Cinq points clés pour sevrer les porcelets sans artifices
Philippe Heughebaert et sa cheffe d’élevage Marion Fortin ont mis en place une conduite d’élevage rigoureuse pour permettre à leurs truies hyperprolifiques de conserver la plupart de leurs porcelets jusqu’au sevrage.
Philippe Heughebaert et sa cheffe d’élevage Marion Fortin ont mis en place une conduite d’élevage rigoureuse pour permettre à leurs truies hyperprolifiques de conserver la plupart de leurs porcelets jusqu’au sevrage.
À la tête d’un élevage de 250 truies naisseur engraisseur à La Pyle dans l’Eure, Philippe Heughebaert et sa salariée Marion Fortin obtiennent des résultats de productivité de haut niveau sur leurs truies : près de 36 porcelets sevrés par truie productive et par an, et 14,5 porcelets sevrés par portée. Mais le plus remarquable est la manière d’obtenir ces résultats, avec près de 95 % des porcelets qui restent sous les truies de la bande jusqu’au sevrage 27 jours, et des poids de portées élevés, autour de 107 kilos en moyenne. « L’objectif est d’exploiter au mieux le potentiel génétique de ces truies, sans faire appel à des artifices tels que l’allaitement artificiel, résume Philippe Heughebaert. Pour cela, nous avons mis en place avec Marion des outils de pilotage et des indicateurs qui permettent de visualiser en temps réel les performances et l’état de forme des reproductrices. Ces indicateurs nous permettent de mettre en place des actions correctives en cas de problème et de faire progresser les résultats. »
Les performances de l’élevage ont été mises en évidence par Loïc Havez, responsable technique du schéma génétique Danbred, dans le cadre de l’enquête réalisée auprès de 28 éleveurs utilisateurs de cette génétique. L’éleveur et sa cheffe d’élevage travaillent aussi avec Mathieu Brigoulet, technico-commercial Vetagri, pour la partie alimentation. Nous sommes allés les voir pour détailler les points essentiels de la conduite d’élevage qui permettent d’obtenir ces résultats.
1 Des états d’engraissement homogènes à la mise bas
Les épaisseurs de lard dorsal (ELD) révèlent une bonne homogénéité de l’état du troupeau à la mise bas, avec des valeurs majoritairement comprises entre 16 et 20 mm. « Il faut éviter d’avoir des truies grasses, plus difficiles à gérer qu’un troupeau maigre et homogène », estime Marion Fortin. La cheffe d’élevage mesure les ELD de toutes les truies au sevrage, à l’échographie et à l’entrée en maternité. Au moment des inséminations artificielles, l’épaisseur de lard dorsal se situe en majorité entre 8 et 14 mm. « Ce n’est pas dramatique d’avoir des truies maigres à ce stade, à condition de mettre en place un programme alimentaire qui leur permet de reconstituer rapidement leurs réserves », constate-t-elle. Pour cela, elle estime que les DAC qui permettent d’attribuer un programme alimentaire à chaque truie gestante en fonction de son état corporel sont les alimentateurs les mieux adaptés à cette stratégie. Cinq courbes d’alimentation sont utilisées. En début de gestation, les plus maigres reçoivent jusqu’à 4,7 kilos d’aliment par jour. La reprise d’état est spectaculaire, avec en moyenne 3 mm de lard dorsal en plus à l’échographie pour ces animaux. La ration du creux du milieu de gestation descend entre 2,25 et 22,9 kilos d’aliment par jour, un niveau également défini par l’état d’engraissement des truies à l’échographie. « On n’hésite pas à changer de courbe si besoin. » Philippe Heughebaert utilise deux aliments de gestation : un aliment « riche » jusqu’à 35 jours de gestation et trois semaines avant l’entrée en maternité, et un aliment « entretien » utilisé en milieu de gestation.
