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Derrière le véganisme, l’idéologie antispéciste

Les antispécistes refusent d’établir une distinction entre espèces. Ils remettent donc en question 15 000 ans de domestication animale. Une idéologie qui anime les animalistes abolitionnistes.

Une des récentes manifestations de L214. © P. Le Douarin
Une des récentes manifestations de L214.
© P. Le Douarin

À l’origine de l’animalisme radical, il y a une idéologie : l’antispécisme. Ce courant intellectuel, né dans les années 1970 dans les pays anglo-saxons, est porté en France depuis près de trente ans par la revue Cahiers antispécistes, en libre accès sur le web. Les fondateurs de L214 sont tous passés par cette organisation. Brigitte Gothière, porte-parole de l’association, est toujours rédactrice. Selon les Cahiers antispécistes, « le spécisme est l’idéologie qui justifie et impose l’exploitation et l’utilisation des animaux par les humains de manière qui ne serait pas acceptée si les victimes étaient humaines ». Les antispécistes « refusent d’établir une quelconque distinction entre les espèces, et donc entre les humains et les animaux - distinction qu’ils assimilent au spécisme -, au nom d’une lutte contre les discriminations et l’oppression des espèces animales non humaines », décrypte Eddy Fougier dans son étude pour la Fondapol. Ils mettent la lutte contre l’exploitation animale au même rang que la lutte contre l’esclavage, le racisme, le sexisme…. Pas question donc de monter sur le dos d’un cheval car ce serait le dominer. Ni d’utiliser des chiens pour guider des aveugles car ce serait les exploiter. Pour eux, l’espèce n’est pas un critère pour déterminer comment traiter un animal. Derrière les humains ou les animaux, ils ne voient que des individus « sentients », c’est-à-dire dotés de la capacité à ressentir la souffrance physique ou psychique. Pour les distinguer toutefois, ils parlent « d’animaux humains » et « d’animaux non humains ». Pour désigner la viande, ils parlent de chair animale.

Transformer la planète en paradis terrestre

La frange la plus extrémiste de ce courant (RWAS pour Reducing wild-animal suffering/réduire les souffrances des animaux sauvages) considère que la souffrance des animaux sauvages dans la nature justifierait leur élimination, leur stérilisation ou leur reprogrammation par la science pour transformer par exemple les méchants animaux carnivores en gentils végétariens. Et, en attendant cette prouesse — transformer la planète en une sorte de paradis terrestre d’où serait éliminée toute souffrance —, il faudrait distribuer des aliments végans aux prédateurs sauvages pour les dissuader de chasser. Bref, que le lion mange la gazelle ou le chat croque la souris est à leurs yeux intolérable. Extravagances d’hurluberlus ? Que nenni ! Des philosophes et universitaires renommés dissertent à longueur de pages et de sites web sur ce courant de pensée. Les Cahiers antispécistes y ont consacré leurs deux derniers numéros.

Des figures de l’antispécisme au cœur des grands médias

Cette pensée, qui s’élabore en vase clos et ne laisse pas de place au doute, imprègne la société civile parce qu’elle anime l’action des animalistes abolitionnistes tels que L214. Des personnalités médiatiques portent cette parole. Aymeric Caron, l’une des figures de l’antispécisme en France, affirme dans l’un de ses derniers livres : « nous nous réfugions derrière un pseudo-statut d’espèce supérieure pour justifier les tueries de masse quotidienne dont nous sommes les auteurs ». Pendant trois ans (2012-2015), il a eu tribune ouverte dans l’émission de France 2 On n’est pas couché, rappelle Eddy Fougier : « il utilisera cette plateforme exceptionnelle pour diffuser ses idées auprès d’un large public ». Le journaliste Franz-Olivier Giesbert est l’auteur d’un livre L’animal est une personne duquel il a tiré un film diffusé en 2015 sur France 3. Cette idéologie jusqu’au-boutiste n’hésite parfois pas à comprendre voire justifier l’action violente. « Je ne cautionne pas la violence, évidemment, ni la stigmatisation des bouchers. Je reconnais la démocratie, l’action politique. Mais, je peux parfois comprendre l’action directe », affirmait non sans ambiguïté Catherine Hélayel, ancienne avocate, membre du Parti animaliste, dans le journal l’Opinion (5 juillet 2018). Jusqu’à remettre en cause le choix de tout un chacun de manger ou pas de la viande : « Dans 'choix personnel', le mot 'choix' me dérange », disait-elle.

L’antispécisme enseigné à l’université de Rennes 2

Une formation Animaux et Société, qui « vise à mettre en lumière les rapports que nous entretenons avec les autres animaux », démarrera à la rentrée prochaine à l’université Rennes 2. Parmi les intervenants, des représentants d’associations antispécistes comme L214 et les Cahiers antispécistes.

« Les germes d’un nouvel obscurantisme »

Des intellectuels et scientifiques s’élèvent contre l’idéologie intransigeante de l’antispécisme, qui voudrait tirer un trait sur plus de dix mille ans de domestication animale.

