Beaucoup de migrations pour un effet très limité
De nombreuses molécules autres que le TCA sont capables de migrer de l’obturateur vers le vin. Mais les quantités restent infimes et observées de près par les bouchonniers. Pour la majorité d’entre eux, l’impact sur le profil organoleptique reste anecdotique.
De nombreuses molécules autres que le TCA sont capables de migrer de l’obturateur vers le vin. Mais les quantités restent infimes et observées de près par les bouchonniers. Pour la majorité d’entre eux, l’impact sur le profil organoleptique reste anecdotique.
Les TCA ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Les bouchons recèlent en effet de nombreux autres composés pouvant être relargués dans le vin. L’entreprise Diam a identifié pas moins de 150 molécules volatiles. Certaines sont positives comme la vanilline (arôme de vanille), le benzaldéhyde (amande amère) ou le furfural (caramel). D’autres sont moins désirables à l’image du gaïacol, connu pour ses notes fumées. Mais les bouchonniers veillent au grain pour protéger les vins en bouteilles. « Ces apports aromatiques ne sont ni contrôlables, ni répétables, explique Pascal Popelier, responsable commercial pour la firme. Le vigneron n’a plus la maîtrise. » D’autant plus que le liège est très hétérogène. Malgré les quantités globalement faibles, il peut y avoir une concentration significative sur un bouchon donné. En conséquence, les industriels désodorisent leurs bouchons, pour les rendre exempts de tous éléments volatils.
En outre, certaines molécules ne peuvent être éliminées. Il s’agit des composés phénoliques. « Le liège en est riche, comme le chêne dont il provient », observe Paulo Lopes, chercheur chez Amorim. La firme portugaise en a identifié une cinquantaine, capable de migrer du bouchon vers le vin. Comme l’acide gallique, l’acide ferullique ou la vanilline. Ces molécules se dégagent de manière linéaire tout au long du vieillissement. Mais malgré tout, les quantités restent infimes. Lors d’un essai de macération de liège dans des solutions synthétiques, Paulo Lopes a trouvé que « pour les composés phénoliques les plus simples, on peut arriver à des teneurs proches de 10 mg/l au bout de trois ans. Par contre sur les éléments plus complexes, comme les tanins ellagiques, on ne dépasse pas 1 à 2 mg/l ». Mais dans une bouteille, les échanges sont plus limités.
« Une goutte d’essence dans un réservoir »
Et les avis concernant l’impact de ces interactions sur le profil sensoriel des vins sont partagés. Du côté d’Amorim, les scientifiques penchent pour un effet bénéfique à long terme, la polymérisation des molécules en composés plus complexes devant aider à stabiliser la couleur des rouges de garde. Tout en diminuant la perception d’amertume et d’astringence. « C’est très positif pour les vins qui vieillissent pendant plus de quatre ou cinq ans en bouteille, estime Paulo Lopes. Cela participe au développement des arômes tertiaires. » Mais pour la majorité des acteurs de la filière, cela reste très anecdotique. « Cela revient à mettre une goutte d’essence dans son réservoir, assène Antonio Ferreira. Les quantités sont tout à fait négligeables. Faire croire que l’on a un produit miraculeux, capable de libérer des composés phénoliques, est absolument faux. » Quant à Malcolm Thompson, responsable innovations chez Vinventions, il reconnaît l’impact que peuvent avoir ces transferts sur la couleur et le profil sensoriel des vins. « En revanche, l’effet positif de ces échanges reste à prouver, assure-t-il. Nos bouchons se doivent donc d’être le plus inertes possible. »
Logiquement, la quantité de composés phénoliques disponibles dépend aussi de la qualité du matériau. « Plus elle est élevée et moins il y a de lenticelles (pores) dans le liège, précise Paulo Lopes. Or une grande partie des composés phénoliques se trouve dans ces pores. » Et sur un bouchon aggloméré, contenant de la colle, la surface de contact entre le vin et le liège est moindre que celle d’un obturateur naturel. Les échanges sont donc moins importants.
