Les salaisonniers veulent des viandes de meilleure qualité
La journée technique organisée à Rennes par l’Ifip a mis en évidence les attentes des salaisonniers en termes de qualité de la viande. Un travail rendu nécessaire par la montée en gamme des produits de charcuterie imposée par les consommateurs.
La journée technique organisée à Rennes par l’Ifip a mis en évidence les attentes des salaisonniers en termes de qualité de la viande. Un travail rendu nécessaire par la montée en gamme des produits de charcuterie imposée par les consommateurs.
Réunis autour d’une table ronde organisée par l’Ifip le 17 février dernier à Rennes, abatteurs et transformateurs ont mis en avant la nécessité de mieux aborder la problématique de la qualité technologique de la viande de porc utilisée en salaisonnerie, pour fabriquer le jambon cuit notamment. "Une qualité rendue nécessaire par la montée en gamme de nos produits imposée par les consommateurs qui veulent des produits sains, avec moins de gras et d’additifs", affirme Jean-Daniel Decrooq, directeur R & D de Fleury-Michon. Les deux additifs les plus décriés sont le sel et les polyphosphates, accusés de favoriser les maladies cardio-vasculaires en cas de consommation importante.
Mais leur réduction, voire leur suppression complique le process de fabrication. Sans eux, la texture de la viande est moins ferme, ce qui rend le tranchage plus difficile. Les pertes en eau, et donc en rendement, sont augmentées. Il y a un risque accru de développements bactériens. C’est pourquoi les salaisonniers mettent aujourd’hui la pression sur leurs fournisseurs pour obtenir des viandes de très bonne qualité technologique et bactériologique, qui peuvent se passer de polyphosphates et de sel à des taux importants pour être transformées en charcuterie haut de gamme.
Les jambons 5D sont triés visuellement
La qualité technologique de la viande est principalement mesurée par le pH, qui doit être compris entre 5,7 et 6,2. Une viande plus acide diminue la capacité de rétention de l’eau augmente les risques de perte au tranchage, à cause de la présence de zones à faible cohésion dans le jambon (tranches trouées ou déchirées). Sur un jambon entier, la mesure du pH se fait très rapidement à l’aide d’un pHmètre. Mais aujourd’hui, les fabricants de jambon se fournissent essentiellement en morceaux de viande appelés « jambon 5D » (découenné, dégraissé, désossé, dénervé et dépiécé). Ces morceaux étant trop petits et trop nombreux pour faire une analyse individuelle de pH, les salaisonniers procèdent à un tri visuel. Les viandes à problème sont facilement identifiables à l’œil, car leur couleur est modifiée et leur masse musculaire se présente sans structure organisée. « Chez Herta, plus de trente personnes sont mobilisées pour faire le contrôle et le tri des morceaux aptes à faire du jambon supérieur », déplore Bertrand Nardy directeur technique Herta. À cette charge en main-d’œuvre s’ajoute la moindre valorisation des morceaux déclassés, destinés à la fabrication de produits à moindre valeur ajoutée comme les saucisses. "L’enjeu est financièrement important", estime Bérangère Lécuyer, économiste à l’Ifip. Selon elle, une augmentation d’un point du rendement à la cuisson du jambon cuit rapporterait entre dix et quinze millions d’euros aux industriels.
Une équation difficile à résoudre
Les salaisonniers comptent toujours sur l’amont de la production pour améliorer la qualité des viandes. Pourtant, les mesures les plus efficaces sont déjà en place et ont été depuis longtemps été intégrées dans les cahiers des charges des éleveurs : mise à jeun avant le départ à l’abattoir, sortie des porcs sur un local d’embarquement minimum deux heures avant l’arrivée du camion… « L’essentiel du travail a été fait », souligne Patrick Chevillon, ingénieur qualité à l’Ifip. Car au niveau de la production, peu d’autres pistes peuvent être explorées. « La composition de l’aliment a une incidence faible sur la qualité technologique de la viande de porc », constate Nathalie Quiniou, nutritionniste à l’Ifip. La génétique est un critère discriminant important. L’éradication des lignées Piétrain nn ou l’utilisation de lignées moins conformées pourrait apporter des améliorations importantes. Mais les transformateurs ont trop longtemps réclamé des pièces maigres pour exiger la fin du Piétrain en lignée mâle. La génomique pourrait aider à sélectionner des animaux offrant une meilleure qualité de viande. Mais l’équation est difficile à résoudre, puisque ce critère est corrélé négativement avec les caractères de production.
Améliorer le tri des carcasses
De leur côté, les abatteurs ont également mis en place des mesures qui limitent les risques de défaut de qualité. "La qualité de la viande en abattoir s’obtient d’abord par un ramassage bien planifié", rappelle Gwenaël Lurdin, responsable optimisation matière et process à Cooperl Arc Atlantique. Une planification qui permet de respecter les deux heures d’attente avant l’abattage, dans des cases répondant au bien être animal (deux porcs/m2). Les chauffeurs et les porchers ont été formés pour ne pas stresser les animaux. Sur les carcasses, les abattoirs étudient de nouveaux appareils plus fiables et plus automatisables que les pHmètres pour mesurer la qualité de la viande. Les moyens envisagés (spectroscopie proche infrarouge, analyse d’images, laser…) sont en cours d’évaluation par l’Ifip. Cooperl Arc Atlantique vient d’investir dans le Nitfom, un appareil qui utilise une source lumineuse infrarouge pour prédire la qualité technologique des gras. Elle a également fait l’acquisition d’un Autofom, qui estime la qualité de chaque pièce de découpe, l’épaisseur de gras en particulier. "En combinant les données fournies par ces deux appareils au tri des carcasses en fonction des segmentations commerciales, de leur poids et de leur TMP, nous pouvons répondre précisément aux demandes de nos clients", affirme Gwenaël Lurdin. Selon lui, le tri des carcasses en fonction de la qualité technologique de la viande est désormais possible grâce aux nouvelles technologies. "Encore faut-il qu’il ait la capacité à générer de la valeur ajoutée, et que nos clients soient prêts à nous accompagner dans les surcoûts qu’elles engendrent", conclut-il.
Éviter le stress des animaux avant tout
La baisse rapide du pH après la mort qui entraîne une mauvaise qualité technologique de la viande est causée par la transformation du glycogène, un glucide contenu dans les muscles pour stocker de l’énergie, en acide lactique. C’est l’accumulation de cet acide lactique qui entraîne au final la chute du pH post mortem. Ce phénomène est souvent provoqué par un stress subit durant la période qui va de l’embarquement dans le camion jusqu’aux minutes qui précèdent la mise à mort. Il est amplifié par des températures élevées qui provoquent une augmentation de la température corporelle des animaux. La digestion d’un aliment ingéré peu de temps avant l’abattage favorise également le potentiel glycolytique des muscles, en augmentant leur stock de glycogène. "Les conditions d’élevage en fin d’engraissement jouent probablement un rôle important dans le déclenchement de la baisse du pH post mortem, mais nous sommes encore loin de tout savoir", estime Patrick Chevillon. C’est pourquoi l’institut technique et Inaporc lancent une grande enquête qui vise à explorer le lien entre les données pH collectées en abattoir et les critères d’élevage. Une démarche soutenue par les industriels de l’aval, qui se déclarent intéressés pour obtenir plus de données afin d’affiner leur tri, "mais qui ne pourra être réellement efficace que s’ils introduisent en parallèle un paiement à la qualité", conclut Patrick Chevillon.