« L’idéologie animaliste produit les germes d’un nouvel obscurantisme », s’insurge Jean-Pierre Digard, anthropologue spécialiste de la domestication animale, dans son dernier livre L’animalisme est un antihumanisme (Éditions CNRS). Il dénonce les « mensonges de l’animalisme » quand ce mouvement fait « passer les éleveurs pour des bourreaux d’animaux », en généralisant des faits isolés, ou quand il prétend que la domestication, commencée il y a dix à quinze mille ans selon les espèces, est une action violente exercée sur des animaux par l’homme. « Si la domestication a pu être réalisée, c’est que les animaux concernés y ont, en quelque sorte, consenti et même participé, développe-t-il. […] En échange de leur liberté, ils s’assuraient nourriture régulière et protection contre les prédateurs. » Les animalistes ignorent tout de la réalité des animaux et ne les aiment pas, dit-il. Sinon, ils ne réclameraient pas la « libération » des milliards d’animaux domestiques qui vivent depuis si longtemps en symbiose avec l’homme.

Le philosophe Thierry Hoquet s’étrangle devant la volonté du projet végan de « réformer la nature humaine ». « Au-delà de la dénonciation de la mort des bêtes, c’est le repas comme manière de faire société qui devient un crime : c’est la gourmandise, le plaisir gustatif et la nourriture même qui deviennent associés à un lancinant sentiment de culpabilité », dit-il (Libération du 18 avril 2018).

 

 

Les citoyens ne connaissent plus que l’animal de compagnie

Pour l’anthropologue, si la société est devenue si réceptive à cette remise en cause de l’utilisation des animaux pour les besoins humains, cela est dû au fait que beaucoup de citoyens sont définitivement coupés de leurs racines paysannes et de la culture animalière correspondante. Ils ne connaissent plus que l’animal de compagnie. Ce qui les amène à « voir dans les animaux des individus, voire des personnes, là où nos ancêtres voyaient des collectivités, populations sauvages ou troupeaux domestiques. » « Le réalisme impose au contraire de reconnaître la nature omnivore de l’espèce humaine, de même que sa légitimité à posséder, élever et à utiliser des animaux, y compris pour son plaisir, pourvu qu’on le fasse en les respectant », plaidait-il dans une interview (Le Figaro du 25 septembre 2018). Jocelyne Porcher, sociologue à l’Inra, fustigeait quelques jours plus tard (2 novembre 2018) dans le même quotidien la volonté du véganisme « d’exclure les animaux de tous les pans de notre vie ». Et de prévenir : « ouvrons les yeux. Le véganisme est le pire et le plus stupide projet qui soit concernant les animaux domestiques et le pire et le plus triste projet pour tous ceux qui aiment les animaux et ne conçoivent pas leur vie sans eux. »

« Pourquoi les végans ont tout faux ! »

« Idiots utiles du capitalisme productiviste » « Talibans de la pensée végane » « Tartuffes de l’écologie »… Le politologue et essayiste Paul Ariès est depuis vingt ans un des plus virulents pourfendeurs du mouvement végan. Dans son dernier livre Lettre ouverte aux mangeurs de viandes qui souhaitent le rester sans culpabiliser (Éditions Larousse), il n’a pas de mots assez durs pour fustiger « l’idéologie mortifère » qui sous-tend le véganisme et pour expliquer « pourquoi les végans ont tout faux ! » Comme Jean-Pierre Digard, il les accuse de n’avoir rien compris à l’élevage et à la domestication. De mentir sciemment au grand public sur leur véritable projet abolitionniste. D’être des anti-écolos car ils vomissent la nature parce qu’elle serait intrinsèquement violente donc mauvaise. De vouloir modifier génétiquement les espèces animales y compris les humains et de faire ainsi le jeu des transhumanistes de la Silicon Valley qui rêvent d’améliorer les capacités physiques et mentales des hommes par les biotechnologies. De vouloir faire des animaux domestiques des citoyens à part entière dotés de représentants. D’être les faux nez des biotechnologies alimentaires et des lobbies financiers et contribuer ainsi à notre dépendance alimentaire. Bref, de nous préparer un « monde terrifiant ». Paul Ariès perçoit dans la conversion au véganisme un retour de la religiosité, dans une société en panne de surnaturel et d’utopies prometteuses, qui « aboutit très vite à des logiques sectaires, car les libérateurs animaux se sont donnés une mission bien trop grande pour eux… supprimer toute souffrance au sein du monde sentient, reformater la planète… Ce trop grand écart entre le réel et ce qui est possible est nécessairement pathogène. » « La logique végane est celle du soupçon, de l’accusation, de l’anathème, de la persécution », assène-t-il. Très critique également envers l’élevage industriel, le politologue milite pour le respect des animaux et des éleveurs. S’il respecte le choix des consommateurs qui ne mangent pas de viande, il ne fait pas de quartier sur la minorité qui prétend imposer par tous les moyens sa loi à la majorité. Une voix salutaire dans un contexte médiatique si hostile à la viande et si ouvert aux thèses véganes.

 

 

Lire aussi :

 

La face cachée du véganisme

 

Le lobby de la viande artificielle en embuscade

 

Bruno Dufayet, président de la FNB et de la commission Enjeux sociétaux d’Interbev : « Nous nous focalisons sur les consommateurs de viande »

 

Brigitte Gothière, porte-parole de L214 : « Sortir d’un système meurtrier pour les animaux »

 

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