2 Les portées sont pesées à la naissance
Dans le prolongement de l’enquête terrain réalisé par Loïc Havez, Philippe Heughebaert et sa cheffe d’élevage ont décidé de continuer la pesée des portées à la naissance. « Cela permet de faire un rétrocontrôle des niveaux d’alimentation de chaque truie en gestante, de détecter les truies qui ont des porcelets trop légers et de voir l’évolution de ce critère dans le temps après la mise en place des actions correctives », apprécie Marion. Et cela prend très peu de temps supplémentaire : les porcelets sont pesés dans la caisse qui sert aussi à faire faire les soins. Malgré la forte prolificité des truies (18,5 nés totaux et 17 nés vivants par portés sur les neuf derniers mois), les porcelets pèsent en moyenne 1,3 kilo. Et surtout, les poids sont stables d’une bande à l’autre (entre 1,27 et 1,41 kg). Une preuve supplémentaire de la bonne gestion de l’alimentation des truies en cours de gestation, qui permet d’orienter les ressources alimentaires suffisantes à la croissance intra-utérine des porcelets.
3 Alimentation de précision manuelle en maternité
L’alimentation des truies en maternité constitue le point essentiel pour obtenir des portées lourdes au sevrage. Les cases sont équipées de doseurs individuels. « Je suis une trame générale, mais je l’ajuste chaque jour à la truie en fonction de son appétit ou d’éventuelles apparitions de diarrhées », explique Marion. La ration quotidienne démarre à un niveau élevé (4 kilos par jour). Elle progresse régulièrement jusqu’à 110 kilos par jour, un plafond atteint au cas par cas. L’aliment est distribué en trois fois dès le milieu de la semaine qui suit les mises bas. Les refus sont nettoyés avant chaque repas. L’eau est distribuée deux fois manuellement pendant et après les repas. Les truies disposent aussi d’un bol et d’une pipette à volonté. Avant la mise bas, les truies reçoivent des radicelles d’orge ou de la pulpe de betterave pour favoriser le transit digestif. Marion leur distribue aussi des levures et de l’huile de foie de morue en une prise. L’aliment de lactation distribué à partir du lendemain des naissances est riche en énergie (4 % de matière grasse, et une ration à base de blé essentiellement).
4 Un minimum d’adoptions par les truies de réforme
Plus de 95 % des porcelets sont sevrés par les truies. Le protocole d’adoption des porcelets excédentaires est bien rôdé. Il se limite à l’utilisation de trois coches de réforme de la bande précédente pour 34 mises bas par bande. Les porcelets allaités par ces truies sont sevrés à trois semaines, pour être remplacés par des porcelets excédentaires de la bande suivante. Ces porcelets (pas plus de 11 par portée) restent entre 6 et 8 jours sous ces truies, jusqu’au jour du sevrage. Ils sont ensuite logés dans une petite nurserie où ils reçoivent un aliment préstarter distribué sous forme de bouillie. Au sevrage de leur bande, ils rejoignent leurs congénères en post-sevrage. « Au fur et à mesure que la prolificité augmente, nous ne changeons pas de méthode, précise Marion. Le nombre de porcelets adoptés reste donc stable, tandis que les porcelets supplémentaires sont tous allaités par les truies jusqu’au sevrage. » Par ailleurs, elle souligne l’importance d’avoir des truies maternelles et capables d’adopter sans difficulté des porcelets en cours de lactation.
5 L’autorenouvellement du cheptel est basé sur des critères rigoureux
Marion Fortin sélectionne dix truies toutes les deux bandes sur le rang de portée (entre 3 et 5), leur productivité (entre 13 et 15 sevrés), et leur nombre de tétines (15 minimum). Ce dernier critère est également pris en compte dans le choix du verrat, alternativement de race Landrace et Large White Danbred. L’objectif est d’élever 50 à 70 cochettes par lot. Les quinze meilleures sont sélectionnées en sortie d’engraissement à 145 jours sur leur morphologie (aplombs, élimination des cochettes trop conformées), et le nombre de tétines fonctionnelles (quinze minimum). Après une phase de quarantaine durant laquelle les cochettes sont entraînées au DAC et où elles s’habituent à la proximité humaine, elles sont introduites dans deux bandes, avec un objectif de poids de 130 kilos à 200 jours.
Le taux de renouvellement annuel est de 36 %, avec en moyenne 4,2 portées par truie réformée. La pyramide d’âge décroît régulièrement, avec un maintien des performances de prolificité quel que soit le rang de portée. Il n’y a pas de truies à plus de sept portées dans le troupeau.