Machos les agriculteurs ?
Une femme sur une moissonneuse batteuse, qui négocie directement le prix de ses bêtes, ou qui gère 250 hectares de céréales… Certains trucs ne sont pas encore totalement entrés dans les mœurs agricoles, mais la révolution est en cours. Et les nouvelles agricultrices ont un petit côté revêche.
« Il est où le patron ? » Sophie, Nathalie, Émeline, Patricia… Quels que soient leur âge, leur origine, leur parcours, toutes les chefs d’exploitation ont entendu la phrase un jour. « C’est moi ! Je les aurais baffés », se souvient l’une d’entre elles qui parle en souriant de son « associé de mari », et constate : « pour les technico-commerciaux, c’est inconcevable que je sois le boss ! »
Certains clichés ont la peau dure, Claire confirme. Elle aussi a rencontré, à ses débuts, le technico-commercial obtus : « il avait fait toute sa démo dans la cour de la ferme en regardant exclusivement mon père (qui venait de me passer la main). Il a eu l’air décontenancé quand mon père s’est tourné vers moi pour me demander ‘Qu’est-ce que tu en penses ?’, avant de me laisser prendre la décision ».
« Longtemps dans l’agriculture, les femmes ont été réduites à des tâches ‘pas sérieuses’, commente le sociologue Roger Le Guen. Les choses changent, mais on n’est pas au bout. »
Aux yeux de certains, il y a des rôles qui restent… une affaire d’hommes. Faire affaire justement, toper là, notamment quand il s’agit de bétail. Roger Le Guen cite le cas de sa nièce, que des collègues masculins avaient carrément mise en situation délicate, voire dangereuse avec des bêtes, lors d’une vente, pour la pousser dans ses retranchements.
« Qu’une femme vende des fromages d’accord, mais pas une vache ! renchérit Patricia Frayssac, éleveuse de Salers, créatrice du prix Miss France agricole en 2015 (pour en rire). Pour les transactions de bétail, les hommes ont beaucoup de mal à faire affaire avec moi. On a l’impression que ça les dévaloriserait. »
L’argent, comme les gros tracteurs, reste résolument du côté de la virilité. Même les banques ont encore du mal à suivre les projets apportés par des femmes. « Alors qu’il est prouvé que les femmes remboursent mieux leur crédit », souligne Stéphanie, néo-rurale et célibataire, qui n’en revient pas de la résistance des vieux clichés, d’autant plus quand on n’est pas en couple. « Les vendeurs de machines agricoles sont toujours pressés de faire signer mon mari mais jamais moi », s’amuse Nathalie, qui, elle, est co-exploitante et a fini par exiger une clause pour être impérativement deux à signer les bons de commande au-delà de 5 000 euros. Ce n’est pas son mari qui a rechigné, lui qui est prêt à gérer la maison et les enfants lorsqu’elle, part à l’étranger pour ses engagements syndicaux. Un profil de conjoint qui n’est plus une exception, surtout chez les plus jeunes. Certes, il faudra plusieurs générations pour changer les mentalités mais la révolution est en marche. « Dans les syndicats, les coopératives ou les chambres d’agriculture, les femmes ne sont pas encore présentes aux postes les plus élevés, poursuit Roger Le Guen. Elles ne sont pas encore considérées comme pouvant représenter des hommes. Dans les modes de représentation, les changements sont lents. Mais dans la vie quotidienne, certains signes ne trompent pas. Les hommes agriculteurs, par exemple, ont pris en charge les enfants, plus qu’ailleurs. Ils sont davantage à la maison. Il m’arrive, quand je prends des rendez-vous avec eux, qu’ils me répondent : ‘pas maintenant, je suis avec les enfants…’ Les rôles domestiques ont changé, ce qui influe toujours sur les relations au travail. » N’en déplaise à certains, les « nouveaux paysans » existent, prêts à revisiter les rôles traditionnels, aux côtés de femmes qui entendent bien savourer leur nouveau statut.
« Il y a encore des idées peu progressistes qui circulent, remarque Claire, mais c’est seulement qu’elles sont plus facilement identifiables et identifiées. Nos mères et nos grand-mères ont fait tout le travail, nous n’avons plus qu’à profiter. Non, nous n’avons pas plus de choses à prouver que les hommes, même si c’est le sentiment qu’on peut avoir. Et c’est à nous de défendre, pour les générations futures, ce statut que nos mères n’ont jamais eu. »