Des problèmes de relargage résolus sur synthétiques
En revanche, sur les obturateurs en liège micro-aggloméré, la question des colles reste une préoccupation de taille. « Leur migration pose problème, tant du point de vue sensoriel que pour la santé des consommateurs, rappelle Malcolm Thompson. Et même si le risque est infime, il faut en tenir compte. » En conséquence, Vinventions et Cork supply viennent de lancer sur le marché un bouchon technique sans glue. En utilisant un liant biodégradable, déjà utilisé dans l’industrie agroalimentaire.
Du côté des synthétiques, des migrations sont également possibles. Les essais menés par l’ICV en 2010 ont montré des différences significatives sur sept synthétiques distincts, testés sur un même lot de chardonnay. « Sans parler de défauts, certains lots présentaient une évolution très nette, tant sur la nature que sur l’intensité des arômes », commente Bénédicte Nicolini, responsable des services conditionnement. Avec l’apparition de descripteurs sensoriels de type solvant ou plastique. Néanmoins, « les techniques de fabrication ont fait d’énormes progrès en quelques années, constate Michaël Jourdes, chercheur à l’ISVV (Institut des sciences de la vigne et du vin). Et ces problèmes de relargage ont disparu. » Un constat que confirme Stéphane Vidal, directeur R & D chez Nomacorc. « Nous sommes très rigoureux sur l’achat de nos matières premières, que nous validons aussi par analyse sensorielle, détaille-t-il. Et nous répondons à des normes très strictes. » Mais il conseille tout de même aux caves de se tourner vers leurs fournisseurs, pour obtenir tous les papiers et vérifier que les contrôles sont en règle.
L’origine géographique du liège impacte sa composition
La composition du liège diffère de part et d’autre de la Méditerranée. C’est ce qu’ont montré les chercheurs catalans de l’entreprise Vitec, dans le cadre du programme Subervin.
Les chercheurs ont mis en évidence des teneurs variables en molécules volatiles, « des composés positifs, capables de migrer dans le vin pour en améliorer le profil aromatique », commente Jordi Roselló, membre de l’équipe de recherche. Les teneurs observées sont très variables en fonction des molécules et du type de liège. De quelques milligrammes à quelques milliers de milligrammes par gramme de liège pour la vanilline, qui est le composé le plus présent. Or cette molécule présente un seuil de perception dans le vin de 955 µg/l. « Ces résultats sont très intéressants mais ils se basent sur trop peu d’échantillons. Il faut continuer à creuser », nuance Paulo Lopes, œnologue et chercheur en R & D chez Amorim.
Quatre sous-groupes identifiés
Pour le moment, les Catalans ont distingué quatre sous-groupes. « Il y a d’abord le liège italien qui renferme davantage de cétones, d’alcools et d’acides gras », illustre Jordi Roselló. Parmi les molécules majoritairement présentes figurent l’acide dodécanoïque (noix de coco), ou l’acide benzylique (arômes floraux). Dans les lièges provenant d’Espagne, le scientifique pointe davantage de phénols volatils, dont le vinylguaïacol (clou de girofle, notes fumées). Plus au nord du Portugal, dans la vallée du Tage et dans la province de l’Alentejo, les lièges sont caractérisés par une forte présence de vanilline et d’aldéhydes. À l’image du benzène-acétaldéhyde (odeur herbacée). Enfin, le liège marocain se classe un peu à part avec une prédominance de terpènes, furanes, acides aromatiques et esters éthyliques. Les composés qui ressortent principalement sont le furfural (caramel) et la gamma-nonalactone (noix de coco). Le bouchonnier Amorim a lui aussi lancé des essais pour comparer les teneurs en composés phénoliques de différentes origines de liège. Le travail porte sur une quinzaine de provenances. « Quels que soient les résultats, il faut tenir compte du fait que l’on parle de solutions synthétiques », rappelle Paulo Lopes. Reste à déterminer quelles concentrations pourraient être effectivement libérées dans le vin et en combien de temps.