Vente directe : des outils de progrès pour les éleveurs transformateurs
Maîtrise de la qualité, gestion du temps de travail, calcul de son seuil de rentabilité… Les éleveurs en circuits courts ont de nombreux défis à relever. Pour les y aider, un projet inter-instituts élabore parcours de formation et outils d’accompagnement.
Maîtrise de la qualité, gestion du temps de travail, calcul de son seuil de rentabilité… Les éleveurs en circuits courts ont de nombreux défis à relever. Pour les y aider, un projet inter-instituts élabore parcours de formation et outils d’accompagnement.


Les éleveurs sont de plus en plus nombreux à se lancer dans la transformation et dans la vente en circuits courts pour répondre aux attentes de proximité des consommateurs. Souvent, ils ont besoin de renforcer la résilience et la durabilité de cette activité. « Pour y arriver, les éleveurs ont besoin d’outils d’accompagnement pour suivre la rentabilité de leur atelier, de repères techniques et économiques pour progresser sur leur gamme de produits, d’outils pour organiser leur travail et le suivi de leur clientèle. C’est l’objectif, depuis 2022, du projet intitulé Victor (Viandes en circuits courts) », présente Clémence Bièche-Terrier, de l’Institut de l’élevage (Idele), lors du Space.
Le projet Victor regroupe l’Idele, l’Ifip, Oniris, les chambres d’agriculture et trois lycées agricoles. Ensemble, ils ont conduit des enquêtes pour cerner les besoins des producteurs de viande bovine et porcine travaillant en circuits courts. De ces besoins, les équipes du projet Victor feront naître, d’ici juin 2025, des outils, comme des méthodes de calcul pour optimiser ses découpes, estimer son temps de travail ou encore calculer sa rentabilité. Des parcours de e-learning et des repères techniques seront également mis à disposition pour aider les producteurs à développer et à conforter leurs activités en circuits courts.
Une palette de compétences à maîtriser
Par la diversité des étapes, depuis l’élevage jusqu’à la vente, la commercialisation en circuits courts demande de nombreuses compétences spécifiques, comme la transformation, mais aussi transverses, comme le suivi administratif et le management d’équipe. Variétés de compétences qu’il peut être délicat de toutes maîtriser.

Vingt-six éleveurs de Bourgogne, du Grand Est, des Pays de la Loire et d’Auvergne ont été interrogés sur leurs pratiques de transformation, au niveau technologique comme sanitaire. Car pour faire des produits bons et sains, il est nécessaire de maîtriser ces deux facettes de la transformation. « La viande bovine a besoin d’une période de maturation, mais ce stockage augmente les risques de proliférations microbiennes, il faut donc trouver le bon équilibre », donne en exemple Clémence Bièche-Terrier. La plupart des éleveurs maîtrisent bien les exigences sanitaires même s’ils ont besoin de mieux comprendre la réglementation pour la faire appliquer à leurs salariés et de mieux appréhender tout ce qui tourne autour des analyses microbiologiques. Au niveau des techniques de transformation, soit les éleveurs se sont formés pour les maîtriser, soit ils ont embauché des personnes compétentes. Mais ils reconnaissent avoir besoin de pistes pour diversifier les gammes de produits.
Des activités exigeantes et chronophages
Les études menées lors du projet Victor ont confirmé que la transformation et la vente en circuits courts sont des activités aussi très exigeantes en temps de travail. Les résultats sont très hétérogènes selon la diversité des gammes et des circuits de vente. En moyenne, la transformation et la vente demandent 10 minutes par kilo de carcasse.
Que ce soit pour compléter les compétences requises ou bien pour fournir l’important volume de travail nécessaire, la plupart des éleveurs sont amenés à embaucher ou à déléguer. Ils reconnaissent avoir besoin d’outils pour mieux s’organiser et rationaliser leur travail. Car, paradoxalement, beaucoup souhaitent élargir leur gamme de produits pour toucher un public plus large et mieux valoriser les carcasses, ce qui entraînerait une augmentation du temps de travail.
De même, les éleveurs enquêtés sont nombreux à vouloir élargir leur zone de chalandise. Un plus grand nombre de circuits et de points de distribution augmente les volumes commercialisés, mais aussi la distance à parcourir et le temps à y passer. Il est donc primordial d’analyser le chiffre d’affaires par circuit pour vérifier la rentabilité au temps passé, donc son intérêt. Autant d’interrogations auxquelles le projet Victor apportera des réponses.
Une rentabilité très variable

Autre volet du projet Victor, celui de la rentabilité. Si l’objectif d’un revenu complémentaire fait partie des motivations principales des éleveurs à se lancer dans les circuits courts, ils ne prennent pas toujours en compte le temps dédié à cette activité ou n’ont pas les outils en main pour la calculer.
Une enquête réalisée en 2023 à partir des comptabilités 2022 montre que la rentabilité n’est pas toujours au rendez-vous. L’Idele a réalisé ses calculs sur un prix de cession des animaux basé sur les cours en filières longues, certes haut en 2022, et sur une rémunération des heures de travail, y compris toutes celles du chef d’exploitation, au Smic. L’enquête montre que les charges d’abattage varient du simple au double selon l’outil et la distance entre l’élevage et l’abattoir. « C’est l’un des facteurs qui expliquent la forte hétérogénéité dans la valorisation du kilo de carcasse, qui varie de 7,8 à plus de 13 euros au kilo, souligne Emmanuelle Souday, de la chambre d’agriculture des Pays de la Loire. Le bio ne présente pas forcément de différence de prix par rapport au conventionnel. Les éleveurs ne sont pas toujours très à l’aise dans la définition de leur politique tarifaire. Ils n’osent pas augmenter leurs prix par peur de perdre des clients. Il faut pourtant définir le juste prix pour être rentable tout en étant acceptable par les clients. »
La moitié des éleveurs enquêtés tirent un bénéfice de leur activité en circuits courts. Pour un quart, cet objectif semble atteignable. Pour le dernier quart, la rentabilité est insuffisante au regard du temps passé.
Pour la durabilité des activités de vente directe, il est primordial de bien rémunérer le temps de travail. Si pour y arriver, chaque exploitant adopte une stratégie commerciale qui lui est propre. Avoir des repères pour calculer ses coûts et définir ses marges est un plus. « Il est souvent nécessaire de rationaliser, d’optimiser son activité pour en assurer la viabilité », remarque Clémence Bièche-Terrier.
Pourquoi les éleveurs diversifient leurs activités par la vente en circuits courts ?
Une enquête réalisée par l’Idele auprès d’une centaine d’éleveurs permet d’y voir plus clair dans les motivations à se lancer dans la vente en circuits courts.
- 84 % des éleveurs le font par intérêt économique : dégager des revenus complémentaires, gagner en indépendance vis-à-vis des circuits longs, avoir plus de contrôle sur les prix ;
- 59 % voient dans la vente directe un moyen de renforcer les liens avec les consommateurs : pouvoir expliquer son métier d’éleveur, recevoir une certaine reconnaissance ;
- 58 % se lancent dans la transformation pour gagner en maîtrise sur les produits issus de leurs animaux : améliorer le respect des animaux qu’ils ont élevés, mieux contrôler la qualité des produits transformés.