Biocontrôle : le secteur appelle à une évolution de la réglementation
Le secteur du biocontrôle réclame une meilleure prise en compte de ses spécificités dans la réglementation européenne, afin de favoriser l’innovation et le déploiement des solutions de biocontrôle.


Après des années de forte croissance, le marché du biocontrôle semble un peu marquer le pas. Selon les chiffres communiqués par Alliance biocontrôle (l’association qui fédère les entreprises du secteur), il s’établit en 2023 à 245 millions d’euros (278 millions en 2022), et représente 9 % du marché total de la protection des cultures (10 % en 2022). Ce recul pourrait être dû à plusieurs conjonctures défavorables : la crise du bio, les conditions climatiques, ou encore la baisse de prix des produits phytosanitaires de synthèse. La loi sur la séparation de la vente et du conseil sur les produits phytopharmaceutiques, entrée en vigueur en 2021, peut aussi constituer un frein au déploiement du biocontrôle.
Celle-ci a entraîné, selon Alliance biocontrôle, une détérioration de l’accompagnement des agriculteurs, crucial pour le biocontrôle. L’association, qui vise le cap des 30 % du marché de la protection des plantes à horizon 2030 (en valeur), réclame ainsi une « révision en profondeur » de cette loi. Pour Alliance biocontrôle, la réglementation est également un point majeur à améliorer pour favoriser l’innovation, et in fine l’utilisation de solutions de biocontrôle par les agriculteurs. Une définition claire et homogène du biocontrôle au niveau européen a ainsi été une nouvelle fois appelée de ses vœux par Céline Barthet, présidente d’Alliance biocontrôle, lors des Rencontres du biocontrôle organisées en marge du Sival en janvier dernier. Une telle définition manque encore, alors qu’elle est inscrite en France dans le Code rural depuis plus de dix ans.
Taux de pénétration du biocontrôle par culture
Dix ans après la mise en œuvre de son premier baromètre du biocontrôle, en 2015, permettant d’estimer le marché annuel du biocontrôle en France tous secteurs confondus (agricole et Jevi - Jardins, espaces végétalisés et infrastructures) à partir des ventes de ses adhérents, Alliance biocontrôle fait évoluer ses indicateurs de suivi du biocontrôle – côté agricole – en complétant son baromètre de deux mesures : le déploiement du biocontrôle (en hectares déployés) et son taux de pénétration par culture. Ces nouveaux indicateurs sont extraits du panel protection des cultures d’ADquation portant sur 10 000 agriculteurs interviewés en face-à-face.
Les données extraites de ce panel mesurent, pour chaque campagne agricole, le déploiement et la pénétration des produits phytopharmaceutiques de biocontrôle conformes pour quatre grands groupes de cultures : les grandes cultures, (incluant céréales, oléoprotéagineux, betteraves), les légumes et pommes de terre, les vergers et la vigne. « C’est une grande première qui nous permet d’affiner notre analyse sur l’activité du biocontrôle en France, souligne Céline Barthet. Le suivi du déploiement du biocontrôle dans les exploitations agricoles, en hectares déployés, était aussi une attente d’un grand nombre de nos interlocuteurs. »
Plus fortes hausses enregistrées en vigne
Toutes cultures confondues, le déploiement des produits phytopharmaceutiques de biocontrôle progresse en deux ans de près de 4 millions d’hectares déployés supplémentaires, passant de plus de 7,5 millions d’hectares déployés traités avec des solutions de biocontrôle sur la campagne 2021-2022 à près de 11,5 millions d’hectares déployés sur la campagne 2023-2024. La hausse de déploiement est de 32 % entre les campagnes 2021-2022 et 2022-2023 et de 16 % entre les campagnes 2022-2023 et 2023-2024. Les plus fortes hausses sont enregistrées en vigne, avec +3,2 millions d’hectares déployés supplémentaires ; et en grandes cultures, +0,7 million d’hectares déployés supplémentaires.
« Les taux de pénétration du biocontrôle sont contrastés entre ceux, les plus élevés, observés en vigne et dans les vergers et ceux, plus bas, constatés en légumes, pommes de terre et grandes cultures », précise Alliance biocontrôle. Si en vigne, quasiment 100 % des viticulteurs utilisent au moins une solution de biocontrôle (97 % en 2023-2024), la part de marché du biocontrôle pour cette culture est selon ADquation, de près de 50 % des hectares déployés. Les grandes cultures sont, des quatre groupes de cultures suivis par ce panel, celui où le taux de pénétration est le plus bas, avec 15 % en 2023-2024.
