Vers une reconnaissance des lanceurs d’alerte en Europe
Est qualifiée de lanceur d’alerte, « toute personne révélant des informations portant atteinte à l’intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, dans le secteur public ou privé ». Cette conception extensive a été retenue en 2014 par le Conseil de l’Europe, mais pour autant, il n’existe pas encore de protection harmonisée des lanceurs d’alerte au sein de l’Union européenne. Or, force est de reconnaître leur efficacité dans de nombreux domaines, tels que l’environnement ou la protection des consommateurs. Ainsi, à l’occasion des récents scandales qui ont affecté le secteur alimentaire, comme celui de la viande de cheval, les risques pour la santé humaine ont été révélés grâce aux dénonciations faites par des lanceurs d’alerte. C’est pourquoi le Parlement européen a manifesté à de nombreuses reprises son intérêt pour la reconnaissance d’une protection européenne des lanceurs d’alerte (1), en vain.
Une timide intervention de la Commission européenne
La Commission européenne a, jusqu’à présent, semblé vouloir rester à l’écart de toute action relative à la protection des lanceurs d’alerte, laissant ce soin aux États membres. Or, les mécanismes nationaux sont soit inexistants, soit à ce point divergents qu’ils en sont inefficaces, voire perturbateurs au regard du fonctionnement d’un marché unique. La France (2) ou l’Irlande (3) ont adopté des législations tendant à mettre en place un régime juridique commun.
Quelques initiatives européennes ont été prises récemment, notamment la directive du 8 juin 2016 (4) qui exclut les lanceurs d’alerte de sanction en cas de violation du secret des affaires. La Commission européenne a également mis en place une plateforme permettant de dénoncer les pratiques anticoncurrentielles des entreprises. Mais l’idée d’une intervention sectorielle n’est manifestement pas suffisante, c’est pourquoi la commission de l’Environnement, de la Santé publique et de la Sécurité alimentaire insiste sur le fait que la protection du lanceur d’alerte ne devrait pas être restrictive ni à portée limitée.
Ainsi, des normes telles que celles régissant le secret des affaires devraient être révisées en considération de l’importance du rôle des lanceurs d’alerte, et la définition légale devrait être suffisamment large pour préserver le droit à la liberté d’expression et d’information.
Vers l’adoption d’un cadre législatif général
La Commission européenne est désormais officiellement invitée à présenter, avant la fin de l’année, une proposition législative. Pour le Parlement, il est en effet urgent que des normes minimales et communes soient établies afin d’offrir aux lanceurs d’alerte une protection juridique complète et équivalente dans chaque État membre, sous réserve qu’ils aient agi de bonne foi et uniquement dans l’intérêt public général. En outre, la création d’une procédure claire permettrait de recueillir les signalements et d’orienter les personnes dans leur démarche.
Mais la commission de l’Environnement, de la Santé publique et de la Sécurité alimentaire souligne également le rôle important des États dans cette démarche. Ainsi, la détermination de critères et d’indicateurs sur les politiques relatives aux lanceurs d’alerte dans le secteur public et privé, mais également l’organisation d’un système d’alerte interne au sein des entreprises, reposeraient davantage, selon elle, sur une coopération étatique. La sensibilité du sujet laisse à penser que la Commission aura du mal à satisfaire aux exigences du Parlement dans un délai aussi court.
Mais en toute hypothèse, les termes du débat sont désormais clairement posés.
(1) Les eurodéputés avaient adopté le 14 février 2017 une résolution sur le rôle des lanceurs d’alerte dans la protection des intérêts financiers de l’Union européenne.
(2) Loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II.
(3) Protected Disclosure Act du 8 juillet 2014.
(4) Directive (UE) 2016/943.
LE CABINET KELLER & HECKMAN
Keller & Heckman est un cabinet international de droits des affaires, spécialisé en droits agroalimentaires, matériaux en contact alimentaires, environnement et publicité, présent à Bruxelles, Paris, San Francisco, Shanghai et Washington. Katia Merten-Lentz est avocate associée au sein du cabinet Keller & Heckman. Elle est chargée de toutes les questions agroalimentaires, européennes et nationales, et ce, pour toutes les filières de la chaîne alimentaire. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux, auprès des industries de l’agroalimentaire pour la mise en œuvre de la réglementation agricole et alimentaire de l’Union européenne.