaille avec des partenaires rigoureux.
Une association vigneronne pour l’achat de semences
À la suite d’un GIEE (1) sur les couverts végétaux, un groupe de viticulteurs du Luberon a décidé de monter une association pour mutualiser l’achat des graines. « Nous avons créé des partenariats avec des agriculteurs, principalement locaux, chez qui nous nous approvisionnons », explique Frédéric Busi, président de l’association dénommée Adael. Une cinquantaine de viticulteurs et arboriculteurs y adhèrent, ce qui représente près de 40 tonnes de semences par an. La cotisation annuelle de 35 euros ouvre l’accès aux commandes d’un mélange de base, composé d’avoine, féverole, orge, pois fourrager, seigle, triticale et vesce. Mais aussi à la location d’un des deux semoirs autoconstruits pour la somme de 60 euros par jour.
Le mélange est proposé en big bag par unité de 175 kg (dose pour un hectare en plein) au prix de 115 euros pour la version conventionnelle et 175 euros pour celle certifiée en agriculture biologique. Les graines sont simplement triées de façon à retirer les grosses impuretés qui pourraient bloquer le semoir. « Nous ne connaissons pas les variétés ni la viabilité, mais cela suffit largement pour obtenir les effets que nous recherchons », estime le président. L’association fonctionne grâce au bénévolat, et profite de l’entrepôt de la coopérative de cerises du village, qui n’est pas exploité à la fin de l’été. « Notre structure est ouverte à tous les agriculteurs intéressés, précise Frédéric Busi. Nous rayonnons sur tout le Luberon et même jusqu’à la rive droite du Rhône. »