Controverses : l’accord Mercosur est-il bon ou mauvais pour l’agriculture ?
L’agriculture européenne peut-elle trouver un intérêt aux accords de libre échange (entre l’UE et le Mercosur en particulier) ? Emmanuel Bernard, président de la section bovine d’Interbev, et Pascal Lamy, coordinateur du réseau Jacques Delors et ex-directeur de l’OMC, livrent des avis tranchés et divergents lors des controverses de l’agriculture et de l’agroalimentaire organisées par le groupe Réussir-Agra.
L’agriculture européenne peut-elle trouver un intérêt aux accords de libre échange (entre l’UE et le Mercosur en particulier) ? Emmanuel Bernard, président de la section bovine d’Interbev, et Pascal Lamy, coordinateur du réseau Jacques Delors et ex-directeur de l’OMC, livrent des avis tranchés et divergents lors des controverses de l’agriculture et de l’agroalimentaire organisées par le groupe Réussir-Agra.
![Pascal Lamy, ex-directeur de l’OMC et désormais coordinateur du réseau de think tank Jacques Delors (à gauche), face à Emmanuel Bernard, président de la section bovine d’Interbev (à droite) lors des controverses de l’agriculture et l’agrolimentaire organisées par le groupe Réussir-Agra le 11 février](https://medias.reussir.fr/portail-reussir/styles/normal_size/azblob/2025-02/p1012787_0.jpg.webp?itok=Bg2kRDGn)
« Le libre échange : fer de lance ou vulnérabilité pour l’agriculture européenne ? » était le thème d’un débat dans le cadre des 7e controverses de l’agriculture et l’agroalimentaire organisées ce 11 février à Paris par le groupe Réussir-Agra avec Pascal Lamy, ex-directeur de l’OMC et désormais coordinateur du réseau de think tank Jacques Delors, face à Emmanuel Bernard, président de la section bovine d’Interbev.
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Emmanuel Bernard (Interbev) totalement contre l’accord du Mercosur
« Nous sommes totalement contre l’accord du Mercosur. Nous sommes pour un commerce juste, respectueux de nos modèles avec une condition de durabilité » : Emmanuel Bernard, éleveur de bovins viande, de poules pondeuses et polyculteur dans la Nièvre et président de section bovine d’Interbev exprime d’entrée de jeu son opposition à l’accord Mercosur. « Il y a 25 ans dans ma ferme j’étais dans la mise aux normes (par rapport aux cycles d’azote) aujourd’hui dans le carbone. Ces conditions doivent être mises dans le cadre d’un accord. On n’est pas à égalité entre les continents », poursuit-il. Sa crainte : se retrouver dans la situation de la filière ovine après l’accord avec la Nouvelle-Zélande. « Il portait sur 3000 tonnes, cela a détruit une bonne partie du potentiel de production de viande ovine française », rappelle-t-il.
Pour lui l’accord UE-Mercosur avec des droits de douanes abaissés sur 99 000 tonnes de viande bovine « met en danger toute la filière » car il porte sur l’aloyau « pièce qui prime dans la valorisation de l’animal ».
Pour certains pays ces accords sont une réassurance
Une crainte injustifiée si l’on regarde les conséquences de l’accord CETA qui n’a pas eu les conséquences redoutées sur la filière bovine ? « Pour certains pays ces accords sont une réassurance. Quand on voit Trump qui dit vouloir taxer les Canadiens, les Chinois qui remettent en cause leurs importations du Brésil… Pour ces pays, avoir un accord avec une zone solvable comme l’Europe permet d’avoir un débouché de secours », commente le président de la section bovine d’Interbev.
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Non les accords de libre-échange n’ont pas sacrifié l’agriculture européenne, selon Pascal Lamy
« Cela fait 30 ans que je suis dans ce business, jamais je n’ai prononcé le mot de libre-échange car ce concept n’existe pas. Il n’y a pas de libre-échange, nulle part, l’échange est toujours contraint. Il s’agit d’accords passés avec d’autres pays pour ouvrir les échanges » tranche aussitôt Pascal Lamy, ex-directeur de l’OMC et ex-commissaire européen au Commerce à la question de savoir si les accords de libre-échange ont sacrifié l’agriculture européenne.
