Associer l'élevage à un autre travail
Les aspects économiques ne sont pas les seuls à prendre en compte pour comprendre les choix des éleveurs ovins pluriactifs. Les dimensions relationnelle, identitaire et du corps au travail sont essentielles.
Les aspects économiques ne sont pas les seuls à prendre en compte pour comprendre les choix des éleveurs ovins pluriactifs. Les dimensions relationnelle, identitaire et du corps au travail sont essentielles.
Dans le cadre de sa thèse(1), Cécile Fiorelli, ingénieur de recherche à l’Inra, a enquêté auprès de 35 ménages ovins pluriactifs du Puy-de-Dôme puis étudié en détail le cas de huit ménages. L’idée était que les éleveurs pluriactifs, soumis à de fortes contraintes d’organisation du travail, offrent des situations privilégiées d’observation de l’aménagement des conditions de vie au travail en élevage. L’étude montre que la dimension technico-économique n’est pas la seule à prendre en compte pour comprendre les choix techniques et organisationnels des éleveurs pluriactifs.
Sur le plan économique, l’attente de revenu agricole est très variable, d’inexistante à importante. Certains éleveurs en attendent un revenu principal ou complémentaire. Mais le plus souvent, il n’y a pas d’attente de revenu pour la famille. L’élevage peut éventuellement permettre de capitaliser, mais dans certains cas, les revenus extérieurs financent en partie le fonctionnement et les investissements sur l’exploitation. La plupart des éleveurs insistent par contre sur le fait que le travail d’élevage permet des relations de qualité avec les bêtes et les hommes. En donnant aux bêtes et en recevant d’elles, ils éprouvent le plaisir d’être responsables, engagés vis-à-vis des bêtes, d’aimer et de se sentir aimés. Ces relations leur donnent aussi un contact privilégié avec la vie. « On assiste tous les jours à des naissances », décrit l’un d’eux. Le travail avec les bêtes les détend, les ressource et ils apprécient ces relations pacifiques, par opposition aux relations parfois agressives ou de domination vécues dans leur autre travail. Le plaisir de travailler avec des « collègues » choisis, leur conjoint, leurs enfants ou d’autres éleveurs est également important. Le travail en élevage apparaît comme un temps et un lieu de partage d’une passion commune. Pour certains, l’élevage est aussi l’occasion de travailler seul, « de ne plus être embêté par les gens ».
Un métier qu’on apprend toute sa vie
Faire de l’élevage construit positivement l’identité des éleveurs pluriactifs grâce à un rapport homme-travail qu’ils jugent épanouissant et enrichissant, d’autant plus qu’ils trouvent leur travail extérieur inintéressant. Ils insistent sur le plaisir qu’il y a à exercer un métier dans lequel on peut toujours progresser, apprendre, contrairement à certains postes de salarié sans perspectives d’évolution. « L’élevage, c’est un métier qu’on apprend toute sa vie. » La maîtrise du métier d’éleveur est d’autant plus valorisante qu’il est reconnu comme complexe. Ils racontent aussi leur plaisir et leur satisfaction de pouvoir exercer leur liberté et d’être responsable des décisions et des résultats. Et ils apprécient la reconnaissance provenant du jugement d’utilité porté par les clients (groupements, bouchers, consommateurs) et du jugement de beauté de leurs voisins agriculteurs, de leur conjoint, du technicien du groupement. Pour certains, le travail d’élevage permet aussi de s’accomplir en s’inscrivant dans une histoire familiale, en préservant un patrimoine qui va au-delà de la dimension économique et permet d’assurer la continuité de la vie avec des bêtes, de l’exploitation des terres et la sauvegarde des savoir-faire. Le plaisir vient aussi de la diversité du travail, en opposition avec le sentiment de routine perçu dans l’autre travail.
Les aspects techniques peu mis en avant
La composante technique du travail est peu mise en avant, voire rejetée. Certains éleveurs parlent de leur plaisir à obtenir des performances techniques et sont passionnés par la race qu’ils élèvent. Ils aiment arriver à faire exprimer les aptitudes de la race au niveau de la production ou du comportement. L’équipement est peu évoqué. L’efficacité de l’organisation du travail est par contre source de plaisir. Les éleveurs sont fiers d’être capable de faire un double travail, de bien s’organiser, d’être astucieux. L’épanouissement du corps est également mis en avant par les pluriactifs, en opposition avec ce qu’ils ressentent dans leur autre travail. Ils aiment travailler dehors, à leur rythme et selon leurs horaires. « Ce n’est pas la durée du travail mais les horaires fixes qui sont stressants. » Le travail d’élevage est aussi l’occasion de travailler plus physiquement ou autrement et de manière moins monotone qu’immobile à un poste et de rester en forme.
« Tous ces éléments mettent en avant des qualités du travail en élevage précieuses, à préserver ou à restaurer, et sont une invitation à penser autrement l’attractivité du métier d’éleveur, estime Cécile Fiorelli. L’attractivité ne doit pas être pensée qu’en termes de réduction de la durée et de la pénibilité du travail. Il faut voir ce qui compte vraiment dans l’activité : travailler avec des animaux, dehors, être libre de ses horaires, avoir des relations… Dans un contexte de marché de l’emploi compliqué, de précarité, de pression sur les salariés, ceux qui ont un emploi et qui créent un élevage veulent faire des choses différentes et redonner du sens à leur travail. »