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Controverses : l’agriculture française doit-elle produire plus pour être compétitive ?

Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, et Franck Sander, président de la CGB, ont débattu lors des controverses de l’agriculture et de l’agroalimentaire organisées le 11 février par le groupe Réussir-Agra sur leur vision de l’évolution nécessaire de l’agriculture.

« Alimentation de qualité pour tous et compétitivité de l’agriculture française : compatible ou antagoniste ? ». Tel était le thème d’une des controverses de l’agriculture et l’alimentation organisées par le groupe Réussir-Agra le 11 février à Paris, avec Franck Sander, président de la confédération générale de la betterave (CGB) et Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France en face à face.

Un débat qui a rapidement tourné autour de la nécessité ou non de produire plus, pour une agriculture compétitive.
 

Perte de compétitivité est synonyme d’importations, selon Franck Sander

« Les chiffres parlent d’eux-mêmes on perd 100 000 agriculteurs tous les dix ans. A chaque fois que l’agriculture ne produira plus, les importations seront dans les assiettes des Français », ainsi s’exprime dès le début du débat Franck Sander, producteur de houblon, grandes cultures et biogaz en Alsace, président de la CGB et vice-président du Copa. « Nos premiers compétiteurs sont aussi les pays au sein de l’Union européenne comme la Pologne alors que nous régressons. On a quand même eu le Covid puis la guerre, j’ai l’impression que des décideurs n’ont pas compris l’importance de la souveraineté alimentaire », poursuit le représentant agricole pointant ainsi les menaces liées à une perte de compétitivité de l’agriculture.

Lire aussi : Jean-Marc Jancovici : « Les Français aiment les agriculteurs mais pas l’agriculture »

Un revenu décent pour les agriculteurs sans « produire toujours plus de tout » milite Jean-François Julliard

« Pour nous les menaces qui pèsent sur l’agriculture sont multiples dont celle liée au dérèglement climatique et les conséquences sur biodiversité. 10 à 30% des terres agricoles ne seront plus exploitables d’ici la fin du siècle selon des experts. Ce qui va générer des conditions très difficiles, très précaires pour les agriculteurs », déclare de son côté Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France soulignant que c’est une première pour l’ONG de participer à un tel évènement. « Nous militons pour que les agriculteurs bénéficient de revenus décents, ça ne veut pas dire pour nous de produire toujours plus de tout », ajoute-t-il.

Le directeur général reconnaît là un point de désaccord avec son interlocuteur. « Nous pensons qu’il faut augmenter la production dans certains cas mais baisser dans d’autres » précise-t-il.

Lire aussi : Controverses : l’accord Mercosur est-il bon ou mauvais pour l’agriculture ?

Un modèle de production à transformer, selon Greenpeace France

« Il y a 8 millions de Français dans l’insécurité alimentaire dont 2 millions qui bénéficient de l’aide alimentaire chaque année. 18% des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté et côté biodiversité 30% des oiseaux des champs ont disparu. Donc rien ne va, il faut changer ce système-là », énumère ensuite le directeur général de Greenpeace France qui milite pour un changement de modèle agricole

« Cela passe par : un fonctionnement global différent, la fin des traités de libre-échange qui est une absurdité sur le plan environnemental, la réforme de PAC avec la fin des subventions à l’hectare, un modèle d’élevage à repenser », estime Jean-François Julliard.

Lire aussi : PAC : Greenpeace demande de mettre un terme aux aides à l’hectare et de réorienter les fonds vers les fermes les plus vulnérables

« Ce qui guide la consommation c’est le pouvoir d’achat », rappelle Franck Sander

« Le monde agricole a toujours été ouvert au changement, mais sortir l’agriculture complètement d’un marché ce n’est pas réaliste. Aujourd’hui ce qui guide la consommation c’est le pouvoir d’achat. Les aides PAC sont la majorité du revenu des agriculteurs, si on module il faut proposer une solution tout de suite », répond Franck Sander. Et le président de la CGB d’ajouter : « le consommateur s’est détourné du bio, car il n’a plus les moyens d’en acheter ».

Continuer à pousser les agriculteurs dans le bio c’est une erreur monumentale

« Il faut apporter une alimentation accessible. On a tout axé sur la montée en gamme après le discours de Rungis d’Emmanuel Macron. Aujourd’hui le président a changé son discours. Evitons de pousser des productions s’il n’y a pas un marché en face. Continuer à pousser les agriculteurs dans le bio c’est une erreur monumentale », déclare encore Franck Sander.