Depuis 15 ans le surplus extérieur de l’UE dans le secteur de l’agriculture est passé de 10 à 70 milliards d’euros
L’actuel coordinateur du réseau de think tank Jacques Delors dément ensuite l’idée d’accords dévastateurs pour l’agriculture européenne. « Quand je regarde les chiffres, depuis 15 ans le surplus extérieur de l’UE dans le secteur de l’agriculture (et de l’industrie agroalimentaire, ndlr) est passé de 10 à 70 milliards d’euros », argumente-t-il. « Les chiffres disent que l’agriculture européenne va très bien dans le monde. Parce que l’on a ouvert des échanges et que l’agriculture européenne est une agriculture à valeur ajoutée, de qualité », poursuit-il assurant que les exportations européennes sur le secteur sont trois plus élevées en valeur que les exportations américaines.
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« Il n’y a pas un problème européen mais un problème français »
Si selon Pascal Lamy, « il n’y a donc pas de problème européen », il reconnait toutefois l’existence « d’un problème français ». « Le solde français sur le secteur est resté stable mais en gros on a perdu 6 milliards sur l’Europe et gagné 6 milliards vers l’extérieur. Nous avons perdu en compétitivité sur l’Europe et gagné sur les marchés tiers », affirme l’ancien commissaire pour qui « les chiffres disent qu’il y a un sérieux problème de compétitivité sur certaines filières ».
Je ne vois pas de drame sur la filière bovine
Quant à savoir si ce contingent de 99 000 tonnes risque de déstabiliser le modèle bovin européen, Pascal Lamy estime que l’effet sera limité de l’ordre de 1 à 2% sur les prix et quantité. « Ce n’est pas dramatique selon les études » assure-t-il, précisant que ces effets pourraient être compensés par l’enveloppe de 1 milliard d’euros sur 7 ans proposée par la Commission européenne.
« Je ne vois pas de drame sur la filière bovine », affirme en résumé l’ex-directeur général de l’OMC.
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Des modèles de production très différents
Peu convaincu par cette remarque, Emmanuel Bernard pointe la différence de modèle de production et des règles en matière de traçabilité ou de respect des animaux. « Les 100 000 tonnes ne vont peut-être pas rentrer en France mais ça abasourdit les producteurs qui ont amélioré plein de choses et sont prêts à continuer à investir dans la décarbonation par exemple », témoigne-t-il rappelant qu’en élevage « on investit sur 12 à 15 ans ».
Les 100 000 tonnes ne vont peut-être pas rentrer en France mais ça abasourdit les producteurs
« Il ne rentre en théorie sur le marché européen aucun produit non conforme aux normes sanitaires et phytosanitaires européennes » répond Pascal Lamy, reconnaissant toutefois qu’il peut y avoir des problèmes de contrôles. « On peut imposer à nos concurrents étrangers des normes européennes dans une gamme scientifiquement non contestable. Par exemple en matière d’hormones de croissance, la viande aux hormones ne rentre pas dans l’Union européenne » poursuit-il. « Mais on ne peut pas imposer au Brésil des règles sur les cages » ajoute-t-il.
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Emmanuel Bernard estime à l’inverse que le modèle d’élevage herbager peut être identifié et modélisé de manière scientifique. « On est en train d’élaborer une maquette de cet élevage et de le défendre de manière collective à la FAO » poursuit le président de la section bovine d’Interbev selon qui il est important de donner des perspectives aux jeunes en protégeant un modèle d’élevage à la Française.
Beaucoup de bœufs argentins passent du temps à manger de l’herbe et en France les vaches laitières ne sont pas toutes à l’herbe !
« Attention à ne pas caricaturer non plus : beaucoup de bœufs argentins passent du temps à manger de l’herbe et en France les vaches laitières ne sont pas toutes à l’herbe ! », répond Pascal Lamy.
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Quel poids de la France pour reporter l’accord ?
« Le plus probable c’est que l’accord Mercosur soit accepté, la France devra descendre des barricades, je pense que c’est un bon accord et regagner des parts de marché sur le Mercosur est intéressant surtout avec les annonces de Donald Trump, on va avoir besoin de débouchés extérieurs », conclut Pascal Lamy son intervention.
Je fais confiance au président pour reporter l’accord
« J’ai écouté le président de la République plusieurs fois et au niveau français il y a une unanimité contre l’accord. Je lui fais confiance pour le reporter », confie pour sa part Emmanuel Bernard.
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