Abattage à la ferme : réalité ou utopie ?
L’abattage à la ferme serait une solution pour limiter les transports d’animaux, mieux contrôler le bien-être animal et maîtriser la production. Encore faut-il un encadrement adapté. Confrontation.
L’abattage à la ferme serait une solution pour limiter les transports d’animaux, mieux contrôler le bien-être animal et maîtriser la production. Encore faut-il un encadrement adapté. Confrontation.
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Le débat fait rage depuis de nombreuses années, opposant pouvoirs publics, éleveurs et acteurs de la filière viande. Les abattoirs ne sont plus que 265 en France, contre 350 il y a vingt ans. Les établissements municipaux ferment les uns après les autres, laissant la place aux quelques abattoirs privés résistants. Et la réglementation française reste une barrière difficilement franchissable pour les plus petites structures qui ne peuvent assumer financièrement les nombreuses et (trop) fréquentes mises aux normes sanitaires ou environnementales. Suite aux États généraux de l’alimentation, Emmanuel Macron avait annoncé le besoin de redéployer des outils d’abattage sur le territoire. Une proposition, parmi d’autres, serait d’autoriser l’abattage à la ferme pour les éleveurs se retrouvant dans une zone vide d’abattoir. Cela permettrait des économies de temps, d’argent, de carburant, une augmentation du confort de l’éleveur et du bien-être de ses animaux.
« Garder la main sur la qualité de la viande »
Les projets de reprises d’abattoir par des groupes d’éleveurs se font de plus en plus nombreux. L’abattage à la ferme est lui aussi d’actualité notamment avec les tests d’abattoirs mobiles. « L’enjeu de l’élevage est très lié à l’abattage, explique Émilie Jeannin, responsable du dossier abattage à la Confédération paysanne et éleveuse de vaches allaitantes. S’il n’y a plus de solutions d’abattage ou que celui-ci est de mauvaise qualité, l’éleveur risque de perdre de la clientèle ». Les éleveurs s’élèvent contre le manque de maîtrise de la fin de la production, comme si toutes les précautions engagées pendant la période d’élevage pouvaient être mises à mal pendant l’abattage. « Il y a des éleveurs qui font très attention à bien manipuler leurs agneaux et quand ils récupèrent les carcasses, celles-ci sont couvertes de bleus, c’est démoralisant », s’inquiète l’éleveuse. La réglementation en vigueur dans les petits abattoirs gérés par des éleveurs ou dans les abattoirs mobiles est la même que pour les industriels, avec la plus-value de la vision de l’éleveur. « Nous voulons replacer l’abattage à la ferme ou au plus proche de celle-ci, pour limiter les coûts de transport, les allotements, le stress des animaux et des éleveurs », détaille Émilie Jeannin. Les consommateurs sont demandeurs de plus de transparence des abattoirs, notamment suite aux vidéos chocs révélées par L214. « Quand des éleveurs investissent du temps et de l’argent pour mettre en place un outil d’abattage, ils vont tout faire pour livrer un beau produit et faire du bon travail. Ils vont aussi se tourner vers des collaborateurs compétents qui partagent leur philosophie de respect de l’animal », renchérit l’éleveuse syndicaliste.
« Même droit même devoir »
« Même droit même devoir » semble être le slogan de Culture viande et de la Fedev sur le sujet de l’abattage à la ferme. « Pour abattre un ovin, nous devons respecter tout un protocole pour le bien-être animal, il y a un agent de l’État qui vérifie la qualité sanitaire de l’animal ante et post mortem. Il y a des règles d’hygiène, des obligations de moyens et de résultats », rappelle David Bloch, vice-président de Fedev, la Fédération des industries et du commerce en gros des viandes. « Nous investissons près de 10 % de notre chiffre d’affaires annuel dans les mises aux normes sanitaires », rappelle-t-il. « La réglementation qui entoure notre activité est énorme, sur le volet social, sanitaire, animal. Autoriser des projets moins-disants serait anormal et injuste pour les abattoirs », alerte Mathieu Pecqueur, directeur de Culture viande, la fédération nationale des entreprises d’abattage – découpe – transformation des viandes. Sans compter que si des micros abattoirs voient le jour et que la tendance se généralise, cela pourrait créer une réelle concurrence économique pour une activité déjà loin d’être saturée. « Nous avons vu également par le passé que le moindre rappel pour suspicion de contamination d’un lot de merguez faisait chuter la consommation de toutes les viandes. Nous ne pouvons pas nous permettre un scandale sanitaire parce qu’un éleveur a abattu chez lui et que les protocoles de contrôle sont moins drastiques », alerte David Bloch. Cependant les industriels disent pour autant ne pas s’opposer à la création de ces nouveaux circuits, sous réserve qu’ils parviennent à se développer non pas « grâce à une dérogation mais parce que leur système économique fonctionne », conclut Mathieu Pecqueur.