Paul Sugy : « prenez le sujet de l’antispécisme au sérieux, on n’a pas fini d’en entendre parler »
Ancien élève de l’Ecole normale supérieure et diplômé de Sciences Po Paris, aujourd'hui journaliste au Figaro Paul Sugy démonte, dans L’extinction de l’homme, les ressorts d’une dérive inquiétante des mouvements vegans : l’antispécisme (1). Ses thèses qui remettent en cause ce qui spécifie la vie humaine gagnent le monde universitaire français, alerte-t-il. Entretien.
Ancien élève de l’Ecole normale supérieure et diplômé de Sciences Po Paris, aujourd'hui journaliste au Figaro Paul Sugy démonte, dans L’extinction de l’homme, les ressorts d’une dérive inquiétante des mouvements vegans : l’antispécisme (1). Ses thèses qui remettent en cause ce qui spécifie la vie humaine gagnent le monde universitaire français, alerte-t-il. Entretien.
Pourquoi avoir consacré votre premier livre à l’antispécisme ?
Paul Sugy : En fait, j’ai pris pendant plusieurs années ce sujet de la protection animale à la légère et je m’en suis mordu les doigts quand j’ai vu son ampleur à l’université, à l’ENS. Dans des cercles où l’on retrouve les personnes qui vont construire le monde de demain, il y a un intérêt énorme pour l’antispécisme, avec une pensée très aboutie. Son projet : mettre fin à l’exploitation animale et remettre en cause ce qui spécifie la vie humaine. En 2015, à l’ENS je me rappelle d’un cours de Dominique Lestel sur la frontière de l’humain, il y avait une vraie effervescence autour de cette question.
Vous parlez de votre entrée à l’ENS et de la prise de conscience de l’émergence de cette pensée dans le milieu universitaire, une expérience personnelle qui a valeur scientifique selon vous ? Vous évoquez aussi l’intérêt de L214 pour les écoles, en quoi est-ce inquiétant selon vous ?
Ce sont deux choses tout à fait différentes. La pensée antispéciste est très forte dans certains champs universitaires, et en premier lieu la philosophie. Le philosophe Jacques Derrida est une véritable idole des universitaires. L’effort de déconstruction des pensées traditionnelles et aussi important dans les champs juridiques où les étudiants se passionnent pour l’évolution du droit des animaux. Un sujet qui revient souvent dans les thèmes de concours et les séminaires de recherche autour de Jean-Pierre Marguénaud. C’est une pensée aussi présente dans les domaines de la biologie et de l’écologie où beaucoup de chercheurs se servent de leurs travaux pour alimenter les thèses antispécistes.
Les activistes antispécistes sont passés au stade supérieur : on n’est plus dans la réflexion, on en est au stade de la politique
Quant à la question de L214 dans les écoles, cela montre que les activistes antispécistes sont passés au stade supérieur : on n’est plus dans la réflexion, on en est au stade de la politique. On a vu la création d’association et de groupes militantes et même d’un parti politique, qui reprend les thèses du livre Zoopolis. Quand L214 investit de manière insidieuse l’école avec le thème de la protection animale, nous sommes dans cet ordre-là. Le projet est de convaincre les enfants qu’on n’a pas le droit de manger des animaux.
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Avant d’écrire ce livre en quoi ce phénomène vous inquiétait-il ?
Au début cela ne m’inquiétait pas spécialement, cela m’agaçait juste un peu. On a tous un petit neveu qui nous fait la morale quand on mange de la dinde aux marrons à Noël. Là où ça m’a inquiété, c’est quand j’ai commencé à m’intéresser au succès des études de genre. Je me suis dit qu’on avait 30 ans de retard sur le sujet. On a laissé se développer des théories à l’université et quand elles sont devenues des débats de société, c’était trop tard. Je me suis dit que la prochaine offensive de destruction de la civilisation se nicherait dans l’antispécisme. La spiritualité n’a vraiment pas la cote, tout ce qui humanise l’existence humaine a été attaqué. Ce sont des projets nihilistes.
Vous écrivez dès la page 27 que « l’antispécisme est cette météorite, et s’il n’est pas freiné ou dévié de sa trajectoire, nous ne pouvons même pas imaginer tous les effets dont il est capable », c’est la mission que vous vous fixez avec ce livre ? Prévenir le plus grand nombre des dégâts potentiels de ce courant de pensée ?
Ma première mission est de dire aux gens : « prenez ce sujet au sérieux, on n’a pas fini d’en entendre parler », c’est un sujet extrêmement à la mode. Les vegan ça fait ricaner, comme ce sketch du Palmashow qui m’avait fait mourir de rire. Ce sujet fait sourire mais ce n’est pas une blague. On parle sérieusement d’une citoyenneté des animaux, il faudra leur donner des représentants, des délégués, il faudra réfléchir à la scolarisation des animaux domestiques… Les antispécistes sont sérieux sur ces sujets. Dans l’ouvrage j’essaie aussi d’apporter des réponses pour argumenter face à leurs différentes théories.
L’antispécisme a profité des excès d’une forme d’industrialisation de l’élevage
Vous rappelez qu’à l’époque des Lumières la cause animale a fait beaucoup de progrès, pourquoi la mouvance antispéciste ne s’inscrit pas, selon vous, dans cette veine ?
