Dans le marais vendéen
L’autonomie alimentaire passe par la luzerne et les couverts végétaux
Jean-Louis Chataigne a fait le choix de la luzerne et des couverts végétaux pour assurer l’autonomie alimentaire du troupeau. Seul l’aliment d’engraissement des agneaux est acheté en échange céréales-aliment.
Éleveur ovin depuis dix ans à Saint-Sigismond, en Vendée, après avoir élevé des bovins viande, Jean-Louis Chataigne gère 380 brebis vendéennes et charmoises sur une surface de 108 ha. L’exploitation étant en zone de marais, les sols y sont très argileux, très humides l’hiver et très secs l’été sur le « marais mouillé », la partie inondable du marais. Les « terres hautes », non inondables, permettent la production de céréales et l’implantation de prairies temporaires. Sur 56 ha de terres labourables, 20 à 30 ha sont consacrés au maïs grain, le reste étant cultivé en blé, orge de brasserie, triticale, tournesol et luzerne semence. Sur 52 ha de prairies, 7 à 8 ha sont des prairies temporaires de ray-grass hybride, avec ou sans trèfle. « Le reste est constitué de prairies naturelles inondables, dont 30 ha bénéficient de mesures agro-environnementales, précise Jean-Louis Chataigne. Pour assurer l’autonomie alimentaire du troupeau, j’ai donc choisi de produire des stocks de qualité, en misant sur la luzerne, et de valoriser les couverts végétaux par le pâturage. »
Enrubannage de luzerne et maïs en lactation
Les agnelages des 330 brebis vendéennes ont lieu en hiver. Mi-décembre, les brebis sont rentrées en bergerie pour la fin de gestation et la lactation. En fin de gestation, elles sont nourries de foin de prairies naturelles et de maïs grain. En lactation, elles reçoivent de l’enrubannage de luzerne ou de ray-grass hybride à volonté, 800 g de maïs grain et des minéraux. « Le foin des prairies naturelles est de faible qualité et je récolte très peu de foin de ray-grass, souligne l’éleveur. L’autonomie alimentaire passe donc par la luzerne. » L’exploitation produit de la luzerne semence depuis vingt ans. « Comme les sols sont très durs à travailler, j’essaye de limiter le travail. La luzerne, implantée pour trois ans, est intéressante. De plus, elle enrichit le sol en azote et réduit l’enherbement. » Chaque année, 5 à 8 ha sont consacrés à la luzerne semence qui fournit, en plus de la semence, une ou deux coupes par an d’enrubannage. S’y ajoutent 3 à 4 ha de luzerne uniquement récoltée en enrubannage et en foin. Enfin, un voisin qui produit également de la luzerne semence mais n’a pas d’animaux lui donne aussi ses coupes de luzerne. L’exploitation est par ailleurs équipée de silos pour stocker le maïs et le triticale. « Sur l’hiver et l’été, les brebis consomment 30 tonnes de maïs et 10 tonnes de triticale, précise Jean-Louis Chataigne. Je fais sécher le maïs à la coopérative puis je le stocke sur l’exploitation. » Mi-mars, toutes les brebis sont sorties sur les prairies de marais. Elles y passent l’été, avec éventuellement un peu de triticale ou de maïs. Une coupe est réalisée sur les deux tiers des prairies vers le 1er juin, les MAE interdisant de faucher avant cette date. « Ce foin, constitué surtout de graminées et récolté tard, est de faible qualité. Il sert surtout en entretien et pour les brebis taries. » Les prairies temporaires sont fauchées et conditionnées en mai en enrubannage puis en foin.
