Six choses à (re) découvrir sur les tannins
Le biologiste Marc-André Selosse a publié fin 2019 un livre passionnant entièrement consacré aux tannins. Un vrai hommage à leur rôle essentiel et méconnu dans bien des domaines. Nous en avons extrait quelques enseignements.
Le biologiste Marc-André Selosse a publié fin 2019 un livre passionnant entièrement consacré aux tannins. Un vrai hommage à leur rôle essentiel et méconnu dans bien des domaines. Nous en avons extrait quelques enseignements.
1 Les tannins perturbent le système digestif
Les tannins sont avant tout un mécanisme de défense de la plante. En affichant leur rugosité et leur amertume ils ont pour but de dissuader les agresseurs qui auraient l’idée de se nourrir du végétal. Les tannins peuvent même devenir une véritable arme de guerre contre les animaux qui ne seraient pas déroutés par cette sensation initialement désagréable. Car les propriétés chimiques des tannins, notamment leur propension à se fixer aux protéines, les rendent capables de perturber le système digestif des animaux au point de provoquer des diarrhées dans la plupart des cas (repensez aux fois où vous avez abusé des cerises) ou même de les tuer, dans les cas les plus graves. L’Homme a toutefois évolué en apprenant comment apprivoiser les différents tannins qui l’entourent (vin, fruits et légumes, thé, café…).
2 Les tannins jouent des rôles différents dans l’amertume
Les molécules comportant un phénol, ce qui caractérise les tannins, sont à la fois amères et astringentes… Mais pas toutes ! Un tannin n’est donc pas forcément amer. « Dans leur grande diversité, tous les tannins ne sont pas également capables de stimuler les récepteurs de l’amertume », enseigne Marc-André Selosse. Le biologiste rappelle que l’amertume est bien une saveur, captée par des récepteurs de goût sur la langue, à la différence de l’astringence. Le ressenti astringent n’est ni un goût, ni une odeur, mais une sensation tactile ressentie par la bouche et la langue. Il implique le nerf crânien impliqué dans des actions comme mordre, mâcher ou avaler, et dans des sensations du toucher impliquant le visage, la bouche et le nez (nerf trijumeau).
3 Le tannin n’est pas en lui-même responsable de l’astringence
La sensation de sécheresse et de rugosité en bouche est bien connue des dégustateurs. « Ne maudissez pas les tannins, ils ne sont qu’indirectement responsables de cela », plaide Marc-André Selosse. En temps normal, des sucres complexes appelés glycoprotéines agissent pour lubrifier la bouche. C’est grâce à eux que les muqueuses de la bouche sont douces. Mais lorsqu’on déguste, les tannins s’associent avec ces glycoprotéines : leur structure se modifie, elles s’agrègent et perdent leur capacité lubrifiante. La salive reste présente, bien que l’on ressente de la sécheresse. En réflexe à la sensation de sécheresse, la salivation s’active pour relubrifier la bouche. « En crachant, vous verrez les complexes tannins-protéines, ces petits agrégats rougeâtres entre tannins colorés et protéines salivaires, qui ruissellent lentement sur le crachoir… », illustre le biologiste. Au cours du vieillissement, les phénols des tannins vont s’assembler par un phénomène de polymérisation. Ils auront donc moins d’interactions avec les protéines, et la sensation d’astringence sera moindre.
4 Le brunissement des moûts est causé par des tannins
En plus de défendre les plantes face aux prédateurs, les tannins protègent aussi le végétal de l’oxygène en cas de blessure des tissus. Car en entrant dans la plante, l’oxygène réagit avec n’importe quoi et abîme des molécules vitales. Sous l’effet d’enzymes présentes dans les cellules, les phénol-oxydases, s’opère lors des blessures une réaction « où les tannins se suicident en neutralisant l’oxygène », décrit le chercheur. De tannins préalablement incolores résultent de nouvelles molécules aux propriétés différentes, et notamment la couleur.
De la même façon, les tannins sont capables de neutraliser les radicaux libres, responsables des stress oxydatifs. Ces phénomènes naturels sont dangereux aussi bien pour la cellule végétale que chez l’Homme, où ils abîment la paroi des vaisseaux sanguins et augmentent le risque d’accidents cardiovasculaires. Aussi la présence dans le sang de tannins comme le resvératrol, qui sont antioxydants, peut limiter les dégâts causés par les radicaux libres. C’est le principe du French Paradox. Le biologiste précise toutefois que le vin n’est pas le seul à pouvoir apporter ces tannins antioxydants. Et s’il fallait se soigner au resvératrol, « les produits frais seraient sans doute meilleurs que le vin » !
5 Les tannins expliquent les gestes de la dégustation
Le rituel des dégustateurs est parfois raillé par les néophytes. Et pourtant, il a une explication logique, notamment par le comportement chimique des tannins. Agiter le vin pour obtenir le second nez grâce à l’apport d’oxygène est bien connu. On sait moins en revanche que cette oxydation ménagée rompt le cycle aromatique des phénols. « Olfactivement, l’important est que cette modification diminue la solubilité des tannins car leurs dérivés oxydés sont souvent moins hydrophiles : la molécule sort plus facilement de l’eau et c’est ce qu’il faut pour qu’elles parviennent à notre nez ! », explique Marc-André Selosse. Le même phénomène s’opère lorsqu’on fait claquer le vin en bouche : cela oxyde les tannins en dérivés plus volatils. Et accessoirement entraîne les molécules du vin vers l’arrière-nez où s’opère la rétro-olfaction.
6 La fabrication des barriques, encore une histoire de tannins
Si les merrains de chêne destinés à faire les fûts restent si longtemps entreposés dehors, ce n’est ni plus ni moins pour que la pluie rince les petits tannins amers indésirables du bois, et que l’oxygène s’attaque à d’autres. Plus tard, lors de la chauffe de toastage, la température augmente la quantité de tannins solubles du bois, en détruit quelques-uns indésirables et en libère d’autres par destruction de la lignine. Ces tannins libérés par la chauffe sont généralement très aromatiques. C’est le cas par exemple de la vanilline, du cyclotène (odeur de pain grillé), de l’eugénol (odeur de clou de girofle), ou encore du syringaldéhyde (qui peut donner le goût de planche), qui se retrouvent ensuite dans les vins.
Les goûts et les couleurs du monde - Une histoire naturelle des tannins, de l’écologie à la santé – Éditions Actes Sud (345 pages)
Marc-André Selosse, illustrations d’Arnaud Rafaelian
Prix : 24 euros TTC