Aller au contenu principal

Décarbonation : il faudrait supprimer 600 000 ha de céréales au profit des légumineuses et du tournesol pour atteindre les objectifs gouvernementaux

La feuille de route décarbonation de la filière grandes cultures, telle qu’élaborée par les instituts techniques Arvalis et Terres Inovia en collaboration avec les interprofessions Intercéréales et Terres Univia, préconise le recul de la sole française de céréales de 600 000 ha au profit notamment des protéagineux.

Parcelle de pois d'hiver photographiée en janvier
Intercéréales et Terres Univia ont présenté leur feuille de route décarbonation pour les filières grandes cultures.
© H. Challier

« À horizon 2030, pour atteindre les objectifs de décarbonation de la filière grandes cultures, l’assolement idéal devra connaître une baisse de 600 000 ha en céréales, au profit notamment des protéagineux à hauteur de 300 000 ha », a déclaré Anthony Uijttewaal, chef du service Agronomie-Économie-Environnement chez Arvalis, lors d’une conférence aux dernières Journées techniques de l’industrie céréalière (JTIC). Les interprofessions céréalière et oléoprotéagineuse se sont en effet mises d’accord sur une feuille de route pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone, à la demande du gouvernement. Les préconisations de l’institut technique comprennent également une progression de la sole d’oléagineux, notamment en tournesol, qui nécessite moins d’engrais carbonés, une hausse de la superficie semée en pomme de terre et lin fibre, et un recul des surfaces en maïs fourrage et en jachères, pour une hypothèse de déclin du total de la surface agricole utile (SAU) sous l’effet de l’artificialisation des sols et de la déprise agricole.

« À horizon 2030, l’assolement idéal devra connaître une baisse de 600 000 ha en céréales, au profit notamment des protéagineux à hauteur de 300 000 ha » Anthony Uijttewaal, chef du service Agronomie-Économie-Environnement chez Arvalis.

La culture des protéagineux rejette moins de gaz à effet de serre

Dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone, la filière grandes cultures française « vise une réduction de 20 % des émissions de l’amont agricole par rapport à 2015 d’ici 2030, et de 24 % de celles de l’aval par rapport à 2021 », a déclaré Christoph Büren, référent carbone aval pour Intercéréales. 

« Un hectare d’oléagineux émet trois fois plus de gaz à effet de serre qu’un hectare de légumineuses », selon Terre Univia.

Dans ce contexte, un des leviers mobilisés par la feuille de route des filières consiste en la promotion de la culture de légumineuses (soja y compris), pour leur capacité à fixer l’azote dans le sol et ainsi réduire les apports d’engrais azotés. En effet, selon Benjamin Lammert, président de Terres Univia, « un hectare d’oléagineux émet trois fois plus de gaz à effet de serre qu’un hectare de légumineuses ».

Lire aussi : Moisson 2024 : plus de la moitié des surfaces de pois d'hiver français non récoltables dans la grande région Nord, alerte la FOP

Les légumineuses, un atout pour des filières agro-écologiques

Cultivées en tête de rotation, les légumineuses permettent d’augmenter les rendements (« +7 q/ha en moyenne pour le blé cultivé après un pois au lieu d’une céréale », d’après Intercéréales et Terres Univia) et de réduire la fertilisation en engrais azotés (« -33 kgN/ha pour le blé et le maïs suivant, -40 kgN /ha pour le colza », toujours selon Intercéréales et Terres Univia). 

Mais ce n’est pas leur seul atout. Pour Yohann Vrain, cofondateur de ReSoil, qui met en relation agriculteurs désireux d’améliorer leurs pratiques et entreprises prêtes à financer la décarbonation, les légumineuses sont aussi un allié précieux dans des systèmes en semis simplifié. « Pour désherber du vulpin et du ray-gras, quand on arrête le labour, la diversification de l’assolement permet de lutter contre le salissement des sols », déclare-t-il. 

Lire aussi : Décarbonation : quels leviers pour réduire les émissions en céréales et oléoprotéagineux ?

Quelle faisabilité pour l’augmentation des surfaces en protéagineux ?

Selon Yohann Vrain, une telle évolution de la sole serait « envisageable d’une année à l’autre, mais la question de la rentabilité de la culture se pose ». Dans le cadre du développement de l’autonomie protéique pour l’alimentation animale, la culture des légumineuses serait bien sûr intéressante, d’autant plus que 70 % de la production de protéagineux sont dédiés à l’alimentation animale, rappelle l’agronome. Mais la décapitalisation des cheptels en cours en France risque de moins tirer la demande en protéagineux. 

« La question de la rentabilité de la culture se pose », selon Yohann Vrain de ReSoil.

De telles cultures protéiques peuvent présenter un certain potentiel économique : « Cette année, la féverole fait partie des meilleures marges dans le Poitou-Charentes, et la diversification permet effectivement une meilleure répartition du risque les années exceptionnelles », signale le co-fondateur de ReSoil. Pour Christoph Büren, « le manque de moyens de production autorisés en France par rapport à ce qui existe dans le monde reste un problème pour le développement du pois et de la féverole ».

Lire aussi : Un nouveau plan en faveur des oléoprotéagineux lancé par Terres Univia

Le nécessaire développement de débouchés en légumineuses

La question des débouchés des protéagineux est cruciale, alors que Christoph Büren a rappelé la délocalisation des usines de pois protéagineux au Canada. Pour Benjamin Lammert, président de Terres Univia, la relance de la culture de légumineuses passera par « une meilleure valorisation avec le développement de débouchés et de filières pour ces produits ». 

