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Bilan de vingt ans de protection des troupeaux

La multiplication des dégâts causés par le loup traduit l’inefficacité d’une politique de gestion reposant sur la seule protection des troupeaux.

Le loup a coûté en 2014 entre 16 et 17 millions d’euros, entre indemnisations des dégâts, moyens de protection, agents publics affectés au dossier… Malgré les moyens mis en œuvre, il a fait la même année plus de 8 000 victimes. Pour le Cerpam(1), cet échec d’une politique reposant sur la seule protection des troupeaux s’explique par plusieurs facteurs.

La vulnérabilité des systèmes d’élevage

Les modes d’élevage déployés dans les systèmes de montagne méditerranéens sont particulièrement vulnérables à la prédation. En effet, ils reposent sur la mobilisation de surfaces embroussaillées et boisées qui offrent des ressources alimentaires à moindre coût. Cependant, l’embroussaillement permet aux loups d’agir en cachette des bergers et des chiens de protection. De plus, les trois départements méditerranéens les plus touchés par le loup se caractérisent par la production d’agneaux tardons. Les agneaux y sont conduits au pâturage avec leurs mères pendant la saison estivale et les besoins des mères en lactation et des agneaux en croissance imposent un gardiennage plus souple du troupeau qui doit pouvoir s’étaler dans l’espace.

Les faiblesses des moyens de protection

Le chien de race Montagne des Pyrénées (patou), principal moyen de protection mis en avant, n’avait plus été confronté aux prédateurs sauvages et encore moins au loup depuis des décennies. Les éleveurs n’ont donc pu bénéficier ni de la base génétique d’une population de chiens en conditions de travail, ni du transfert de savoir-faire d’acteurs les mettant en œuvre, les acquis pyrénéens avec l’ours ne pouvant être que partiellement transposés. Ils sont aujourd’hui confrontés au double défi d’avoir des chiens suffisamment agressifs envers le loup sans l’être envers les autres usagers de l’espace et les incidents se multiplient. Quant au regroupement nocturne, s’il avait historiquement une finalité économique, pour récupérer le lait ou le fumier, il n’est aujourd’hui qu’une contrainte supplémentaire qui rallonge la journée de travail, prive les animaux des meilleures heures de pâturage et dégrade la montagne par une trop forte concentration d’animaux. De plus, cette pratique incite les loups à reporter leurs attaques sur la journée et plus de la moitié des attaques ont désormais lieu de jour dans plusieurs départements alpins. Il n’y a aujourd’hui aucun système de protection adapté aux petits troupeaux individuels répartis en plusieurs lots. Il faudrait multiplier les bergers et les chiens et sécuriser l’ensemble du parc de pâturage, ce qui est difficilement envisageable pour des raisons de coût et de logistique.

Les contraintes humaines et sociales

La protection des troupeaux repose fortement sur la présence de l’homme, pour faire fonctionner les outils que sont le chien et le regroupement nocturne. Ce temps d’intendance pour la gestion des chiens, des clôtures, le rassemblement et l’enfermement des animaux a été chiffré à l’équivalent d’un temps plein supplémentaire dans un alpage accueillant 2 200 bêtes pendant 4 mois et disposant d’un berger et à 600 heures de travail en exploitation pour un troupeau de 200 à 500 têtes allotées au pâturage pendant 6 mois. Ce travail supplémentaire, en début de matinée et soirée, se fait au détriment du travail productif et de la vie familiale et sociale.

La capacité d’adaptation du loup

Depuis 20 ans, l’ensemble des signaux adressés au loup signifient une absence de risque à s’approcher des troupeaux. Or les moyens de protection ne peuvent être efficaces que comme piqûre de rappel du danger qu’il y a à s’approcher de l’homme. En 20 ans de protection stricte de l’espèce, cet apprentissage millénaire a été affecté. C’est pourquoi les loups multiplient les tentatives d’attaques sur troupeau, y compris de jour et à proximité des habitations et en présence de l’homme et des chiens.

(1) Centre d’études et de réalisations Alpes Méditerranée

La solution ? Ré-inculquer la crainte de l’Homme

La prise de conscience récente par l’État des limites de cette politique de protection stricte a conduit à engager de véritables prélèvements de loups qui ont atteint 6 % de l’effectif en 2014-15 pour un taux d’accroissement moyen de la population de 16 % par an. Mais le cadre actuel dérogatoire dans la convention de Berne et la directive habitat est trop strict pour mettre en œuvre une régulation efficace de la population. Selon le Cerpam, il faudrait pouvoir opérer des prélèvements ciblés de loups afin de réorienter leur prédation vers la faune sauvage, allant jusqu’à prélever des meutes entières là où elles sont le plus habituées aux proies domestiques. « C’est seulement en réinstaurant la crainte de l’homme que l’on peut espérer un retour d‘efficacité des moyens de protection. Ensuite, on pourra réinvestir dans une population de chiens en mobilisant des souches et savoir-faire là où ils sont au travail et multiplier les investissements en équipements nécessaires pour la sécurisation du parc de pâturage. »

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