Pourquoi les gains de productivité de l’agriculture française ne profitent pas aux agriculteurs
Une récente étude montre que depuis 1959 les producteurs sont les principaux perdants de la répartition des gains de productivité de l’agriculture.
Une récente étude montre que depuis 1959 les producteurs sont les principaux perdants de la répartition des gains de productivité de l’agriculture.
Une étude réalisée par Jean-Philippe Boussemart, professeur émérite à l’université de Lille, membre du LEM (Lille Économie Mangement), membre correspondant de l’Académie d’Agriculture de France, professeur d’économie, IÉSEG School of Management et deux de ses collègues, éclaire sur les raisons de la colère des agriculteurs.
Expliquée sur le site The Conversation cette étude s’appuie sur des données de l’Insee sur l’agriculture française de 1959 à 2022.
Les producteurs, principaux perdants de la répartition des gains de productivité de l'agriculture depuis 1959 https://t.co/EPoMbQE6pr pic.twitter.com/U1sbPDmA7U
— The Conversation France (@FR_Conversation) February 6, 2024
Seule une petite partie de la valeur créée a été captée par les agriculteurs lors des dernières décennies
Les auteurs de l’étude ont constaté une croissance moyenne annuelle de 1,26 % des gains de productivité dans l’agriculture française. « Cette tendance a connu une accélération notable entre 1959 et 2009 (1,45 %), avant de ralentir sensiblement (0,22 %) » soulignent-ils. Ces gains de productivité ont participé pour 70 % à la création de valeur du secteur. Toutefois « la valeur créée n’est pas uniformément répartie entre les parties prenantes » fait remarquer Jean-Philippe Broussard qui ajoute que les clients se trouvent en tête des bénéficiaires, captant 51 % de la valeur créée, suivis par les agriculteurs à hauteur de 39 %.
Les salariés et les fournisseurs d’équipement récoltent une part moindre, respectivement 8 % et 2 %.
« Le partage de la valeur créée dans le secteur agricole français est fortement influencé par une baisse soutenue des prix réels à la production. De 1959 à 2009, cette baisse a atteint un rythme annuel moyen impressionnant de -3,3 % », commente Jean-Philippe Boussemart. Cette diminution n’a été qu’en partie répercutée sur les consommateurs. « Durant la même période, les prix des produits agricoles et alimentaires vendus aux consommateurs finaux n’ont baissé qu’à un rythme annuel moyen de - 0,4 % » note l’auteur.
« Les exploitants agricoles ne profitent pas pleinement des avantages de leur labeur »
Depuis 2009, une inversion de cette tendance a été observée pour les prix à la production agricole, avec une augmentation moyenne de 1,1 % par an et une hausse de 11 % en 2021 et 2022. Cela a permis aux agriculteurs de retrouver des niveaux de prix similaires à ceux du début des années 1990 mais loin de celui du début de la période d'étude. Jean-Philippe Boussemart observe que si « des dynamiques spécifiques » existent pour les différentes activités agricoles, « malgré des avancées significatives en termes de productivité, les exploitants agricoles ne profitent pas pleinement des avantages de leur labeur ».
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Des agriculteurs confrontés à des « fluctuations conjoncturelles aiguës »
Si les agriculteurs travaillant dans des exploitations familiales connaissent une croissance annuelle moyenne de 1,55 % de leur revenu réel (1,54 % pour l’ensemble des salariés français), ils sont toutefois confrontés à « des fluctuations conjoncturelles aiguës » notamment dues aux conditions climatiques et à l’instabilité des marchés entraînant « une évolution très irrégulière de leur revenu », ce qui influe sur leur pouvoir d’achat.
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« Depuis 1960, la productivité du travail dans le secteur agricole a connu une augmentation exponentielle impressionnante de 4,15 % par an, surpassant nettement la croissance de 1,8 % enregistrée pour l’économie française dans son ensemble » fait remarquer l’auteur de l’article. Selon lui, ces taux de croissance impliquent que la valeur ajoutée par actif agricole a plus que doublé en moins de 18 ans. L’efficacité dans le secteur agricole a progressé plus rapidement par rapport à l’ensemble de l’économie.
Les consommateurs ont un rôle à jouer
« Il est impératif de repenser la structure du secteur pour garantir une distribution plus juste des gains de productivité, particulièrement entre les exploitants agricoles et leurs clients principaux, à savoir l’industrie agroalimentaire et la grande distribution qui n’ont pas significativement répercuté ces avantages par des baisses de prix aux consommateurs » estime Jean-Philippe Boussemart.
Selon lui, les consommateurs ont aussi un rôle à jouer en acceptant de « payer un prix juste pour des produits alimentaires de qualité et respectueux de l’environnement ». Et de conclure que « ce constat appelle à une transformation significative des dynamiques de négociation au sein de la filière agroalimentaire, pour veiller à un avenir plus juste et soutenable pour les agriculteurs, qui sont au cœur de notre système alimentaire ».