Cette vision est partagée par Yohann Vrain : « Pour que ce soit structurant, il faudrait une vraie politique de promotion des protéagineux en consommation animale et humaine, qui favorise la production française plutôt que l’importation ». L’agronome relève également que la féverole est appréciée des agriculteurs en polyculture-élevage qui fabriquent de l’aliment à la ferme. La multiplication des signes de qualité en protéagineux (Lentille verte du Puy, Coco de Paimpol, haricot tarbais, haricot de Castelnaudary…) pourrait aussi stimuler la production. 

« Il faudrait une vraie politique de promotion des protéagineux en consommation animale et humaine, qui favorise la production française plutôt que l’importation », indique Yohann Vrain de ReSoil.

Le président de Terres Univia se montre plus circonspect et se dit même « très inquiet » face au désengagement de l’État du plan protéines. « Celui-ci a encouragé le positionnement sur des secteurs de qualité, normalement résistants à l’inflation, mais la consommation a tout de même reculé », s’alarme-t-il.

Un financement des légumineuses par les acheteurs engagés dans la transition ?

Le développement de filières rémunératrices ne suffira cependant pas à soutenir une telle hausse des surfaces. Selon Yohann Vrain, « les agriculteurs produisent des protéagineux pour leurs avantages agronomiques, mais ce ne sont pas des cultures à forte rentabilité à quelques exceptions près ». Pour l’interprofession céréalière, c’est l’ensemble des acteurs qui devrait s’organiser. « À qui attribuer les efforts concédés sur l’ensemble de la ferme ? Est-ce que l’acheteur de légumineuses doit contribuer seul ou tous les acheteurs doivent-ils s’engager ? », soulève Christoph Büren. Le paiement pour services écosystémiques pourrait être une solution, selon lui. 

Le développement de filières rémunératrices ne suffira cependant pas à soutenir une hausse des surfaces protéagineuses.

Savine Oustrain, directrice Recherche et innovation agriculture chez Vivescia, souligne quant à elle l’importance des coalitions entre acheteurs que permet le programme Transitions de Vivescia, qui regroupe agriculteurs et industriels engagés dans la production bas carbone. « Le programme Transitions réunit une coalition d’acheteurs qui s’engagent sur trois ans à acheter des graines décarbonées moyennant une prime », explique-t-elle. Pour Benjamin Lammert, président de Terres Univia, cela permet à l’ensemble de la coalition d’industriels de profiter de la décarbonation de chaque exploitation concernée. 

Lire aussi : Vivescia veut réduire son empreinte carbone de 25 % d’ici 2030

Le marché s’oriente de plus en plus vers un mode de valorisation qui fait appel à des coalitions entre acheteurs.

Ce modèle est salué par certains industriels, comme les Brasseries Kronenbourg. Selon Franck Charnay, leur directeur RSE, le modèle de coalitions permet d’optimiser le travail de chacun et le marché s’oriente de plus en plus vers ce mode de valorisation, plutôt que vers les initiatives individuelles, de gré à gré, qui laissent moins d’opportunité pour le développement des surfaces de protéagineux, faute de débouchés. « La transformation des protéagineux ne fait pas partie de notre métier. Nous ne rémunérons pas spécifiquement l’introduction de protéagineux dans la rotation pour notre filière d’orge brassicole responsable tracée » signale-t-il.

Lire aussi : Décarbonation - Les fabricants d’aliments pour animaux réduisent leur empreinte environnementale


 

Les plus lus

Un palmier à huile
Prix des huiles végétales : quelle tendance pour les prochains mois ?

Les prix des huiles de palme, de soja, de tournesol et de colza ont nettement renchéri ces dernières semaines, dans un…

Déchargement d'un bâteau d'engrais TSP (Triple super phosphate) en provenance de Sfax (Tunisie)
En quoi consiste le partenariat sur les fertilisants signé entre le Maroc et la France ?

L’interprofession Intercéréales a signé un partenariat relatif aux fertilisants avec l’Office chérifien des phosphates. Si les…

Drapeau du Maroc posé sur un bureau.
Commerce français de céréales : quel bilan tirer de la rencontre officielle France-Maroc ?

L'expert d'Intercéréales Yann Lebeau avertit qu'en termes commercial, la visite du président de la République française…

Blé en Ukraine : le commerce et la production s’en sortent bien, rapporte Fastmarkets

Les coûts du Fobbing ont baissé en Ukraine, revenant à des niveaux proches de ceux observés avant la guerre début 2022.

Un graphique sur écran noir.
Blé et Maïs : « L’offre décroît et la demande n’est pas très dynamique... avec des stocks de report prévus à 584 Mt », selon le CIC

Alexander Karavaytsev, économiste du Conseil international des céréales (CIC), dispose d’une vision très prudemment haussière…

La Russie avec le drapeau.
Blé en Russie : de premières projections pour 2025-2026, à prendre avec des pincettes

La production russe 2025-2026 pourrait souffrir des conditions de semis compliquées, selon Fastmarkets. Toutefois, beaucoup de…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 90€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site La dépêche – le petit meunier
Bénéficiez de la base de cotations en ligne
Consultez votre revue numérique la dépêche – le petit meunier
Recevez les évolutions des marchés de la journée dans la COTidienne