Lire aussi : Inquiets pour leurs revenus, près de 50% des agriculteurs envisagent de produire de l’énergie

Un besoin d’innovation mis en avant pas le représentant agricole

Selon lui, il est important « d’acter la demande du consommateur ». « Et ensuite la question c’est l’investissement : combien de moyens on va mettre dans la recherche et le développement ? », interroge-t-il. « Quand va-t-on aller au bout du sujet des OGM ? Au moins peut-on avancer sur les NBT (ou NGT) ce sera une solution pour baisser les produits phytosanitaires mais ce sera aussi une solution pour répondre à la pression sur les insectes », poursuit l’agriculteur alsacien.

« Il va falloir trouver des solutions (biocontrôle, génétique…). C’est de cela dont on a besoin. Voilà pourquoi le monde agricole a fortement réagi l’an dernier. On contraint l’agriculteur, il perd du revenu et en face il n’a pas de solutions innovantes », estime encore le représentant professionnel agricole.
 

Points d’accord autour de mécanismes de régulation

« Ca se saurait si l’innovation sauvait le monde. Comme les OGM ! », rétorque le directeur général de Greenpeace France qui affirme ne pas être hostile à l’innovation. Pour parvenir à une « alimentation saine et accessible à tous », Jean-François Julliard affirme « travailler sur des solutions qui devraient bénéficier au plus grand nombre ». Et de citer l’idée d’une sécurité sociale de l’alimentation ou encore de prix garantis minimum pour les agriculteurs ou de changer les règles encadrant l’agriculture.

Egalim c’est quand même une bonne chose, mais qui aura le courage d’aller au bout ?

« On peut se retrouver sur les mécanismes de régulation au niveau de l’Europe. Egalim c’est quand même une bonne chose, mais qui aura le courage d’aller au bout ? », convient Franck Sander. Avant de nuancer aussitôt. « Si demain on s’inscrit dans une logique de décroissance, automatiquement le coût de production sera plus cher. Passer au bio baisse nos rendements de 30% par exemple. Quel consommateur pourra se permettre de payer 30% de plus sur l’alimentation. Même les collectivités ne répondent pas à Egalim ? », argumente le président de la CGB.

« Construire un modèle agricole sur des aides publiques moi je n’y crois pas. On aura conduit des agriculteurs qui sont des entrepreneurs dans le mur. Je suis convaincu que l’on peut relever le défi alimentaire et énergétique. La décarbonation c’est un bel enjeu mais quand on voit ce que fait Trump il faut réagir », réagit encore l’agriculture qui lance alors le débat sur le stockage de l’eau.

Lire aussi : Que dit la proposition de loi voulant instaurer une sécurité sociale de l’alimentation bientôt discutée à l’Assemblée nationale ?
 

Un rapport sur l’eau publié par Greenpeace cette semaine pointera l’agriculture

Le débat manque de s’envenimer quand le directeur général de Greenpeace France annonce la publication dans trois jours d’un rapport sur la gouvernance de l’eau. « Aujourd’hui il y a un constat partagé sur le manque d’eau et la confiscation de l’eau au profit de quelques-uns. L’irrigation agricole est le premier consommateur d’eau ! », commence Jean-François Julliard, sous les protestations de Franck Sander et d’une partie de la salle. Avant d’évoquer l’idée de faire changer la consommation alimentaire pour réduire le cheptel et favoriser les protéines végétales.

On va vu le récit porté par une bonne partie des syndicats agricoles qui consistait à opposer écologistes aux agriculteurs, je trouve ça stérile

Le directeur général de Greenpeace France conclut par un message « plus politique et global » : « on va vu le récit porté par une bonne partie des syndicats agricoles qui consistait à opposer écologistes aux agriculteurs, je trouve ça stérile ». « Nous partageons des objectifs à long terme. Je suis le premier à reconnaître que la planète a besoin d’une agriculture saine et en forme. Nous avons besoin de sortir de cette opposition stérile qui ne sert personne », déclare Jean-François Julliard tentant de trouver un accord avec le représentant agricole sur le terrain du commerce extérieur. 

« On est d’accord sur la fin des traités de libre-accord », lâche-t-il. « Nous ne sommes pas contre le libre-échange mais on demande des clauses de sauvegarde et les mêmes conditions de production », répond Franck Sander.

Lire aussi : Quelle part occupe l’irrigation agricole dans la consommation d'eau en France ?

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