Dix hectares de couverts végétaux pour l’automne
Mi-octobre, les prairies naturelles n’étant plus très productives et risquant d’être inondées, les brebis sont remontées vers les terres hautes, sur des prairies temporaires ou des couverts végétaux. Depuis plusieurs années, Jean-Louis Chataigne a en effet choisi de valoriser par le pâturage les couverts semés entre l’orge et le maïs. Chaque année, une dizaine d’hectares de couverts sont pâturés de mi-octobre à mi-décembre. L’éleveur, qui fait lui-même ses mélanges, en a testé plusieurs : moha-trèfle incarnat, millet perlé, avoine brésilienne, colza, triticale-vesce… « Je n’ai pas encore trouvé l’idéal. Le moha est très sensible au gel, l’avoine brésilienne durcit rapidement… Je teste donc de nouvelles espèces chaque année. » Les couverts sont implantés au combiné, après un épandage de fumier et un passage de cover crop. Le pâturage est géré à la clôture électrique, à raison de 280 brebis pour 3-4 ha. L’éleveur fait aussi pâturer les couverts de voisins céréaliers. C’est lui qui paie les semences. « Certains céréaliers commencent à prendre conscience que les sols s’appauvrissent, qu’il faut ramener de la matière organique, analyse-t-il. En faisant pâturer leurs couverts, ils bénéficient des déjections des brebis. Ils choisissent alors des espèces un peu moins gélives qu’habituellement. » Au final, Jean-Louis Chataigne assure ainsi l’autonomie alimentaire des brebis, avec une productivité de 1,5 agneau par brebis vendéenne. Les seuls aliments qu’il achète sont les aliments complets pour les agneaux, qui lui sont fournis en échange céréales-aliments, ce qui permet d’en réduire le coût. « J’hésite à leur faire consommer les céréales et la luzerne de l’exploitation. Le système actuel est sûr et simple. »
Un taux d’autonomie globale de 83 %
L’autonomie en fourrages de Jean-Louis Chataigne atteint 100 % (moyenne Réseau ovin Ouest 2010-2014 : 98 %), l’autonomie en concentrés 63 % (Réseau : 20 %) et l’autonomie globale 83 % (Réseau : 71 %). Selon le diagnostic Devautop, l’autonomie protéique de l’élevage s’élève à 83 %. Mis au point par les chambres d’agriculture des Pays de la Loire, les Élevages Conseils, Idele et le Réseau Civam, Devautop calcule l’autonomie protéique par la différence entre la consommation de protéines, mesurée par l’inventaire des catégories d’animaux, leurs productions et des abaques d’ingestion, et les achats de matières azotées, en distinguant les achats en région, en France hors région et hors France. Dans le cadre du projet Terunic, animé par le Pôle agronomique Ouest et soutenu par l’Europe et les régions Pays de la Loire et Bretagne, un outil est par ailleurs en cours d’élaboration pour pouvoir simuler l’impact économique d’un changement de pratique au niveau des protéines.
Le calendrier de la luzerne
La première année, la luzerne semence est semée au printemps et récoltée en semences en août. Puis l’éleveur réalise une coupe en octobre qui est enrubannée et sert à alimenter les brebis. La deuxième année, il réalise une coupe en mai, récolte la semence en août, puis fait une autre coupe en octobre. La troisième année, il ne réalise qu’une coupe en mai puis la récolte des semences en août, la luzerne devant être détruite tôt pour travailler le sol en septembre avant qu’il ne soit trop humide. La fauche est faite en Cuma et l’enrubannage par une entreprise (11,5 €/botte). L’éleveur s’est équipé d’un andaineur à double rotor de 6 m de large pour le séchage et l’andainage de la luzerne. « La luzerne est très délicate à sécher. Il ne faut pas trop la bouger quand il fait chaud pour garder les feuilles. J’y passe trois fois après la fauche. Cet andaineur permet de bien la sécher avec un débit de 4-5 ha/h. »
Des Charmoises élevées à l’herbe
Il y a quelques années, Jean-Louis Chataigne a voulu augmenter son troupeau. Ne disposant pas alors d’assez de place en bâtiment, il a fait le choix de brebis charmoises, très rustiques, qu’il élève en extérieur. L’été, les 50 à 60 brebis pâturent le marais. L’hiver, elles sont remontées sur les prairies naturelles ou temporaires des terres hautes, avec en général juste un complément en foin. La race se désaisonnant bien sans éponge, les agnelages ont lieu en juin. « Elles ne produisent qu’un agneau par an et leurs agneaux doivent être engraissés lentement et ne pèsent que 14 kg de carcasse en moyenne à l’abattage, admet l’éleveur. Mais elles ne coûtent rien, à part un vermifuge par an, et cela me permet de fournir des agneaux à Noël, avec une bonne valorisation. » Les deux béliers charmois sont également utilisés sur les agnelles vendéennes, les agneaux charmois étant petits et très débrouillards.
Avis d’expert
Stéphane Migné, conseiller ovin à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire
« Le pâturage des couverts des céréaliers : une piste à développer »
« Les brebis valorisent parfaitement bien toutes les surfaces à contraintes environnementales comme les Cipan, bandes enherbées ou dérobés. Le pâturage de couverts végétaux chez des voisins céréaliers est donc une piste à développer. Cela donne plus de souplesse à l’éleveur et permet de moins puiser dans les stocks. Et pour le céréalier, cela permet de remonter le taux d’humus et de baisser les coûts de fertilisation grâce à la matière organique produite par les déjections des brebis. Le déprimage par les animaux évite aussi que le couvert se développe trop quand il fait doux et humide, ce qui facilite ensuite sa destruction. Il est important de bien préciser qui fait quoi, de veiller aux clôtures, pour que tout se passe bien la première année et que la confiance s’installe. Avec la suppression du glyphosate, il pourrait y avoir plus d’opportunités pour les éleveurs. »