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Où en est la laine dans la production textile ?

L’habit en laine occupe une place particulière sur le marché du vêtement. Son prix élevé, tributaire de la crise lainière, en fait un produit de niche réservé à une clientèle sensibilisée aux enjeux de production locale et durable.

La laine excite les représentations : elle a l’image d’Épinal d’être un matériau traditionnel de la production textile. Elle représente pourtant aujourd’hui moins d’e 1 % de la fibre utilisée dans l’industrie du tissu. « La croissance fulgurante depuis les années quatre-vingt de l’usage de fibres synthétiques y est pour quelque chose », explique Marie-Thérèse Chaupin, membre de l’association Atelier Laines d’Europe. Au festival lainier « La Bêêêle et Laine » de Saint-Saulge (Nièvre), nous avons eu l’occasion de rencontrer plusieurs acteurs de la filière laine française. Chacun livrant le témoignage de son métier, nous avons pu ébaucher une vision d’ensemble de cet écosystème fragile de l’industrie française.

Concurrence des fibres synthétiques

70 % de nos objets en tissu, vêtements, sacs, objets de mobilier, sont produits à partir de ce dérivé du pétrole. Cette matière standardisée, industrielle et plastique bénéficie d’une production massive et peu coûteuse, et permet ainsi certaines dérives comme la « fast fashion » que dénonce Marie-Thérèse Chaupin. « Enfant, pour avoir un manteau, il fallait d’abord aller acheter le tissu en mercerie, puis l’emmener à la couturière. Nous avions alors conscience de la valeur de l’objet », raconte-t-elle. L’industrie du vêtement génère énormément de déchets et de pollution à travers le monde. En plus de leur caractère non biodégradable, les vêtements en fibres synthétiques rejettent des microplastiques dans l’environnement via les eaux de lavage, et leur qualité composite les rend difficiles à recycler. Pour Marie-Thérèse Chaupin, les initiatives de valorisation de la laine de mouton ont un rôle à jouer dans la création d’alternatives à la « fast fashion ».

Crise lainière

L’association Atelier Laines d’Europe fédère les producteurs, les entreprises et les artisans de la laine en Europe. Elle défend une production locale, maîtrisée et solidaire. Cette solidarité, la filière laine en a bien besoin, car son histoire récente en France est celle de sa crise. « Durant deux siècles, le nord de la France concentrait les moyens de production, et le sud les élevages de tradition pastorale. Cette situation était idéale et la laine était alors une fibre majoritaire du textile », explique Stéphane Boileau, consultant pour la filière. D’abord concurrencée par l’apparition des fibres synthétiques, la laine en suint a commencé à être massivement envoyée vers les pays d’Asie pour des questions de coût du lavage. « L’entrée en 2005 de la Chine dans l’OMC finit d’achever la plupart des laveries françaises restantes. » La Chine a depuis augmenté sérieusement la taille de son cheptel ovin, diminuant du même coup sa demande en laine française. Au bilan, les capacités de traitement de la laine sont drastiquement amoindries, et l’absence de débouchés conduit les éleveurs à se débarrasser de la laine, ou bien à la stocker dans l’attente d’une remontée de son cours.

Une filière toujours active

Cependant la laine inspire toujours les producteurs, transformateurs et consommateurs français. Malgré un prix de vente ne pouvant assurer une rentabilité économique, certains éleveurs préfèrent encore voir ce coproduit valorisé en France. Quelques lavages artisanaux perdurent et l’entreprise de lavage de Saugues en Haute-Loire dernière unité de lavage industrielle de laine en France, est encore en activité. Côté consommateur la laine française occupe – en concurrence avec le lin et le chanvre français – le marché de niche des matières textiles écologiques et locales. « C’est une clientèle citadine qui a les moyens », raconte Thibaut Fouchez, exploitant de la ferme du Gentilhomme. Cette ferme de la Nièvre a la particularité de commercialiser des vêtements en laine issue de son élevage de brebis hampshire. Produire des objets de qualité en 100 % made in France a un coût, et requiert un effort important. « Aujourd’hui cette activité est rentable, mais c’est uniquement parce qu’on ne compte pas notre main-d’œuvre dedans. On fait ce travail en plus, comme en bénévole », explique-t-il.

Le rôle de l’artisanat

La valorisation de la laine française est pour une part importante assurée par des métiers artisanaux, qui participent à la préservation de certains savoir-faire traditionnels. Ces productions de petite échelle imposent également des prix élevés pour être rémunératrices. « Il faut s’accrocher pour trouver sa clientèle », confie Solène Chilard, jeune créatrice de la marque Barbiche. Solène Chilard est artisane du fil. Seule, elle teint le fil grâce aux pigments végétaux issus de ses collectes ou achats, et conçoit des vêtements en laine qu’elle tricote en utilisant une machine manuelle. Fille d’agricultrice, elle est, comme beaucoup d’artisanes, sensible à la question de la délocalisation de la transformation lainière.

Les enjeux du lavage de la laine

Après la tonte, la laine suit plusieurs étapes de traitement. Elle est d’abord triée. Les parties indésirables sont enlevées et la bonne laine est lavée. Durant le lavage, la toison peut perdre de 30 à 60 % de son poids. La laine va d’abord être trempée dans de l’eau froide. Cela permet de faire passer une partie du suint en solution aqueuse. Ce suint peut être valorisé comme engrais, ou transformé en lanoline pour la fabrication de cosmétiques. La laine est ensuite essorée, puis baignée dans de l’eau chaude et du carbonate de soude. Le contact avec la soude permet de solubiliser les matières grasses restantes de la laine et de les évacuer dans l’eau. La laine est à nouveau essorée puis rincée dans un dernier bain de rinçage. Le traitement des effluents du lavage de la laine est un enjeu majeur. « Le lavage d’une tonne de laine nécessite une capacité de traitement de l’eau similaire à celle requise pour les effluents de 2000 habitants », explique Stéphane Boileau, consultant pour la filière.

À chaque type de laine sa production

Initialement issu du mouflon de couleur brune, le mouton a notamment été sélectionné sur des critères de blancheur, densité, finesse et longueur du poil. Aujourd’hui, il existe une soixantaine de races de moutons en France, chacune ayant un type de laine différent. « Chaque race a ses caractéristiques », souligne Marie-Thérèse Chaupin, membre de l’association Atelier Laines d’Europe. Une laine fine et peu gonflante, comme celle du berrichon du Cher, sera idéale pour faire du feutre. Si on veut faire de la literie, il sera préférable d’utiliser une laine élastique et gonflante, comme celle de la Texel. La laine de mérinos, solide et fine, sera plus adaptée à la production de vêtements.

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