Si, il y a une continuité. Il y a une histoire du végétarisme, qui passe notamment par les Lumières. Voltaire était inspiré par le végétarisme brahmanique. Cette tendance d’exotiser le mouvement on la retrouve aujourd’hui chez Mathieu Ricard. C’est une histoire sur le temps long. Mais aujourd’hui on assiste à la radicalisation de ce projet-là. Un nouveau pas a été franchi.
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Le mouvement végétarien a toujours utilisé la cause animale comme un moyen de s’opposer à l’ordre établi. Les antispécistes sont par exemple très critiques à l’égard des religions. Selon eux la religion légitimise la domination de l’homme avec dans le viseur l’idée que l’homme serait créé à l’image de dieux. Et puis l’antispécisme a profité des excès d’une forme d’industrialisation de l’élevage. Enfin, en perdant le lien avec le monde sauvage, l’homme a changé son regard sur l’animal, il est plus empathique. Je me demande même si nos sociétés ne prennent pas une pente de plus en plus misanthropique.
Dans une société fragmentée, l’animal fait office de valeur refuge
Il n’y a qu’à voir la faculté avec laquelle certaines personnes ont pu s’isoler pendant plusieurs mois durant la Covid-19. On entend souvent des gens dirent « oh la la, les gens me gonflent mais mon chat je l’aime bien ! ». Dans une société fragmentée, l’animal fait office de valeur refuge. Et les politiques l’ont bien compris.
Il s’agit d’un mouvement plutôt urbain, voire périurbain qui s’associe souvent à d’autres luttes, analysez-vous..
Des analyses sociologiques montrent que ceux qui rentrent dans l’antispécisme ont milité avant pour d’autres causes. Souvent le féminisme. D’ailleurs Peter Singer a calqué la notion d’antispécisme sur l’antiracisme et le féminisme. Il y a une idée de convergence des luttes, l’impression de prolonger le combat progressiste de libération. Ce qui pose des questions : le mouvement n’est-il pas d’abord du ressort psychologique, avec la volonté d’être une sorte de justicier ?
Vous démontez le discours de certains antispécistes, dont Solveig Halloin qui s’est récemment illustrée dans Touche pas à mon poste avec l’instrumentalisation de la shoah. Ces discours extrêmes peuvent-ils avoir une portée importante aussi fous qu’ils apparaissent ?
Elle n’a pas beaucoup servi la cause animale. Mais attention, si hystérique qu’elle est, le discours qu’elle porte est très répandu. Elle fait notamment référence à l’ouvrage Un éternel Tréblinka qui fait le parallèle entre la Shoah et l’élevage, l’abattage et la consommation d’animaux. Certes ce sont les mêmes méthodes qui ont été employées mais on voit vite l’indécence de cet argument qui montre bien la radicalité de leur engagement. Les antispécistes ont l’impression de lutter contre Hitler. Et du coup tout est permis. Si vous êtes résistant contre le nazisme, personne ne vous reprochera de prendre les armes !
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Votre propos est de dire que les antispécistes déconstruisent la notion d’humanité, en méprisant l’homme et aspirent à terme au chaos, c’est pousser le raisonnement un peu loin, non ?
Ils ne veulent pas exterminer l’humanité, le titre de mon livre est à lire de manière métaphorique. Le cœur du sujet c’est que dans leur projet la notion d’humanité n’a pas d’existence réelle, il n’y a pas de propre de l’homme. Pour eux la vie spirituelle, morale, ne justifie pas de mettre l’humanité à part de la nature. Ils donnent à la souffrance une place indue. Cela me gêne beaucoup. La souffrance est inévitable. Ce qui nous rend humain c’est d’habiter cette souffrance. Le projet de régénération de l’humanité ne passe que par une surenchère technologique qui est antiécologique. Cela se voit déjà dans leur alimentation qui n’est possible que grâce à la complémentation en vitamine B12 produite par Big Pharma de même qu’avec le développement de la viande cellulaire sur lequel travaillent de nombreuses start-up. Thomas Lepeltier dit que la prédation dans le monde animal est problématique, il propose par exemple de modifier le génome des lions…
De la science-fiction ? Je n’en suis pas tout à fait sûr !
A la fin vous décrivez le monde comme le souhaiteraient les antispécistes avec des animaux allant à l’école, des villages laissés aux animaux sauvages ou encore des prédateurs nourris aux steaks de soja ou tout simplement éliminés, un scénario digne d’un film de science-fiction et peu crédible, pourquoi pousser la démonstration des dangers de l’antispécisme aussi loin ?
De la science-fiction ? Je n’en suis pas tout à fait sûr ! Ces débats sont déjà bien présents. Comme lors d’un récent conseil municipal à Strasbourg où la question de la violence de la dératisation a été soulevée, avec la proposition de créer des habitats alternatifs. La question des logements sociaux pour les rats est ainsi déjà d’actualité ! Ces excès peuvent révéler l’inconséquence de cette pensée.
(1) Antispécisme/spécisme : pour les militants de la cause animale, le spécisme est une discrimination fondée sur l’appartenance d’un individu à une espèce. Logiquement, l’antispécisme correspond au refus de cette « discrimination ». Pour un antispéciste, il est par exemple discriminatoire d’accorder plus de droits à un être humain qu’à un animal au seul motif que c’est un humain. Source : « L’extinction de l’homme ».
L’extinction de l’homme – le projet fou des antispécistes, de Paul Sugy, édition Tallandier, 17,50 euros