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Entretien
« Changement climatique : les agriculteurs doivent faire partie des solutions », selon Jean Jouzel

Entretien avec Jean Jouzel, climatologue, ex vice-président scientifique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), et membre de l’académie de l’Agriculture, à l’issue d’un été 2022 extrême aux conséquences importantes sur l’agriculture. 

Jean Jouzel Giec changement climatique agriculture
Jean Jouzel, climatologue, ex vice-président scientifique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), et membre de l’académie de l’Agriculture
© Juliette Agnel 2018

Ce qui s’est passé cet été en France (terrible sécheresse, vagues de chaleur successives, incendies destructeurs…) ne vous a pas étonné… Le Giec le prévoit depuis des années ?

Jean Jouzel : Oui ! Ce que prévoit le Giec en termes de rythme de réchauffement à raison de 2 dixièmes de degrés par décennie, le développement d’évènement plus extrêmes, de plus vagues de chaleur et de périodes sans précipitations, c’est ce que l’on a observé cet été. Le Giec prévoit aussi plus d’évènements combinés du type sécheresse plus vague de chaleur très propice à l’extension des incendies de forêt. Il y a quand même eu une petite surprise cet été ce sont ces records de températures battus de 3 à 4°C. Le Giec n’avait pas prévu de hausses aussi fortes même si certains papiers envisagent des records à 50°C en France en 2050.

J’ai moi-même été surpris des températures cet été en Bretagne

J’ai moi-même été surpris des températures cet été en Bretagne (avec jusqu’à 40°C). Les Pays de la Loire ont aussi été très touchés. Donc oui le Giec l’avait prévu à quelques détails près. Et ce que je regrette c’est qu’on le dit depuis le troisième rapport du Giec.

Des étés comme ceux-ci vont se répéter, comme le dit Météo-France dans son bilan saisonnier ?

Attention, j’entends de mauvaises interprétations de ce que dit Météo-France. On ne peut pas dire que tous les étés seront dorénavant plus chauds que celui de 2022. Au contraire, on aura des étés plus frais et plus humides d’ici 2040. En revanche un été comme celui de 2022 deviendra la norme en 2050. Le réchauffement climatique progressif va renforcer la fréquence des étés de ce type.


Est-ce que selon vous c’est l’été de la prise de conscience pour la France et l’Europe en général ?

On l’espère ! Mais c’est déjà ce que l’on pensait en 2003. La prise de conscience du changement climatique se fait à partir des évènements extrêmes. Cela fait 40 ans que je parle de cela. Dans les années 90, on prêchait dans le désert. En 2003, la canicule a généré une prise de conscience chez les gens. Puis est arrivé le rapport Stern (en 2006, ndlr) qui disait en gros : « si on ne fait rien ça coûtera plus cher que si l’on fait quelque chose ». Mais cela ne s’est pas traduit dans les actes. J’espère que ça ne sera pas encore le cas cette fois-ci.
On subit quand même des étés relativement chauds et très secs depuis les cinq dernières années (à l’exception de 2021) avec le record de chaleur à 46°C en 2019, on a pourtant continué à émettre du Gaz à effet de serre et à utiliser des SUV. Oui les gens prennent conscience du phénomène mais ils pensent que c’est aux autres de faire les choses.

Les agriculteurs sont les premières victimes des changements. Christiane Lambert disait le 8 août dans le JDD, « il n’y a pas de climatosceptiques en agriculture », partagez-vous cet avis ?

Pas complètement. J’en connais ! Le monde agricole a longtemps été imperméable à cette réalité du changement climatique. Ce n’est plus vrai, je l’ai vu à Angers où je suis intervenu (au congrès international de l’horticulture) avec Christiane Lambert. Ce qui est vrai c’est que le monde agricole est le plus vulnérable. L’agriculteur sait depuis toujours que le climat va jouer un rôle très important dans sa vie, ses revenus. Aujourd’hui on a le sentiment d’une prise de conscience des changements climatiques, le climatoscepticisme n’est plus sur la réalité du réchauffement climatique mais sur le lien avec les activités humaines. Il reste des personnes, y compris chez les agriculteurs, pour qui il n’y a pas de lien entre changements climatiques et activités humaines. Ce qui n’est pas le cas comme le dernier rapport du Giec l’a bien montré.


Vous partagez aussi l’opinion exprimée entre autres par la FNSEA selon laquelle les agriculteurs font partie de la solution pour lutter contre les changements climatiques ?

