Sécheresse, inflation, maladies : l'élevage ovin espagnol en crise
Devenu le premier producteur européen de viande ovine post-Brexit, et avec une position mondiale importante dans l’élevage de moutons, l’Espagne voit cette filière reculer au fil des ans : difficulté de renouveler les générations d’éleveurs, baisse de la consommation de viande ovine, lobbies anti-viande…
Devenu le premier producteur européen de viande ovine post-Brexit, et avec une position mondiale importante dans l’élevage de moutons, l’Espagne voit cette filière reculer au fil des ans : difficulté de renouveler les générations d’éleveurs, baisse de la consommation de viande ovine, lobbies anti-viande…
À l’occasion d’un voyage d’études organisé par l’interprofession de la viande et du bétail (Interbev) en mai, une délégation d’éleveurs et d’experts de la filière ovine française a pu se rendre en Espagne pour rencontrer les acteurs de la filière nationale et toucher du doigt les problématiques rencontrées par l’amont et l’aval de la production ovin, laitière et allaitante.
Le cheptel ovin espagnol a chuté de 40 % entre 2002 et 2022. Plus précisément, le nombre de reproducteurs dans la filière ovin viande a baissé de 44 %. En ovins laitiers, la baisse est moindre mais reste conséquente, à - 36 %.
En plus de cette tendance de fond, l’Espagne subit depuis 2022 une sécheresse de grande ampleur. Il faut aussi ajouter la flambée du coût des intrants et les diverses maladies qui restreignent les mouvements des animaux voire ont entraîné des abattages de troupeaux entiers (fièvre catarrhale ovine, maladie hémorragique épizootique, clavelée ovine…).
Décapitalisation face à la flambée des prix
Pour faire face à la baisse de la disponibilité en eau mais aussi en fourrages et concentrés, à cause de mauvaises récoltes mais aussi de prix des aliments qui flambent – par exemple, la spéculation sur la paille a entraîné en mai le prix record de 120 euros la tonne – avec l’inflation, de nombreux éleveurs n’ont eu d’autre choix que de décapitaliser en 2022, abattant ainsi des animaux qu’ils ne pouvaient nourrir suffisamment.
En 2022, les abattages d’ovins adultes auraient alors augmenté de 45 % par rapport à 2021, selon Eurostat, et les abattages d’agneaux baissé de 8 %. En 2023, les sorties d’agneaux sont donc nettement restreintes et le nombre d’ovins adultes a été fortement amputé… si bien que sur les cinq premiers mois de l’année, les abattages d’agneaux ont régressé de 6 % et ceux des réformes de 7 %.
L’année 2023 se poursuit avec une situation hydrologique préoccupante dans une grande partie de l’Espagne : les précipitations restent nettement inférieures aux valeurs normales.
Une cotation plus élevée face au repli de l’offre
D’une part l’offre d’agneaux pour 2023 est amoindrie par les effets de la sécheresse en 2022 ; d’autre part, la viande ovine, très onéreuse, continue d’être boudée par les consommateurs espagnols (et européens, qui importent de la viande ovine espagnole).
Ainsi, avec une offre en net repli (visiblement plus forte que la baisse de consommation), le prix de l’agneau lourd espagnol est resté au-dessus de son niveau des années précédentes jusqu’en août. La cotation de l’agneau lourd espagnol s’établissait en moyenne à 7,10 €/kg sur 8 mois contre 6,81 €/kg en 2022 sur la même période.
La clavelée, ou toute autre maladie qui restreint les mouvements et retarde parfois l’abattage, pèse sur le prix des agneaux dans les zones touchées.
Dans un centre d’engraissement de Mercy, la situation est compliquée depuis les trois dernières années : les prix des intrants ont explosé et les agneaux sont chers. Il y a une grosse concurrence entre tous les engraisseurs, et les débouchés manquent…
La viande ovine peine à séduire les jeunes Espagnols
Selon l’un des représentants du centre, l’export d’ovins vivants vers les pays arabes sauve la production d’agneaux en Espagne car la consommation nationale chute depuis une dizaine d’années. La problématique est la même qu’en France : outre le prix élevé de cette viande, les jeunes Espagnols veulent des produits rapides à cuisiner, très simples d’utilisation, ce qui est moins le cas en agneau qu’en bœuf, par exemple.
Selon un grossiste du Mercamadrid, l’équivalent de Rungis en France, le secteur halal n’est pas touché, ou dans une moindre mesure, par cette baisse de consommation de viande ovine en Espagne, la viande étant moins chère qu’en circuit « traditionnel ».
Le prix du lait augmente, la collecte diminue
Mais ce n’est pas que la filière viande qui est touchée : la collecte de lait de brebis a reculé de 6 % au premier semestre 2023 par rapport à 2022, l’équivalent de 17 millions de litres. La baisse s’est légèrement atténuée en juin mais le résultat reste néanmoins alarmant.
La faiblesse de l’offre a mécaniquement fait augmenter le prix moyen pondéré du lait de brebis espagnol de 34 % au cours du premier semestre, comparé à 2022. Il atteignait en moyenne 1 429 €/1 000 l en 2023. Castille-La Manche est la communauté autonome qui connaît la plus forte diminution de collecte et donc la plus forte hausse de prix : en juillet 2023, le prix du lait dédié à l’AOP Manchego a plus que doublé par rapport à juillet 2021. Depuis 2018, le prix du lait de brebis augmente en Espagne tandis que l’offre s’amenuise.
Les éleveurs réclament des aides au gouvernement espagnol pour faire face à ce cumul d’événements impactant sérieusement la viabilité de leurs fermes et de leurs revenus. En juillet, 712 millions d’euros ont été débloqués pour aider les agriculteurs à faire face à cette sécheresse. Reste à voir si ces mesures seront suffisantes pour soulager de façon pérenne le secteur ovin espagnol…
Chiffres clés (2022) :
5e producteur mondial de viande ovine avec 119 000 téc
5e exportateur mondial de viande ovine avec 47 000 téc
Part de la production exportée : 39 %
3e exportateur mondial d’ovins vivants avec 1,5 million de têtes
Un cheptel ovin de 14 millions de têtes