Céline Barthet, présidente d’Alliance biocontrôle
« Les délais d’homologation freinent l’innovation »
« La réglementation européenne ne tient pas compte des spécificités du biocontrôle. Les délais d’homologation en pâtissent et freinent l’innovation, poussant certaines entreprises à se tourner vers d’autres continents, comme l’Amérique, pour lancer leurs innovations. Quand ces délais sont de sept à dix ans en Europe face à des délais de deux à trois ans sur le continent américain et d’autres régions du monde… si rien ne change, il est clair que l’Europe est et sera de moins en moins la priorité pour la mise sur le marché d’innovations de biocontrôle par nombre d’entreprises ! Les déclarations des commissaires européens en charge de l’agriculture et de la santé, les récentes positions de plusieurs États membres et celles d’eurodéputés comme Céline Imart lors de nos 11es Rencontres annuelles du biocontrôle nous font espérer, au niveau de l’Europe, un alignement de planètes favorable pour le biocontrôle ».
Le marché des biosolutions en baisse
Jusqu’en 2021, le marché du biocontrôle montrait une progression remarquable dans les baromètres annuels d’Alliance biocontrôle, passant de 140 millions d’euros en 2017, à 217 millions d’euros en 2019 et 266 millions d’euros en 2021. En 2022, des premiers résultats en demi-teinte étaient observés. Malgré un marché toujours en hausse (278 millions d’euros), la part du biocontrôle au sein du marché total de la protection des plantes diminuait pour la première fois pour s’établir à 10 %. Enfin, les chiffres de 2023, communiqués en janvier dernier, témoignent d’une première baisse du marché : 245 millions d’euros et une part de marché à 9 %. Du côté des biostimulants, qui relèvent du marché de la fertilisation, le marché se tend également. Après trois années de forte croissance en valeur, avec une progression moyenne annuelle d’environ 25 %, les biostimulants accusent un coup d’arrêt en 2024 et reculent de 1,7 %. « La progression du marché de la vigne a permis de compenser en partie la forte baisse enregistrée en grandes cultures, où le marché a dévissé de plus de 10 % », détaille Christophe Jounaux, de Kynetec, leader des études de marché en agriculture.
Accélérer l’intégration du biocontrôle
Les Rencontres annuelles du biocontrôle, organisées en marge du Sival, avaient cette année pour thème : « Accélérer l’intégration du biocontrôle dans le quotidien des producteurs : un défi à partager entre acteurs de la filière ».
Différents experts des filières agricoles, de l’amont à l’aval, étaient présents aux Rencontres annuelles du biocontrôle, organisées par Alliance biocontrôle en janvier en marge du Sival, pour témoigner et débattre sur le déploiement des solutions de biocontrôle dans les exploitations agricoles. « Les grandes cultures couvrant la grande majorité de la sole avec près de neuf hectares sur dix cultivés en France, c’est par elles que l’accélération du déploiement du biocontrôle doit se réaliser », a assuré Céline Barthet, présidente d’Alliance biocontrôle. Et la marge de progression est immense, avec un taux de pénétration du biocontrôle de seulement 15 % pour les grandes cultures. Benjamin Berthelot, céréaliculteur en Seine-et-Marne, constate des limites du biocontrôle sur le blé, où les produits de biocontrôle seuls se montrent parfois moins performants. Il a pointé « le manque d’accompagnement technique et de marchés dédiés, indispensables pour sécuriser l’utilisation du biocontrôle ».
Un rôle clé face aux exigences des cahiers des charges
Sébastien Roumegous, fondateur de Biosphères, a présenté les démarches qu’il déploie pour accompagner agriculteurs et techniciens dans leur montée en compétence sur les pratiques agroécologiques et le biocontrôle. « Sans une base agronomique solide et une approche intégrée, il reste difficile de déployer efficacement des solutions comme le biocontrôle en grandes cultures », a-t-il souligné. « Le biocontrôle joue un rôle clé face aux restrictions réglementaires et aux exigences des cahiers des charges », a estimé Fanny Lange, associée chez Deloitte Sustainability, cabinet de conseil en développement durable. Cependant, la mise en œuvre de solutions intégrées combinant agronomie, biocontrôle et produits conventionnels reste complexe. « Les objectifs de résultat, comme la réduction de l’empreinte carbone ou la biodiversité, nécessitent des indicateurs fiables et des approches systémiques », a-t-elle poursuivi. Quentin Mathieu, responsable Entreprise et consommation à Agridées, a souligné les freins réglementaires, notamment la loi de séparation vente-conseil, qui affectent l’efficacité de l’accompagnement des agriculteurs nécessaire au déploiement du biocontrôle et a insisté sur la nécessité de former les agriculteurs aux techniques de biocontrôle. « Aujourd’hui, c’est l’agriculteur qui endosse à 100 % le risque lié à la transformation de son système », a-t-il constaté en mettant en avant le rôle crucial que les assurances et coopératives devraient jouer pour partager les risques et sécuriser les agriculteurs face à des aléas climatiques et économiques croissants.