Oui ils ont tout à fait raison ! C’est le cas de beaucoup de secteurs d’activités concernés par trois volets du rapport du Giec. L’agriculture contribue aux émissions de gaz à effet de serre (12 à 13% en France). Ce chiffre monte à 30% si on englobe l’alimentation (y compris la transformation et le transport). Donc oui les agriculteurs participent aux émissions de gaz à effet de serre mais ils sont aussi aux premières loges des conséquences et doivent faire partie des solutions.

L’agriculture maîtrise le foncier et donc le développement de l’énergie renouvelable

Comment ? En luttant contre le réchauffement climatique avec le stockage du carbone (avec les haies, les sols, l’initiative du 4 pour 1000 est une belle idée), l’agroécologie, l’élevage aussi qui peut contribuer à piéger le carbone. L’agriculture peut aussi participer au développement des énergies renouvelables, à travers la méthanisation, l’utilisation du bois, de l’éolien. L’agriculture maîtrise le foncier et donc le développement de l’énergie renouvelable (comme l’éolien terrestre ou le solaire). Le monde agricole a une carte à jouer.
 

Quelles sont les priorités à mettre en œuvre, selon vous ?

Pour le monde agricole c’est le court terme. Il y a une nécessité d’adaptation. La prise de conscience est là. Je le répète chaque été ne sera pas comme 2022, certains seront plus frais et humides, mais les conditions seront en moyenne plus sèches et cela s’accompagne de plus d’évaporation avec des problèmes d’accès à l’eau. Il est souhaitable que l’agriculture s’oriente vers des cultures moins gourmandes en eau. C’est vrai aussi pour la viticulture.

S’adapter est une priorité mais l’agriculture doit aussi participer à la lutte contre le réchauffement climatique

S’adapter est une priorité mais il faut aussi participer à la lutte contre le réchauffement climatique. La France a mis en place une stratégie bas carbone avec l’ambition d’émettre deux fois moins de carbone d’ici 2030. J’encourage le monde agricole à regarder cette feuille de route comme quelque chose que l’on doit respecter.


L’agriculture a aussi un rôle à jouer dans le développement d’énergies vertes, ce qui parfois peut sembler une concurrence à la production d’aliments, comment ce conflit devrait-il se régler selon vous ?

Il faut respecter la législation (avec la limitation de 15% d’incorporation de cultures principales). J’ai participé à la pose de la première pierre du premier méthaniseur en Ille-et-Vilaine. La méthanisation n’a de sens que si les déchets viennent de l’élevage. Il ne faut pas faire comme en Allemagne en y mettant des cultures. Il y a aussi la question du transport.

La méthanisation n’a de sens que si les déchets viennent de l’élevage

Ce qui est utilisé ne doit pas venir du bout du monde. Cela oblige à avoir de petites unités en lien avec des groupements d’éleveurs. C’est une voie intéressante si on respecte la réglementation, j’y suis assez favorable. Mais il faut faire attention avec la compétition entre l’alimentation et l’énergie. Le rapport du Giec le souligne. 
 

L’élevage est accusé par certains de tous les maux et notamment de renforcer le réchauffement climatique. Les éleveurs français se défendent en mettant en avant leur modèle et notamment leur rôle dans la captation du carbone dans les prairies. Quels éléments pouvez-vous apporter à ce débat passionné aux arguments pas toujours solides ?

Je ne suis pas spécialiste, mais il faut être raisonnable. Il faut avant tout produire de la qualité. Personnellement je mange toujours de la viande. Mais le monde agricole doit se préparer à cette idée qui fait son chemin et qui a du sens (à savoir l’idée de manger moins de viande, ndlr). Il faut de la mesure : l’élevage a toute sa place. Oui il faut continuer l’élevage mais il faut l’adapter aux besoins français. Il faudrait un peu plus défendre l’agriculture française dans les accords sur les échanges internationaux. L’agriculture française ne souffre pas que d’une certaine désaffection des consommateurs pour la viande mais aussi de la concurrence de la viande d’Amérique du Sud pas chère. Les traités internationaux constituent un des vrais problèmes de l’élevage français qui doit aussi s’adapter. Si on s’oppose aux accords internationaux il ne faut pas non plus chercher à exporter.

Oui il faut continuer l’élevage mais il faut l’adapter aux besoins français

Il faut réorienter l’élevage vers l’Europe. Par ailleurs après l’été que l’on vient de connaître, beaucoup d’élevages en manque de fourrage vont réduire leur taille. Il va falloir prendre en compte la capacité fourragère si les sécheresses se reproduisent. Il faudra aussi s’interroger sur le bien-être animal, sachant que le bétail souffre beaucoup du réchauffement climatique. Je me pose des questions quand je vois que l’on parle de climatisation dans les bâtiments d’élevage…

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